Numérique en Europe : 150 milliards d’euros de la Commission, qui veut agir vite et frapper fort

Pour 150 milliards t’as plus rien…
Economie 14 min
Numérique en Europe : 150 milliards d’euros de la Commission, qui veut agir vite et frapper fort
Crédits : Nastco/iStock

La Commission veut que l’Europe embrasse à pleines dents le numérique sur la prochaine décennie et veut « montrer la voie à suivre ». De vastes sujets ont été abordés : des données à l’intelligence artificielle, en passant par les infrastructures, l’économie circulaire et le réchauffement climatique.

Hier, présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a prononcé son discours sur l’État de l’Union lors d’une session plénière au Parlement européen. Un discours de politique général annuel, traditionnellement organisé en septembre et qui donne les grandes lignes pour l’année à venir. C’était le premier de la nouvelle présidente, qui a officiellement pris ses fonctions en décembre 2019. 

En guise d’introduction, il était évidemment question de la crise sanitaire liée au virus SARS-Cov-2 qui « a mis en lumière la fragilité de notre planète, que nous constatons chaque jour avec la fonte des glaciers, les incendies de forêts et, aujourd'hui, une pandémie mondiale ». Une manière de préciser dès le début que l’écologie ne serait pas laissée de côté.

Elle a notamment parlé d’une « agence de recherche et de développement biomédicaux avancés » au niveau européen comme il en existe aux États-Unis, fait des annonces sur l’emploi, l’euro et l’entraide au sens général ; une partie de son discours était aussi axée sur le numérique, au sens large du terme.

La Commission européenne prévoit ainsi d’investir « 20 % du budget de NextGenerationEU dans le numérique », soit 150 milliards d’euros tout de même, avec « un objectif consistant à lever 30 % des 750 milliards d'euros [soit 225 milliards, ndlr] de NextGenerationEU au moyen d'obligations vertes ». Le détail des dépenses n’est pas dévoilé, mais nous avons au moins les grandes lignes directrices.

Vers une « décennie numérique » pour l'Europe

L’Europe a déjà fait plusieurs actions fortes pour la vie numérique de ses utilisateurs, au sens large du terme. Nous pouvons citer le RGPD et la neutralité du Net, deux éléments importants que l’on ne retrouve pas aux États-Unis par exemple.

Concernant la Neutralité du Net, elle vient même d’être sacralisée par la Cour de Justice de l’Union européenne qui avait été saisie d’une question préjudicielle sur le sujet. C’est une « belle journée » c’était réjoui Sébastien Soriano, président de l’Arcep (entre autres réactions).

Ursula von der Leyen veut continuer sur ce chemin : « nous avons besoin d'un plan commun pour l'Europe numérique, avec des objectifs clairement définis pour 2030, notamment en matière de connectivité, de compétences et de services publics numériques ».

« Nous devons aussi nous doter de principes clairs : le droit au respect de la vie privée et à la connectivité, la liberté d'expression, la libre circulation des données et la cybersécurité ». Et il faut « agir vite » sous peine de se faire dépasser par les événements et de se retrouver contraint « de s'aligner sur d'autres acteurs qui fixeront ces normes pour nous ». L’histoire nous montre que ce ne sont pas que des menaces en l’air.

Ursula von der Leyen
Crédits : Copyright European Commission 2020

Gagner la bataille des données industrielles

Trois domaines sont mis en avant : les données, l’intelligence artificielle et les infrastructures. Les données sont pour rappel le nerf de la guerre de l’IA, car elles servent à les entrainer, une étape incontournable. La présidente commence par un constat d’échec : « En ce qui concerne les données à caractère personnel – dans le commerce entre entreprises et consommateurs – l'Europe a été trop lente et dépend désormais des autres ».

Maintenant, il ne faudrait surtout pas perdre la seconde bataille : « Il ne faut pas que cela se répète avec les données industrielles. La bonne nouvelle, c'est que, dans ce domaine, l'Europe est encore en tête – nous avons la technologie, et surtout l'industrie ». « Les données industrielles valent de l'or lorsqu'il s'agit de mettre au point de nouveaux produits et services. La réalité, malheureusement, est que 80 % des données industrielles sont collectées, mais ne sont jamais utilisées. C'est du gaspillage », ajoute-t-elle. 

C’est là qu’entre en jeu le projet européen Gaia-X (qui en est encore à ses débuts) : « dans le cadre de NextGenerationEU, nous allons créer un « cloud » européen, fondé sur Gaia-X ».  Pour rappel, lors de l’annonce de ce projet, plusieurs intervenants s’étaient relayés pour bien préciser une chose : Gaia-X n’est pas un nouveau service de cloud souverain, mais une place de marché avec des règles à respecter.

Il faudra donc voir qu’elles sont les attentes derrière ce « cloud souverain », d’autant que les précédentes expériences n’étaient pas franchement une réussite. Hasard ou pas du calendrier, le français OVHcloud et l’allemand T-Systems ont annoncé une offre de cloud public pour des données sensibles, qui sera conforme aux recommandations de Gaia-X.

Concentrer les efforts sur l'intelligence artificielle.

Après les données, le deuxième sujet concerne la technologie et plus particulièrement l’intelligence artificielle. Comme cela avait déjà été annoncé à plusieurs reprises (notamment par Cédric Villani et Emmanuel Macron), l’Europe veut « un socle de règles qui place l'humain au centre. Les algorithmes ne doivent pas être une boîte noire, et il faut des règles claires si quelque chose tourne mal. La Commission proposera un instrument législatif à cet effet l'année prochaine ». Mieux vaut tard que jamais… 

La « guerre » sur l’intelligence artificielle rejoint évidemment celle – que nous n’avons pas gagnée – sur la maitrise des données personnelles. Elle nous échappe trop souvent aujourd'hui regrette la présidente : « Chaque fois qu'une application ou un site web nous propose de créer une nouvelle identité numérique ou de nous connecter facilement via une grande plateforme, nous n'avons aucune idée de ce que deviennent nos données, en réalité ».

Comme indiqué dans notre Brief ce matin, Ursula von der Leyen annonce aussi un « investissement de 8 milliards d'euros dans la prochaine génération de superordinateurs – une technologie de pointe "made in Europe" ». Elle veut également que « l'industrie européenne développer ses propres microprocesseurs de prochaine génération ».

L’Europe finance pour rappelle le projet ExaNode, dont le but est de « développer de nouvelles technologies nanoélectroniques et des solutions d’intégration disruptives (sic) pour concevoir le premier processeur de calcul exascale européen ».

Un prototype était attendu pour l’été dernier, il est finalement arrivé en octobre 2019. Pour les supercalculateurs exaflopique, il faudra attendre 2022 au mieux, et probablement plus 2023. Pour le moment, le premier pays européen est sixième dans le classement TOP 500 avec HPC5 (Italie), tandis que la France est 15e avec PANGEA III (Total) et il faut aller à la 20e place pour trouver Tera-1000-2 du CEA.

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Vers une identité électronique européenne ?

La Commission européenne proposera ainsi prochainement « une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour n'importe quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo. Une technologie qui nous permettra de contrôler quelles données nous partageons et l'usage qui pourra en être fait ».

Des travaux sont également en cours en France et dans plusieurs autres pays afin de proposer des identités numériques, espérons qu’une interopérabilité sera de mise. Comme nous avons pu le voir récemment avec les applications de contact tracing, tout le monde n’est pas toujours sur la même longueur d’onde au sein de l’Europe quand l'heure est aux choix technologiques.

Fibre, 5G et… 6G

Enfin, le dernier point technologique concerne les infrastructures. Si dans l’Hexagone le Plan France THD vise à apporter 100 % de couverture en très haut débit en 2022, dont au moins 80 % en fibre – nous sommes à 52 % selon le dernier décompte de l’Arcep – ce n’est pas le cas de nos voisins. 

Ursula von der Leyen compte profiter du coup de fouet de NextGenerationEU pour stimuler la croissance jusqu'au moindre village : « Il est inacceptable que 40 % des habitants des zones rurales n'aient toujours pas accès à une connexion à haut débit rapide […] C'est pourquoi nous voulons concentrer nos investissements sur la connectivité sécurisée et sur le déploiement de la 5G, de la 6G et de la fibre ». La 6G n’est pour le moment qu’une vague chimère – elle ne devrait pas arriver avant 2028 – même si certains y pensent déjà dans les laboratoires de recherche.

6G Samsung

Confinement, pollution de l’air et réchauffement climatique

Après la technologie, l’écologie. La présidente de la Commission européenne n’y va pas par quatre chemins : « il est d'autant plus urgent d'accélérer qu'il y va de l'avenir de notre fragile planète. Le gel d'une grande partie de l'activité mondiale durant les périodes de confinement n'a pas interrompu le réchauffement dangereux de notre planète ».

Les mesures de confinement ont néanmoins eu des effets tangibles sur la pollution, notamment avec une chute des niveaux en Europe comme l’expliquait l’Agence spatiale européenne : « Le satellite Sentinel-5P du programme Copernicus a récemment cartographié la pollution de l’air au-dessus de l’Europe et de la Chine et a révélé une chute significative de la pollution au dioxyde d’azote, qui coïncide avec les mesures strictes de mise en quarantaine ».

Tout n’est pas rose pour autant, rappelait le CNRS début avril : « Les mesures du réseau Airparif montrent sans surprise que les oxydes d’azote (NOx), polluants principalement émis par le trafic routier, ont vu leurs concentrations réduites de plus de la moitié. Pour autant, les Franciliens ne respirent pas nécessairement un air plus pur, car les particules fines (ou PM2.5) sont encore très présentes dans l’atmosphère parisienne ».

Deux pics de pollution dans les journées des 20-21 et 27-28 mars 2020 avaient même été enregistrés : « Ces particules sont émises directement par le trafic routier et le chauffage au bois, mais elles peuvent également être formées à partir des NOx et de l’ammoniac (NH3) présents dans l’atmosphère. Le NH3 est un gaz issu des activités agricoles, notamment de l’épandage d’engrais sur les cultures ». La preuve qu’il faut prendre cette question sous tous les angles à la fois.

Mais dans l’ensemble, le confinement a eu un effet positif avec une baisse de 30 % des émissions de CO₂ : « C'est probablement un important épisode de pollution de l'air qui a pu être évité », estiment Airparif et le CNRS. Dans tous les cas, ce n’était pas suffisant pour avoir une incidence globale sur le réchauffement climatique… d’autant que dans certains cas la production est repartie tambour battant, engendrant des niveaux de pollution plus élevés qu’auparavant.

Pour Ursula von der Leyen, il faut donc se concentre sur un objectif : « faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050 » et, bien évidemment, de toujours respecter l’accord de Paris sur le climat. Une manière de rappeler, sans les citer, que les États-Unis ont décidé mi-2017 de le quitter

On s’était dit rendez-vous dans 10 ans

Ursula von der Leyen propose donc « de porter l'objectif de réduction des émissions pour 2030 à au moins 55 % », au lieu d’au moins 40 % jusqu’à présent. Elle en profite pour faire un point de la situation actuelle : « les émissions ont chuté de 25 % depuis 1990, notre économie a crû de plus de 60 % ». Il reste donc encore du pain sur la planche… 

« Je reconnais que cette augmentation de 40 % à 55 % est trop importante pour certains et insuffisante pour d'autres. Mais notre analyse d'impact montre clairement que notre économie et notre industrie peuvent y faire face », ajoute-t-elle. Au-delà des déclarations d’intention, il faut maintenant passer aux faits, ce qui prendra du temps : « D'ici l'été prochain, nous réviserons toute notre législation sur le climat et l'énergie afin de l'adapter à l'objectif de 55 % ».

2030 se dessine comme une année charnière. En plus de l’annonce de la Commission européenne, plusieurs géants du numérique ont dévoilé des objectifs à dix ans, parfois en allant jusqu’à compenser leur empreinte carbone depuis la création de la société. C’est notamment le cas d’Apple, de Facebook, de Google et de Microsoft.

La marque à la Pomme prévoit ainsi « de passer son empreinte carbone totale à zéro émission nette sur l’ensemble de son activité », y compris la fabrication de ses appareils, d’ici dix ans. Le réseau social veut « atteindre zéro émission nette en 2030 pour toute sa chaîne de valeur, y compris les émissions de ses fournisseurs, ou encore les déplacements de ses employés ».

Sundar Pichai affirme que « d'ici 2030, Google a pour objectif de gérer ses activités avec une énergie sans carbone partout et à tout moment ». La société veut aussi « éliminer tout son héritage carbone ». Le père de Windows est sur la même longueur d’onde : « D’ici 2030, Microsoft aura une empreinte carbone négative et d’ici 2050, aura retiré de l’environnement tout le carbone émis par nos opérations de manière directe ou indirecte depuis notre fondation en 1975 ».

But avoué : rester en dessous de 1,5 °C

Comme nous l’avons déjà indiqué dans LeBrief de ce matin, l’Agence spatiale européenne s’est proposé d’apporter son aide pour réduire les émissions. Si l’ESA réfute jouer un rôle politique, elle se positionne pour apporter des données scientifiques. L’occasion de remettre en avant ses satellites dédiés à la surveillance de la Terre, notamment Copernicus.

La présidente est néanmoins consciente que les changements en Europe uniquement ne seront pas suffisants et qu’il faut en appeler aux autres continents (ce qui n’est pas gagné). Elle veut néanmoins y croire : « Et si d'autres suivent notre exemple, le monde pourra maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré Celsius », sans compter que « de plus en plus de jeunes militent pour le changement », 

Dans tous les cas, l’aspect écologique est de plus en plus pris en compte par les jeunes, et des sociétés n’hésitent donc plus à montrer « patte verte ». C’est même devenu un « enjeu stratégique » nous expliquait Mateo Dugand, responsable développement durable EMEA chez HPE : « Recycler plutôt que jeter est un argument permettant de retenir certains talents », ajoutait-il. 

L’économie circulaire était d’ailleurs évoquée durant la conférence d’hier. La Commission souhaite que son plan de NextGenerationEU de 750 milliards d’euros serve à déclencher « une vague de rénovation européenne et fasse de notre Union un leader de l'économie circulaire ». 

Alors que revoilà l’hydrogène

Pour y arriver, « 37 % de NextGenerationEU seront consacrés directement aux objectifs de notre pacte vert pour l'Europe ». Ce plan devrait aussi servir à investir dans de vastes projets européens comme l'hydrogène, la rénovation et la création d’un million de bornes de recharge électrique.

En juillet, la Commission avait déjà présenté son alliance européenne pour un hydrogène propre, rappelant qu’elle pouvait « servir de matière première, de carburant ou de vecteur d’énergie et de solution de stockage et trouve de nombreuses applications possibles qui réduiraient les émissions de gaz à effet de serre ».

Il y a deux semaines, la Suède passait des paroles aux actes avec le lancement d’une phase d'essai d'un projet pilote de production d'acier sans énergie fossile. L'hydrogène remplace le charbon « pour produire de l'acier propre ». Les espoirs semblent grands du côté de Bruxelles : « Je veux que NextGenerationEU crée de nouvelles vallées européennes de l'hydrogène pour moderniser nos industries, alimenter nos véhicules et redonner une nouvelle vie aux zones rurales ».

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