Le blocage des miroirs d'un site, un projet aux multiples reflets

Le blocage des miroirs d’un site, un projet aux multiples reflets

Un projet ni verre ni vert ?

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Marc Rees

Publié dans

Droit

07/12/2020 11 minutes
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Le blocage des miroirs d'un site, un projet aux multiples reflets

« Ce que nous souhaitons (...), c’est que la justice puisse bloquer un site, mais également toutes les réapparitions du site ». Le blocage de ces miroirs annoncé par Cédric O est tout sauf une nouveauté, mais le fruit d'une longue histoire. 

[nomdusite].fr diffuse des contenus prohibés. Une décision de justice ordonne son blocage. Il réapparaît sous [nomdusite].org, au contenu inchangé. Les FAI, ne devant bloquer que le .Fr, ne bloqueront pas instinctivement le .org.

La réapparition des sites bloqués par la justice sous d’autres formes est un pied de nez au pouvoir judiciaire, et surtout une persistance infractionnelle dans le PIF, paysage internet français. Le secrétaire d’État est revenu cette semaine sur France Inter sur une disposition effectivement inscrite dans le projet de loi « Séparatisme ».

Cet article 26 prévient que lorsqu’une décision de justice ordonnera le blocage d’un site pour certaines infractions, alors une partie à cette procédure ou l’« autorité administrative » pourra demander aux fournisseurs d’accès d’étendre ce blocage aux miroirs de ce site.

Le texte envisage un autre cas proche : quand le site miroir reprend de manière « substantielle » ledit contenu. Cette fois, n’importe quelle personne intéressée pourra saisir l’autorité administrative pour réclamer ce blocage entre les mains des FAI. Le même « 26 » étend ce système aux moteurs, afin d’obtenir cette fois le déréférencement.

Les FAI ou les moteurs n’auront pas l’obligation de répondre favorablement. Les fournisseurs d’accès devront en pratique s’assurer que le site n°2 est un miroir intégral (ou presque) du site n°1, sauf à endosser la responsabilité du blocage. Une mesure par définition attentatoire à la liberté d’expression, d’information ou de communication.

Le projet de loi offre en effet la possibilité de leur adresser une simple « demande ». En ce sens que si Free, Orange, SFR, Bouygues, etc. ne donnent pas de suite, alors il faudra alors repasser par la case judiciaire.

Inconvénient : une perte de temps. Avantage : une migration vers une procédure publique, puisqu’aucune « publicité » des échanges n’est prévue pour la première phase de cette procédure. Un respect des droits de la défense. Une analyse de proportionnalité.

Le cas Democratie Participative

Pour justifier de ce projet, Cédric O a cité le cas de « Démocratieparticipative.fr » (en fait plutôt .biz, puisque le .fr n’a aucun rapport). Un site qui devrait revenir très souvent lors des débats parlementaires, et dont l'un des noms de domaines a été bloqué aujourd'hui (la décision).

En 2018, nous avions déjà révélé le jugement de blocage chez les principaux FAI français. La justice avait alors constaté sur ce site de multiples appels à la haine et à la violence, des injures publiques ou encore des apologies de crimes contre l’humanité, avec des propos du type « cette sale gueule de youtre arrogant me fait particulièrement vomir et nous rappelle qu’Adolf Hitler n’a rien fait de mal. Aujourd’hui Hitler c’est le minimum ».

Depuis cette décision, le site est réapparu toutefois sous d’autres formes, conduisant le gouvernement à un véritable jeu de chat et de la souris. Ainsi, en novembre 2019, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, et la haine anti-LGBT a réclamé de Google l’effacement de democratieparticipative.best

Le 26 août, la même DILCRAH a ciblé cette fois le miroir democratieparticipative.tw. Demande reconduite en août dernier contre democratieparticipative.xyz et le 24 novembre dernier, à l’initiative de Point de Contact, contre sa version « .lol » . Un « Government Request » a même visé un miroir « .onion » du site, voilà de cela près d’un an.

À chaque fois, même sans loi contre le séparatisme, Google a répondu favorablement à ces demandes. Ces noms ont donc été effacés des résultats en France. Pour mémoire, le jugement avait exigé le blocage, sans limites de temps, du nom de domaine « www.democratieparticipative.biz ou à tout site comportant le nom democratieparticipative.biz ».

Par contre, les autres versions du sites sont toujours accessibles chez les FAI (ou à l’étranger), témoignage que les autorités se sont surtout focalisées sur Google, sans dupliquer la procédure contre ses clones.

Le texte défendu par le gouvernement ne va pas frapper seulement les clones de DémocratieParticipative. L’article 26 du projet de loi s’appliquera aux sites bloqués parce qu’enfreignant une série de dispositions pénales. Cette longue liste est à retrouver à l’article 6, I. 7) de la loi sur la confiance dans l’économie numérique :

« Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de la provocation à la commission d'actes de terrorisme et de leur apologie, de l'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l'incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième, septième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 222-33, 225-4-1, 225-5, 225-6, 227-23 et 227-24 et 421-2-5 du Code pénal ».

Un texte qui frappera les miroirs des sites pornos bloqués

En bref, l’apologie des crimes contre l'humanité, la provocation au terrorisme, l’incitation à la haine raciale, la pédopornographie… mais aussi l’article 227-24 du Code pénal. Cette disposition sanctionne les éditeurs de sites pornographiques qui se contentent d’un « disclaimer » à leur porte.

Depuis la récente loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, ces procédés ne permettent plus d’échapper à la sanction. Une association vient ainsi réclamer au Conseil supérieur de l’audiovisuel le blocage de six des principaux sites pornos qui se contentent encore des déclarations de majorité (la lettre de saisine révélée par Next INpact).

Si l’on reprend : avec le projet de loi contre le séparatisme, une association plus ou moins baignée dans l’eau bénite pourra réclamer le blocage d’un site X chez les FAI ou son déréférencement chez les moteurs, au motif qu’il est le miroir d’un site porno déjà bloqué en justice parce qu’ « accessible » aux mineurs.

De fait, on peut sans grand risque présager que lors des débats, des amendements tenteront de gonfler encore une fois les infractions éligibles à ce système de lutte contre les sites miroirs. Faisant ainsi de l’exception, la règle. L’article 6 I 7 a lui-même évolué depuis sa création en 2004. Il ne ciblait à l’époque que « la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine ».

La loi Avia, avant sa censure, l'affaire Copwatch en 2012

L’article 26 n’est pas une invention de Cédric O, Gérald Darmanin ou Éric Dupond Moretti. Une disposition similaire se retrouvait déjà dans la proposition de loi Avia. Devant le Conseil constitutionnel, le château de cartes imaginé par l’avocate devenue députée LREM s’est effondré pour de multiples atteintes aux libertés fondamentales.

Ce n’est d’ailleurs pas plus Laetitia Avia qui a inventé ce dispositif.

En 2012, durant l’affaire CopWatch, Claude Guéant avait sollicité du juge le pouvoir d’ordonner directement le blocage des futurs miroirs afin de lutter plus efficacement contre ce site révélant quantité de données personnelles des forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur souhaitait pouvoir exiger des FAI un blocage « à tout site nouveau diffusant un contenu identique à celui jugé illicite » .

Selon le résumé fait par la décision, il voulait donc obtenir « une décision qui ne se limite pas à statuer sur les sites objets du litige – visés dans l’assignation et faisant l’objet d’un examen judiciaire – mais qui règle également les litiges éventuels concernant les futurs sites qui pourraient le cas échéant être mise en ligne, avec des auteurs, des éditeurs et des hébergeurs différents, et un contenu pouvant également s’avérer différent ».

Le magistrat lui avait répondu notamment que le ministère de l’Intérieur « ne saurait agir en justice sans justifier d’un intérêt à agir né et actuel ». Un principe de base en procédure. Outre qu’il n’y avait aucun texte permettant de déléguer des prérogatives de son pouvoir juridictionnel.

La lutte contre les miroirs, cible des ayants droit

Dans l’univers de la propriété intellectuelle, le 15 février 2013, Mireille Imbert Quaretta avait déjà imaginé un système similaire dans son rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites. Après réforme législative, la Hadopi « pourrait se voir confier par le juge, selon des modalités précisément définies, le suivi de l’exécution des décisions de blocage qu’il aurait ordonnées ».

La présidente de la commission de protection des droits soulignait déjà que « les décisions de blocage peuvent être souvent contournées par l’apparition de sites dits miroirs répliquant les contenus illicites, qui peuvent être mis en ligne par les responsables du premier site ou des internautes ». 

« L’exécution d’une décision de justice portant atteinte à la liberté de communication peut difficilement être déléguée à un opérateur privé » exposait la même année la Mission Lescure sur l’Acte 2 de l’exception culturelle, avant d’envisager confier les clefs du suivi de ces décisions au service national de douane judiciaire.

Un an plus tôt, durant l’affaire Allostreaming, l’industrie du cinéma avait rêvé d’imposer leur logiciel capable de détecter l’apparition d’un miroir d’un site bloqué. Une solution présentée devant la Mission Lescure en octobre 2012, qui fut développée par l’ALPA, l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle et la société Trident Media Guard. L’idée était de pouvoir adresser des demandes de retrait directement aux FAI. 

L'injonction dynamique

Sur le terrain jurisprudentiel, le sujet a été maintes fois évoqué. En 2014, dans le blocage du site Pirate Bay, le TGI avait invité les parties à étendre ces mesures aux nouveaux sites miroirs non mentionnés dans le jugement, ou à venir le revoir en cas de désaccord.

Plus près de nous en 2018 et 2019 les organisations du cinéma ont obtenu le déréférencement de plusieurs sites de streaming illicite. Et Google s’est vu enjoint de déréférencer dynamiquement les miroirs de ces sites, via le mécanisme de l’injonction dynamique.

Le tribunal avait relevé que ces sites disposait d’un numéro d’identifiant unique Google Analytics, donnant à l’administrateur « une analyse détaillée de l’audience de son site, quel qu’en soit le chemin d’accès ».

La lutte contre les sites miroirs devait également être aiguisée à l’occasion de la grande loi sur l’audiovisuel, celle qui devait transposer l’article 17 de la directive Droit d’auteur sur le filtrage. Les versions ont changé au fil du temps, mais la Hadopi se voyait confier un rôle de tiers de confiance pour s’assurer que tel site est bien, en substance, le miroir d’un site déjà bloqué.

Dans le secteur du sport, un mécanisme spécifique a été envisagé par Aurore Bergé afin de répondre à la particularité du secteur, à savoir des matchs et autres compétitions retranscrites en direct dont le temps de traitement ne correspond pas aux procédures actuelles. Un blocage par anticipation, décidé par le juge pour les sites actuels et à venir, pendant tout le calendrier d’une compétition déterminée.

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Le cas Democratie Participative

Un texte qui frappera les miroirs des sites pornos bloqués

La loi Avia, avant sa censure, l'affaire Copwatch en 2012

La lutte contre les miroirs, cible des ayants droit

L'injonction dynamique

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Commentaires (16)


Il reste à définir précisément ce qu’est un site. Une url? Nous voyons que non avec les sites mirroirs. Un nom? Il suffit de le changer dans le “site” même. Un contenu? Il suffit de l’exploser en une multitude d’url, comme savent bien le faire les spammeurs par exemple. Bref, ce n’est pas gagné.



J’ai bien aimé aussi le blocage par anticipation.



En tout cas, cela rejoint ma théorie mainte fois rappelée : le législateur rêve d’un internet franco français. Une fois ces mécanismes mis en place, tout ce qui ne respectera pas l’une des nombreuses lois françaises de l’audiovisuel sera bloqué : quota de création francophones, financement divers et variés etc.



guimoploup a dit:


Il reste à définir précisément ce qu’est un site. Une url? Nous voyons que non avec les sites mirroirs. Un nom? Il suffit de le changer dans le “site” même. Un contenu? Il suffit de l’exploser en une multitude d’url, comme savent bien le faire les spammeurs par exemple. Bref, ce n’est pas gagné.



J’ai bien aimé aussi le blocage par anticipation.



En tout cas, cela rejoint ma théorie mainte fois rappelée : le législateur rêve d’un internet franco français. Une fois ces mécanismes mis en place, tout ce qui ne respectera pas l’une des nombreuses lois françaises de l’audiovisuel sera bloqué : quota de création francophones, financement divers et variés etc.




Il est vrai que de savoir ce qui constitue un site est un vaste sujet. En soit on voit que l’Internet a quand même de plus en plus besoin de se structurer autour d’identités : anonymat sur les réseaux sociaux, sites mentionnés dans l’article, sites de dropshipping sans aucun recours en cas d’arnaque, phishing…
Bref, c’est une jungle et sur certains points c’est effectivement nécessaires de s’éloigner de cette vieille philosophie du 1 domaine = 1 site.


Comme vous, ce qui m’interroge, c’est comment définir qu’un site est miroir… quelle proportion permettrait de dire : ce site est presque identique à celui qu’on a bloqué la semaine dernière ?



Sans parler que maintenant, les ayants droits tentent justement de créer des sites qui ressemblent à des sites illégaux, afin de pousser les gens à se diriger vers des offres payante et légale.



Aujourd’hui, nombres de sites sont semblables dans leur code, tout en ayant un contenu radicalement différent.
L’open-source, les packages utilisées dans tous les sens ont permis leur rapprochement.



Même pour les futurs ingénieurs en informatique, lorsqu’ils doivent soumettre un devoir fait 100% maison, lors du passage dans les outils anti-triche, on leur annonce que 50% de leur code est commun avec d’autres codes.



Lorsque j’étais étudiant, je me souviendrais toujours de ma réaction lorsqu’on m’a annoncé 47% de similitude sur un truc que j’avais intégralement fait moi même… et comment mon prof a tenté de me rassurer par la suite en me disant que c’était pas anormal.



the_cat a dit:


les ayants droits tentent justement de créer des sites qui ressemblent à des sites illégaux, afin de pousser les gens à se diriger vers des offres payante et légale.




Je suis mal informé, ou tout le monde est au courant ?



serpolet a dit:


Je suis mal informé, ou tout le monde est au courant ?




C’est assez connu.
Ils ont fait plusieurs clones de Zone Telechargement avec plusieurs URL pour rediriger vers des offres légales quand tu veux télécharger un truc, par ex.



(reply:1841760:serpolet) je n’étais pas au courant non plus mais ça ne m’étonne pas ni me choque plus que ça.



Moi les sites miroir me laissent de glace
:D


Rien de mieux pour vendre plus de VPN.



Le problème étant aussi générationnel bien malheureusement. Les plus anciens ne sont pas si agéris qu’il faudrait. Il y a encore pas mal de boulot sur l’éducation à faire. Pendant ce temps cela permettra à l’état de contenir l’information. Il ne s’agit bien évidement pas de tipiak.



Pour les générations suivantes… Peut-être pas. Le nœud du problème de l’usage du numérique est donc l’éducation. Une action citoyenne serait d’éduquer l’entourage aux technologies. Des choses simples permettant de voir par dessus la barrière. Parce que tout simplement le loup n’est peut être pas de l’autre coté de la barrière mais dans l’enclos.


c’est bien de faire un projet de loi visant ce genre de site, mais bizarrement ils ne prennent pas exemple de sci-hub qui est vraiment necessaire pour faire avancer la recherche mondial, ouais carrément. et ce site sera bloqué avec ce genre de loi.


Sci-hub est déjà bloqué a déjà été bloqué (le blocage a expiré en mars de cette année :transpi:).


……l’apologie des crimes contre l’humanité, de la provocation à la commission
d’actes de terrorisme et de leur apologie, de l’incitation à la haine raciale, à la haine
à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de
genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation
à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que
des atteintes à
la dignité humaine,…



’ c’est bon….normalement, y’a tout” !
on n’a rien oublié !!! :francais:



vizir67 a dit:


……l’apologie des crimes contre l’humanité, de la provocation à la commission d’actes de terrorisme et de leur apologie, de l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine,…



’ c’est bon….normalement, y’a tout” ! on n’a rien oublié !!! :francais:




Sans oublier l’insulte suprême : espèce de mangeur de chocolatine :transpi:


:baton: :baton: :baton: ( :smack: )


9.9.9.9
1.1.1.1
1.0.0.1
8.8.8.8
8.8.4.4
80.67.169.12 ou 2001:910:800::12
80.67.169.40 ou 2001:910:800::40
208.67.222.222
208.67.220.220
193.183.98.154
5.9.49.12
87.98.175.85



etc. etc. etc. etc.


localhost :transpi:



Mihashi a dit:


localhost :transpi:




apt install -y bind :francais: