Contrôle d'âge ou blocage : la lettre de saisine du CSA contre plusieurs sites pornographiques

Pas assez de droit dans la charte ?
Droit 10 min
Contrôle d'âge ou blocage : la lettre de saisine du CSA contre plusieurs sites pornographiques
Crédits : Sitade/iStock

Trois associations ont saisi le CSA. Sur fond de protection de l’enfance, elles réclament de l’autorité des actions à l’encontre de six sites porno accessibles gratuitement : Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et Jacquieetmichel. Sites qui devront opter un contrôle d’âge, ou bien être bloqués. Next INpact publie la lettre de saisine.

« Aujourd'hui, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l'alcool ou la drogue. Nous ne pouvons pas d'un côté déplorer les violences faites aux femmes et, de l'autre, fermer les yeux sur l'influence que peut exercer sur de jeunes esprits, un genre qui fait de la sexualité un théâtre d'humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes ».

En novembre 2017, Emmanuel Macron donnait le « la ». Il regrettait le déficit de régulation dans l'accès aux contenus pornographiques. « Unissant monde virtuel, stéréotypes, domination et violence, la pornographie a trouvé, grâce aux outils numériques, un droit de cité dans nos écoles ».

Depuis ces paroles élyséennes, cette lutte a pris plusieurs formes. C’est ainsi qu’une charte antiporno a été établie avec les acteurs du numérique.

La fidèle Laetitia Avia espérait apporter elle aussi sa pierre à l’édifice en rajoutant les contenus pornographiques, parmi ceux devant être retirés dans les 24 heures par les plateformes. Sa proposition de loi dite contre la haine en ligne, soutenue mordicus par le gouvernement, s’est cependant « crashée » sur le mur du Conseil constitutionnel, après censure magistrale.

« Un continuum entre exposition précoce au porno et comportements violents »

Dans la veine présidentielle, Adrien Taquet, secrétaire d’État au ministère des Solidarités et de la Santé, avait pour sa part soutenu début 2020 que les films pornos « portent atteinte à la notion de consentement et encouragent le développement du sexisme et une réification du corps, en particulier celui des femmes ».

Il se disait convaincu qu'existerait « une sorte de continuum entre une exposition trop précoce à des films pornographiques et des comportements violents qui pourraient se manifester par la suite »

Cette petite phrase avait été prononcée à l’occasion des débats autour d’un autre texte passé cette fois entre les gouttes : la loi contre les violences conjugales, portée par la députée LREM Bérangère Couillard.

Pour comprendre son apport, revenons un instant sur l’article 227-24 du Code pénal. Depuis plusieurs années, la disposition réprime le fait de fabriquer, transporter, diffuser un contenu pornographique (ou violent) « lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».

Le contrevenant, au hasard l’éditeur d’un site X, risque alors trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Montant multiplié par cinq, soit 375 000 euros d’amende, pour les personnes morales.

La loi LREM, votée et publiée, ajoute un alinéa à cette disposition : ces infractions « sont constituées y compris si l'accès d'un mineur aux messages (…) résulte d'une simple déclaration de celui-ci indiquant qu'il est âgé d'au moins dix-huit ans ».

porno

En somme, un site porno est illicite s’il est simplement accessible aux mineurs. Et avec la loi Couillard, il le reste même si l’accès est conditionné à une simple déclaration d’âge (« j’atteste être majeur » et autres variantes).

C’est à partir de cette législation aujourd’hui publiée au Journal officiel, que trois organisations demandent la fermeture de plusieurs sites pornographiques, par le truchement du CSA.

La lettre adressée au CSA

La lettre adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel est signée de l’association Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), épaulée par le Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant (COFRADE, qui compte OPEN dans ses rangs) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF).

La COFRADE avait déjà lancé une procédure de blocage à l’encontre de Porn Hub, aujourd’hui au point mort.

L’idée cette fois est donc d’espérer que le CSA prenne le relai. Et si l’autorité est mise dans la boucle, c’est que la loi LREM a ouvert un peu plus ses compétences en termes de régulation du Web. C’est le fruit de l’article 23 de la loi contre les violences conjugales

Que prévoit cet article ? Lorsqu'il « constate » qu’un site « permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique », le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel « adresse (…) une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé ».

Le site destinataire de l'injonction dispose alors d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations. Si les conditions d’accès ne sont pas corrigées, alors le président du CSA « peut » saisir la justice en urgence pour obtenir le blocage d’accès auprès des fournisseurs d’accès et/ou le déréférencement sur les moteurs.

« Ce texte vous donne ainsi autorité afin de mettre en demeure les portails pornographiques concernés de se mettre en conformité avec le droit français » écrivent les trois organisations. Elles réclament donc une action à l’encontre d’une liste de site et, si elle est vaine, que soit lancée la procédure de blocage du référencement et de l’accès à ces sites internet prévue par la loi.

L'astuce du constat, le bug du décret non publié

Remarquons que cet article 23 oblige le président du CSA à adresser une mise en demeure dès lors qu’il « constate » l’accessibilité de ces sites. Pour forcer ce sort, les trois associations préviennent qu’ils vont adresser au conseil un constat d’huissier apportant sur un plateau ces preuves (un pavé de 400 pages, selon nos informations).

« Ce constat démontrera notamment que les services sont bien accessibles en France, en français, depuis une connexion française. Et il démontrera également que les sites y étant visés n’ont soit aucun système de filtrage permettant de vérifier l’âge de l’internaute le consultant, soit que ce système consiste en une simple invitation à confirmer que l’internaute a bien plus de 18 ans ou qu’il accepte d’accéder à des contenus réservés aux adultes ».

L’idée est donc que le président n’ait donc pas d’autre choix que d’agir. Une idée ou plutôt une lettre au Père Noël, puisque le même article 23, dans sa dernière ligne, conditionne son application à la publication d’un décret… qui n’a pas encore été publié.

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La réponse du CSA

Contacté, le CSA nous confirme que « Roch-Olivier Maistre a bien reçu ce matin le courrier de saisine du COFRADE, de l’UNAF et de l’OPEN. Ce courrier doit encore être complété de constats d’huissier ».

L’autorité précise que « la saisine porte sur une liste importante de services, dont certains sont établis à l’étranger. Une instruction va être engagée conformément à l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, qui donne compétence au président du CSA en la matière ».

Interrogé sur l’absence de décret, elle nous indique laconiquement que « cette procédure soulève des enjeux nouveaux, notamment au plan juridique et nous comptons la mettre en œuvre avec efficacité ».

« La protection des mineurs est au cœur de nos prérogatives et nous agissons avec détermination et au quotidien sur ce sujet. À titre d’exemple, nous avons entamé dernièrement une instruction relative aux éditeurs pornographiques conventionnés qui émettent sur le sol français, afin de nous assurer qu’ils respectent bien leurs obligations. »

Quels sont les sites visés ?

Plusieurs sites sont ciblés dans cette procédure :

  • pornhub.com
  • xvideos.com
  • xnxx.com
  • xhamster.com
  • tukif.com
  • jacquieetmicheltv2.net
  • jacquieetmichel.net
  • jacquieetmicheltv.net

Ce choix ne doit rien au hasard. Contacté, Thomas Rohmer, président de l’OPEN, nous souligne avoir choisi les six principaux sites mondiaux et français. « Un choix symbolique et rationnel, car nous n’avons pas vocation à faire bloquer tous les sites, déjà parce que les frais d’huissiers et d’avocats ne sont pas neutres ».

Surtout, assure-t-il, « le sujet n’est pas l’interdiction ou la censure du porno, ni de moraliser le débat public, mais de faire en sorte, en tant qu’association de protection de l’enfance, que ces contenus ne soient pas accessibles aux enfants. Et je ne suis pas naïf. Cela n’empêchera jamais les ados à aller sur ces sites, mais cela protègera les tout-petits. »

Le président d’Open estime que cette action est complémentaire à la charte antiporno, qui devrait se traduire en début d’année prochaine par la mise en ligne d’une plateforme pour épauler les parents dans la jungle des logiciels de contrôle.

En attendant, l’étude OPEN IFOP de 2017 « montrait que les enfants tombent par inadvertance sur ces contenus » rappelle-t-il.

« Encore une fois, insiste Thomas Rohmer, l’idée n’est pas de dire à ces sites foutez-le-camp, on ne veut pas de vous. Je ne suis pas dans cette logique de moralisation et d’extinction du porno. Je partage à ce titre le point de vue d’Ovidie, selon qui on reconnait les démocraties à l’acceptation de ces contenus. Le rôle d’une société, c’est aussi de mettre une limite pour protéger les plus vulnérables, dont font partie les enfants ».

Quel contrôle d’âge sur les sites pornos ?

Une limite ? Mais que sont supposés faire ces sites, si, malgré l’absence de décret, le président du CSA les met en demeure de rendre ces sites inaccessibles aux mineurs ? S’il les menace d’un blocage par nom de domaine ?

La députée LREM Bérangère Couillard avait évacué cette question avec une pirouette digne d’une compétition des J.O. : « il revient aux éditeurs de sites de s’assurer que leurs contenus ne sont pas susceptibles d’être consultés par des mineurs. La liberté des moyens leur est laissée pour ce faire ». 

En somme, à eux de se débrouiller pour s’assurer que derrière telle IP se cache Maurice, 54 ans, et non Jean-Kévin, 16 ans.

Même réponse de Thomas Rohmer : « je trouve la manière dont ce texte a été rédigé plutôt maline dans la mesure où les obligations de mise en conformité ne dépendent pas du contribuable français. Si l’État avait dû essayer de créer une solution technique, après une énième commission, qui aurait financé ? Ce n’est pas au contribuable ou à l’État d’aider ces gens à trouver la solution technique qui liciterait leur action ».

Il reconnait néanmoins « ne pas avoir la réponse » à cette problématique technique. Une piste suggérée : celle des transactions à zéro euro, qui permettrait de conditionner l’accès à un site au renseignement de ses données bancaires.

Alors que la saisine du CSA est désormais médiatisée, le groupe Jacquie & Michel a décidé de présenter sa solution My18Pass, basée sur OpenID. « Il garantit également une totale protection de l’utilisateur en ne conservant ou ne transférant aucune donnée personnelle ».

Selon l’éditeur, « ce système permettra de vérifier – dès son arrivée sur un site proposant du contenu Adulte – si un utilisateur a bien l’âge requis grâce au moyen, dans un premier temps, d’une vérification par carte bancaire. Des évolutions sont d’ores et déjà en développement afin de proposer en sus une vérification basée sur les pièces d’identité (CNI, Passeport) ».

L’installation d’un tel système de vérification pourrait être néanmoins un coup dur pour la fréquentation de ces sites par des adultes, habitués à surfer couverts. Et ce n’est pas pour rien que le RGPD a rangé les données relatives à la sexualité parmi celles dites « sensibles ».

Pour Thomas Rohmer, « quand bien même l’écosystème devait basculer sur un modèle payant, c’est son problème, pas le mien ». Ouf de soulagement, au hasard, pour l’écosystème payant cher à Dorcel.

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