On pensait la télévision diluée dans Internet, c’est finalement Internet qui se voit appliquer peu à peu la régulation de l’écran de télévision. Nouvelle cible dans le viseur du gouvernement : le porno en ligne. Les fronts se démultiplient pour apposer un cache-sexe sur tous les écrans connectés.
À ce jour, pour éviter que des moins de 18 ans ne viennent sur leurs pages, les sites pornographiques n’ont pas trouvé d’autres solutions que placarder un « disclaimer » sur leur page d’accueil. Dans ce message d’avertissement, l’internaute déclare simplement être majeur et s’il ne remplit pas cette condition, il est renvoyé sur un site adapté à son âge.
Pourquoi cette précaution ? Le Code pénal réprime lourdement le fait de fabriquer, transporter, diffuser sur tout support un contenu notamment pornographique « lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». Le contrevenant risque en effet trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Et pour les personnes morales, ce montant est multiplié par cinq, soit 375 000 euros d’amende.
Mercredi dernier, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi contre les violences conjugales. Une disposition, inscrite en son article 11, donne de nouvelles armes pour lutter contre les sites pornographiques.
Portée par la députée LREM Bérangère Couillard, elle n’est qu’un volet d’une guerre lancée contre ces contenus par la majorité actuelle et le gouvernement. Cet article prévient en effet que l'infraction précitée sera constituée « y compris si l’accès d’un mineur (….) résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans ».
Dit autrement, le paravent des messages d’avertissements n'est plus suffisant pour éviter les rigueurs du code. Le sujet fait déjà l'objet de diverses interprétations. Le droit pénal étant d’interprétation stricte, un juge pourrait considérer que d’autres mesures complémentaires, telle l’inscription obligatoire, permettraient de dépasser la « simple déclaration » et suffiraient à éviter ces foudres. Les échanges à l’Assemblée nationale révèlent toutefois les attentes des partisans du cadenassage du Web.
Jeunes -> Porno -> Violence
Déjà, il a fallu justifier l'inclusion d'une telle disposition dans une proposition contre les violences conjugales. Valérie Boyer (LR) s’est par exemple étonnée que l'anti-disclaimer soit inscrit dans un texte avec lequel il n’aurait aucun lien.
Mais voilà un article qui « représente même l’une des clefs pour lutter efficacement contre ces violences, en traitant le problème à la racine ». En séance ce mercredi, la députée LREM Nicole Le Peih a au contraire estimé que la protection des mineurs contre l’exposition du porno était intimement liée à la lutte contre ces violences.
Pour elle, ce secteur véhicule des contenus « violents et sexistes, qui favorisent une vision machiste et viriliste de la sexualité ». La pornographie « banalise des actes violents, sadomasochistes, de domination et de soumission des femmes » et « certaines scènes pornographiques vont jusqu’à faire directement l’apologie du viol, présenté comme une forme de satisfaction sexuelle comme une autre. Cela est inadmissible, cela est dangereux ».
Une « stratégie globale » contre le porno en ligne
Le 22 janvier 2020, Cédric O, secrétaire d’État au numérique, donnait un cap gouvernemental qui s'est révélé plus ample. Il a indiqué que la généralisation du contrôle parental était tout simplement la priorité du gouvernement. « Il faut [...] donner accès à des outils de contrôle parental, sa généralisation est notre priorité ; nous voulons simplifier et perfectionner ces outils ».
Mais malgré cette priorité, mercredi, Adrien Taquet, secrétaire d’État au ministère des Solidarités et de la Santé, a soutenu l'article 11. Selon lui, les films pornos « portent atteinte à la notion de consentement et encouragent le développement du sexisme et une réification du corps, en particulier celui des femmes ».
Il est convaincu qu'existerait « une sorte de continuum entre une exposition trop précoce à des films pornographiques et des comportements violents qui pourraient se manifester par la suite ». Les éléments de langage du groupe sont donc repris et développés, sachant que le secrétaire d’État est allé jusqu’à tisser un lien entre l’accès précoce à la pornographie et « la prostitution infantile ».
« Nous souhaitons donc – et nous nous y employons – activer tous les leviers en notre possession en vue de restreindre drastiquement cette exposition, et en faisant en sorte que chacun assume ses responsabilités » a-t-il embrayé.
Tous les leviers ? Une charte d’engagements vient ainsi d'être cosignée par plusieurs acteurs, FAI, opérateurs et éditeurs de système d’exploitation compris et même les fabricants de smartphones, avec un objectif : faire la promotion de ces logiciels de contrôle.
Outre ce contrôle parental, qui pourrait devenir obligatoire dans 6 mois si les engagements des signataires restent vains, le tout frais article 11 de la proposition de loi contre les violences conjugales permettra d’établir « une base légale plus solide grâce à laquelle les juges pourront poursuivre les sites qui se contenteraient de simples disclaimers ».
Ce n'est pas tout. La future loi Avia contre la cyberhaine contraindra pour sa part les plateformes, dont les réseaux sociaux, à supprimer en 24 heures « les contenus pornographiques auxquels des mineurs peuvent être exposés ».
Enfin, la plus lointaine loi sur l’audiovisuel va charger l’Arcom, habillage du couple CSA et Hadopi, du soin d'assurer « la protection effective des mineurs contre la pornographie ». Elle autorisera l’autorité à mettre en cause les plateformes qui diffusent des vidéos générées par les utilisateurs en imposant des mesures de restriction d’accès.
« L’article que nous vous soumettons aujourd’hui est donc un élément d’une stratégie globale, l’un des différents leviers que nous activons face à un problème complexe » a assuré le secrétaire d’État. Et pour cause, éditeurs, plateformes, fournisseurs d’accès, opérateurs, éditeurs de système d’exploitation… Tout l’écosystème est mis à contribution, parfois avec l’arme pénale sur la tempe.
Une sanction pénale faute de respecter l'impossible ?
Hervé Saulignac (PS) est l’un des rares à douter de l’applicabilité de l’article 11. « Il est en effet très facile aujourd’hui, même pour de très jeunes enfants, de se réfugier derrière des réseaux privés virtuels, ou VPN, qui permettent d’échapper à toute forme d’identification. Il est également assez facile, même si moins glorieux, d’emprunter la carte bancaire de papa ou maman. Cette question mérite donc que lui soit consacrée une proposition de loi à part entière... »
Selon l’élu, la meilleure solution serait avant tout de passer « par un énorme travail d’éducation : éducation des parents, bien sûr, et éducation des enfants à la vie sexuelle et affective, ainsi qu’à des pratiques nouvelles liées à internet ». Pour le député, « apprenons donc à nos enfants à utiliser internet. C’est le plus beau des outils, mais aussi une arme de destruction massive pour nos enfants ».
Dans l’hémicycle, Erwan Balanant (du même groupe) a axé son attention sur la difficulté technique face à laquelle les sites pornos vont devoir faire face. « Comment s’assurer qu’une personne est bien majeure ? ». Et celui-ci de rappeler l’échec du Royaume-Uni à instaurer une vérification d’âge à la porte des sites.
C’est là un point central. Les sites risquent de se retrouver dans une obligation délicate : devoir être certains de l’âge d’un internaute, et donc un visiteur distant, sous peine de lourde amende voire de blocage d'accès. Les travaux parlementaires n’ont toutefois pas permis d’obtenir de réponse satisfaisante.
Dit autrement, alors que le Royaume-Uni a préféré abandonner sa législation équivalente, faute d’avoir trouvé une solution de vérification d’âge, la France transfère sur les sites porno le soin de trouver cette quadrature du cercle. Et comme ce problème est impossible à résoudre, avec désormais une épée pénale sur la tête, voilà la quasi-totalité des sites X bientôt en infraction.
Comment respecter cette législation en devenir ? Dans le secteur, les interrogations sont partagées. « Je n’en ai aucune idée », nous confie Carmina, réalisatrice du site Carre Rose Films et en charge du site le Tag Parfait. « Personne ne s’est posé la question sur les modalités techniques. Sur les sites de ma production, il n’y pas d’images, mais des portraits de performers. Déjà là, je reste le plus sage possible ayant conscience que des mineurs trainent sur Internet faute pour leurs parents de les éduquer suffisamment. Si je dois imposer une vérification d’âge ou de carte bancaire avant même qu’on puisse accéder à mon site, c’est mort, c’est terminé. Je serai obligé d’arrêter ou de déménager et changer mon business plan ».
Une « panique morale »
Contactée, Éva Vocz, trésorière du STRASS, syndicat du travail sexuel, partage l’analyse non sans rappeler des exemples étrangers aux solutions parfois exotiques. Outre la tentative avortée outre-Manche, « l’Australie a proposé des technologies de reconnaissance faciale ». Une modalité à faire tressaillir les fidèles lecteurs du RGPD qui savent que les données sur le sexe et la biométrie sont classées dans la catégorie « sensibles » et donc surprotégées.
Il y a aussi eu le cas de l’Inde qui « a fait le choix radical d’une interdiction radicale du porno avec pour argumentaire la lutte contre la pédopornographie, mais un an plus tard, le pays a constaté une augmentation de 405 % de téléchargement de solutions de VPN par 57 millions d’utilisateurs ». Et la représentante du Strass de nous inviter à lire cet article du Tag Parfait.
Le syndicat dénonce en tout cas « une mesure prohibitionniste qui se concentre sur le porno comme étant à la racine des violences », une focalisation qui « ne porte pas sur les autres représentations », où « les rapports entre violence conjugale et pornographie ne sont pas justifiés, si ce n’est par une panique morale ! »
Du volet technique au volet économique
Économiquement, ce volet répressif contre le porno devrait avoir en tout cas des conséquences non négligeables dans ce secteur.
À titre individuel, « les travailleurs du sexe vont devoir trouver d’autres solutions comme passer par des productions étrangères. Des sociétés qui offriront, je le crains, de plus mauvaises conditions de travail (rapports non protégés, risques d’IST et MST, etc.) » explique la représentante du STRASS. « On va devoir accepter des pratiques qu’on ne faisait pas avant pour maintenir nos salaires ».
Pour Carmina, « cette législation va renforcer les grosses boites, déjà en position de force et qui produisent déjà du porno "mainstream", pas forcément diversifié dans la représentation des corps et des diversités. Cela ne fera donc que renforcer ce que l’on reproche au porno. Je ne suis pas anti-porno mainstream, mais il faut garder en tête que les seules qui essayent de faire du porno éducatif ou inclusif sont surtout les sites indés ».
Mais tout le secteur ne va pas nécessairement souffrir de ces tours de vis législatifs. Comme le montre la liste des auditions menées par Bérangère Couillard, seuls les deux gros éditeurs pornos, dont le plus célèbre d’entre eux, Dorcel, ont été entendus (p.148). Sa chaîne de télévision payante est diffusée par satellite, câble et xDSL, accessible après authentification. Un contrôle qui passerait sans mal entre les griffes du Code pénal mis à jour.
« Est-ce que cette prohibition ne va pas arranger ces gros acteurs ? se demande le STRASS. Ne sera-t-il pas dans leur intérêt de voir des pans entiers du porno, notamment indépendant, censuré en France pour espérer consacrer davantage encore leur monopole ? »
Contactés, ni l’éditeur Marc Dorcel ni la rapporteure Bérangère Couillard (LREM) n'ont donné suite à nos demandes. En tout cas, voilà 10 ans, en plein débat Hadopi, l’éditeur de films X n’évoquait pas vraiment la question des mineurs dans l’interview qu’il avait bien voulu nous accorder. Ses propos se focalisaient surtout sur le partage de la valeur.
Contre le téléchargement illicite, il préconisait le filtrage protocolaire des réseaux P2P, affirmant que « 90% des volumes de films tout confondus, que ce soit de l’adulte ou traditionnel, sont consommés de manière pirate sur le Net ». Et ce messie anticipait ce jour « où ces opérateurs seront bien obligés de prendre les mesures qui s’imposent, c'est-à-dire permettre l’accès au contenu de façon légale et payante et rendre impossible l’accès au contenu illégal ».