Streaming : comment va s'organiser la lutte contre le piratage des manifestations sportives

Coups de crampons
Droit 6 min
Streaming : comment va s'organiser la lutte contre le piratage des manifestations sportives
Crédits : Manuel Faba Ortega/iStock/Thinkstock

Le projet de loi sur l’audiovisuel veut injecter dans notre droit des mesures très ambitieuses pour lutter contre le streaming illicite des évènements sportifs : un juge pourra ainsi bloquer les sites même non encore identifiés sur les 12 mois à venir. Le point.  

À l’article 23, intitulé « Lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives », le gouvernement entend introduire dans le Code du sport, un dispositif spécifique pour lutter contre le piratage de ces retransmissions. Comment ? Par la voie d’un référé calibré pour tenir compte « de l’urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct de manifestations », à savoir le live streaming.

« À chaque minute de jeu, la retransmission perd de sa valeur » assure l’exécutif.

Que prévoit ce projet de loi, en sortie de débat en commission des affaires culturelles ? Le titulaire d’un droit sur une manifestation ou d’une compétition sportive (un championnat de foot, un tournoi de rugby, des matchs de tennis, des courses de F1, etc.) pourra saisir le président du tribunal judiciaire pour « obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

L’expression « toutes mesures » est suffisamment vaste pour imaginer par exemple un blocage entre les mains des FAI, par exemple. Le demandeur devra préalablement démontrer avoir constaté « des atteintes graves et répétées au droit d’exploitation audiovisuelle » et viser un site dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux repose sur la diffusion sans autorisation de ces évènements.

Qui pourra saisir le juge ? Les ligues professionnelles ou les chaines de TV qui bénéficient d’un droit exclusif.

À ce niveau, rien de révolutionnaire puisque l’article s’inspire à plein nez d’une disposition votée en 2009 à l’occasion de la loi Hadopi (l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui a servi encore au blocage de Time2Watch et de dizaines d'autres sites). 

Un blocage visant des sites à venir dans les 12 prochains mois

Dans le texte déposé par le gouvernement, une importante spécificité est à noter : le président du tribunal judiciaire pourra « notamment » ordonner le blocage, le retrait ou le déréférencement des sites « pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive dans la limite d’une durée de deux mois ».

En commission des affaires culturelles, un amendement adopté d’Aurore Bergé, corapporteure du texte (également déposé par le groupe LREM), a porté ce délai à 12 mois.

Concrètement, cela veut dire qu’une décision rendue le 1er janvier pourra ordonner le blocage des sites identifiés, selon un calendrier prévisionnel annexé à la demande de la ligue ou de la chaîne, pour toute l’année à venir.

« La durée de 12 mois pour la validité des mesures de blocage ou de déréférencement est destinée à couvrir l’intégralité d’une saison sportive, et à produire un effet utile sur les compétitions et manifestations sportives annuelles de courte durée, dans l’hypothèse où la décision du président du tribunal judiciaire serait rendue au cours ou à l’issue de celle-ci » indique Virginie Duby-Muller, qui a déposé une rustine identique avec d’autres députés LR.

« Il s’agit de lutter immédiatement et donc plus efficacement contre les sites ou services miroirs qui, nonobstant le prononcé d’une décision de justice, utilisent des méthodes de contournement pour porter atteinte aux mêmes droits. »

Tous les acteurs pourront être mis à contribution, à en croire ces amendements LREM et LR eux aussi adoptés :

  • « Les hébergeurs, à même de retirer un contenu du site concerné (page, compte) »
  • « Les navigateurs, qui peuvent être utilisés pour contourner les mesures de blocage mises en place par les fournisseurs d’accès par le biais de technologies de chiffrement du DNS » (une réponse au DNS-over-HTTPS ou DoH)
  • « Les fournisseurs de nom de domaine, qui peuvent bloquer l’intégralité des voies d’accès à un site internet »
  • « Les moteurs de recherche et annuaires, qui permettent de trouver les sites illicites »

La liste n'est pas exhaustive puisque l’amendement AC867 prévoit que l’ordonnance pourra concerner « toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes ».

Mieux. La décision pourra viser non seulement des sites identifiés, mais même des sites non encore connus à la date de son prononcé ! La mesure a passé le cap de la commission sur proposition d’Aurore Bergé. La députée LREM explique dans l’exposé des motifs que la cible est les sites de contournement ou miroirs, ceux « qui partagent les mêmes contenus illicites que les sites bloqués et constituent une négation de la décision de justice ».

Un détail : les retards ne seront pas vraiment acceptés : « à compter de sa saisine, prévient cet autre amendement, le président du tribunal judiciaire se prononce[ra] dans un délai permettant la mise en œuvre utile des mesures ordonnées pour assurer la bonne protection des droits ». En clair, il devra rendre sa décision le plus tôt possible, idéalement avant le début de la compétition.

Des listes noires actualisées en collaboration avec l'Arcom

Dans le texte gouvernemental, il était initialement prévu une deuxième phase pour actualiser, devant le juge, la liste des miroirs. La disposition a été effacée puisque la première ordonnance permettra de couvrir l’année entière. Il ne sera donc plus nécessaire pour les organisations de saisir la justice à deux reprises.

Mais comment sera actualisée la liste, alors que l’ordonnance permettra de s’attaquer aux sites non encore identifiés ? Simple : un autre amendement des deux corapporteures prévoit que le demandeur (donc la ligue ou la chaîne) communiquera au défendeur (FAI, hébergeurs, fournisseurs de NDD, éditeurs de navigateur…) « Les données d’identification nécessaires, selon les modalités recommandées par l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. »

En somme, il reviendra à l’ARCOM d’apporter son concours dans l’identification et la caractérisation des sites miroirs, et c’est sur cette base que la liste noire réactualisée sera adressée aux éditeurs de logiciels ou intermédiaires techniques. Lesquels devront s’exécuter.

Masqués, les agents de l'Arcom pourront infiltrer les échanges en ligne

Avec le AC1348, Sophie Mette et Aurore Bergé encore, ajoutent enfin neuf alinéas à l’article 23. L'enjeu ? Doter les agents de l’Arcom du pouvoir de constater les atteintes aux intérêts des ligues et des chaînes de TV. Ils pourront alors participer sous pseudonyme à des échanges en ligne et y glaner tous les éléments de preuves nécessaires. Les informations seront consignées sur un procès-verbal et pourront être communiquées aux demandeurs. Ainsi, la liste des sites à bloquer pourra être actualisées plus facilement.

Pour les chaînes et les ligues professionnels, l’affaire s'avère excellente. D’un, l’Arcom, financée sur fonds publics, agira comme auxiliaire de leurs intérêts. De deux, naîtra l’espoir que les brebis égarées abandonneront rapidement le streaming pour s’abonner aux flux légaux. De trois, ces internautes subiront en outre la publicité par volets ou fenêtres puisque le projet de loi sur l’audiovisuel va autoriser la pub sur les « écrans partagés » durant ces évènements.

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