Le poison des ayants droit : les annuaires de films
L’industrie du cinéma français (SEVN, FDNF, APC) a demandé le blocage de quatre sites appartenant à la galaxie Allo : Allostreaming.com, Alloshowtv.com, Alloshare.com et Allomovie. Un blocage chez les principaux FAI français (Auchan, Bouygues, Darty, Free, Numericable, Orange, SFR), mais pas seulement. Les ayants droit réclament aussi le nettoyage des moteurs de recherches d'Orange, Microsoft Bing, Yahoo! et Google. Surprise : à l'égard de Google, la demande de déréférencement est mondiale ! PC INpact publiait vendredi en exclusivité la mise en demeure. Voilà maintenant notre analyse des principaux points.Les ayants droit du cinéma ont utilisé l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, un article jusqu’alors "dormant" mais désormais star, inscrit dans la loi Hadopi dès les origines du texte. Cet article permet de réclamer du juge tout, à l’égard de n’importe qui, dès lors que cela permet de faire cesser ou prévenir une atteinte aux droits des auteurs et des producteurs.
Ce « tout » recèle en ses lignes le cheval de Troie du blocage et le filtrage disions-nous dès le mois de février 2009. Et c’est ce canasson que les ayants droit ont décidé de seller et sortir de l’écurie. Ce 336-2 a même un bel avenir : il devient avec cette action en référée le cheval de course pour traquer après l’illicite et le faire sortir de la piste des réseaux.
Problème : le maniement du 336-2 n’est pas aisé et pour sa première sortie depuis le vote d'Hadopi, les ayants droit ont dû soigner la mise en demeure adressée aux FAI et aux moteurs. Ce dossier qui sera examiné le 15 décembre en référé au TGI de Paris explique donc au juge, rapport technique à l’appui, le poison : les annuaires de films en streaming. Et l'antidote : le blocage d’accès.
Mais ce n’est pas tout. Ces mêmes ayants droit craignent que les sites miroirs se démultiplient quelques minutes après la décision de blocage (effet Streisand, encore constaté avec Copwatch). Ils ont donc fait appel à une société bien connu de l’univers Hadopi, Trident Media Guard, qui a conçu une solution logicielle destinée à éradiquer préventivement les sites clones ou miroirs d'un site déjà bloqué. Avec elle, l'industrie compte introduire en France le mécanisme de Notice and Stay Down à l'égard des sites et des moteurs.
Voilà les grandes lignes de cette mise en demeure. Entrons maintenant dans le détail en nous plongeant dans le poison avant d’analyser l’antidote.
Le poison : les sites d'annuaires de liens
Les ayants droit savent que les fichiers d’Allostreaming & co sont hébergés sur des plateformes comme Megaupload, RapidShare etc. Ces stockages en ligne ont cependant une sale qualité. Ils ne disposent pas de moteur pour identifier et donc quantifier le taux de fichiers illicites. Du coup, en bloquant tout Megaupload, ils impacteront des contenus licites, victimes collatérales de cette arme nucléaire (« il n’y a pas d’arme thermonucléaire chirurgicale »)Le Conseil constitutionnel avait bien senti ce risque lors de son examen de la loi Hadopi. il avait du coup assorti la validation du 336-2 d’une réserve interprétative : les ayants droit ne peuvent réclamer avec cet article que des « mesures strictement nécessaires à la préservation » de leurs droits. En conséquence, s’attaquer à Megaupload et bloquer du licite, c’est prendre le risque de violer la réserve constitutionnelle.
Que faire ? Reste la cible des annuaires de liens, type AlloStreaming & co. La situation est ici plus aisée : on a un moteur de recherche, les catégories sont là, les titres aussi. Il est donc simple – quoi que fastidieux - pour l’ALPA de faire des constats à la chaîne pour jauger l’illicite et l’illicite. D'ailleurs pour la galaxie Allo, l'illicite frôlerait les 100% selon ces constats.
Dans la mise en demeure, les syndicats du cinéma cautériseront immédiatement la critique de la censure et de l’atteinte à la liberté d’expression. Ces sites « ne sont en rien des véhicules de la liberté d’expression » mais représentent « une activité commerciale illégale, grossièrement et massivement développée au détriment des titulaires de droits exclusifs, de la création, des structures les défendant et des États. Ils constituent un « pied de nez » à une naïveté politique parfois opportunément répandue » (p. 12 de l’assignation).
La galaxie Allo est, toujours pour l’industrie, « des aimants à internautes » constitués « à l’aide d’un catalogue de milliers de contrefaçons ». Et une petite affaire qui roule puisque, selon l’ALPA, armée d’une estimation signée Websiteoulook, ces sites génèreraient 76 600 euros de revenus publicitaires chaque mois.
L'antidote issu de la loi Hadopi et la réaction des intermédiaires
L'antidote : l'article L336-2
Pour traiter ce poison, différentes seringues juridiques sont la trousse de secours des ayants droit. C'est principalement l’action en responsabilité ou l’action en contrefaçon. Problème, pour attaquer, il faut connaître le nom des administrateurs de ces sites. Or les ayants droit assurent que les données Whois ne sont pas exploitables. Elles sont soient anonymes soit invérifiables. Autre soucis, la galaxie Allo repose sur une constellation d’hébergeurs, évolutive, changeante et éclatée à l’échelle internationale. Certes, l’ALPA a bien tenté d’envoyer un échantillon de notifications de retrait mais elles ont été ou bien sans effet ou bien suivies de réintroduction immédiate. Voilà donc pourquoi le choix du 336-2, qui fut défendu par Riester lors des débats Hadopi, s’impose comme une évidence, selon eux.Une notification assortie d'un bonus signé TMG
Mi-août, les syndicats du cinéma adressent donc une série d’assignation aux principaux FAI et moteurs de recherche (voir celle de Google), les enjoignant de bloquer les quatre sites Allo.Mais cette action en cessation est lestée d’un petit bonus signé TMG. En plus de bloquer, ces intermédiaires devront obéir aux analyse d'un outil conçu par l’ALPA et TMG pour prévenir la réapparition de sites miroirs. Quant aux moteurs, il leur est demandé de désindexer « globalement » une ribambelle d’URL menant vers des films en streaming sur Allostreaming & co. Globalement ? En fait…dans le monde entier !
La réponse des intermédiaires
Quelles furent la réponse des intermédiaires ? Google a été coopératif. Très coopératif même. Plutôt que désindexer le stock d’URL, le moteur a déréférencé les 4 sites dès la mi-septembre. En France, mais également à l’échelle de la planète. Quand on connaît la Googlodépendance du web, on devine le coup de massue d’une telle purge.Yahoo! a expliqué que son moteur est propulsé par Bing de Microsoft. Darty ? Qu’il n’est qu’un opérateur de service, non un opérateur télécom… Les ayants droit contesteront ces deux points : Darty est un FAI déclaré à l’ARCEP et Yahoo peut être visé par cette mesure même s’il utilise le moteur d’un tiers.
Free, l'efficacité et la LCEN
Free développera des arguments autour de l’inefficacité de la mesure. « Le blocage au niveau de l’accès ne saurait être efficace plus que quelques minutes compte tenu de la très forte réactivité des exploitants de sites bloqués et de la tendance observée en matière d'hébergement dynamique ».Autre front : le FAI invite les ayants droit à s’adresser d’abord aux hébergeurs. Enfin, il souligne que « les règles d'exploitation d'un réseau soumis à des prescriptions particulières au titre du Code de la défense ne lui permettaient pas de mettre en œuvre tout blocage de type "DNS" qui au demeurant est d'une fiabilité aléatoire compte tenu du développement de DNS alternatifs (comme par exemple le service offert par Google chrome) associés le cas échéant à des applications disposant de leurs propres clients DNS/VPN embarqués »
Free demandait ainsi aux ayants droit d’agir prioritairement devant les hébergeurs. Mais pour les ayants droit cette chronologie de l’action n’est valable que pour la responsabilité des intermédiaires techniques (LCEN) laquelle est inopérante ici.
Pourquoi ? Allostreaming & co ne sont pas des hébergeurs de fichiers mais des éditeurs de sites qui fournissent un choix, un contenu éditorial en vue de faciliter l’échange. Ils ont un rôle actif dans ces opérations et sont donc privés du régime plus protecteur de l’hébergement. Et quand bien même ce régime leur serait reconnu, considèrent les ayants droit, « l'objet intrinsèquement illicite de ces sites de liens exclut à l'évidence toute discussion fondée sur leur éventuelle qualité d'hébergeur » (§168).
Une neutralité du net réservée aux seuls contenus licites
Orange et la neutralité du net
Orange prendra pour bouclier le principe de neutralité et surtout qu’il entendait « en aucune manière prendre le risque de méconnaître les droits fondamentaux de ses clients, et notamment la liberté de communication consacrée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel à propos de l'internet, en procédant « à la mise en œuvre spontanée » du blocage de certaines adresses IP et d'un « outil » mis au point par l’ALPA , indépendamment de toute décision préalable de l'autorité judiciaire » (p.40 de la mise en demeure)A ce principe de neutralité, les ayants droit répondent que « ce « principe » ne fait l'objet d'aucune régulation contraignante à ce jour, mais surtout, il est le plus souvent présenté de manière inexacte. En effet, l'objet de la neutralité du net ne consiste pas à imposer un traitement neutre et équitable de « tout contenu » sur l'Internet, mais seulement « de tout contenu licite », en parfaite adéquation avec les principes généraux gouvernant, en droit positif, le périmètre des libertés fondamentales ».
Une neutralité du net réservée aux seuls contenus licites
Neutralité du net, oui, mais seulement pour les contenus licites. Un peu comme si la Poste ne transférait que les contenus "licites"...Quid des autres acteurs, SFR, Numericable, Microsoft, & co ? Ils n’ont tout simplement pas répondu à cette notification.« Le principe de neutralité du net s'adresse donc aux acteurs de 'Internet afin de leur imposer le traitement équitable des contenus licites disponible, dans une perspective de développement économique et de concurrence loyale. A cet égard, il est notamment demandé aux acteurs de l’Internet de veiller au traitement équitable des contenus émis par leurs concurrents. Tout débat qui porterait sur l'extension de la neutralité du net aux contenus illicites serait donc arbitraire, vain et dilatoire ».
L’action en cessation, quand "efficace" justifie l'outil TMG
On en vient donc au cœur du dossier : l’action en cessation, action spéciale introduite par la loi Hadopi et codifiée à l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Les ayants droit vont déterrer ce texte, jamais appliqué, pour l’interpréter sous la lorgnette européenne. Tout l’argumentation glissera, coulera, se répandra pour justifier la mise en mouvement de l’outil TMG.Selon eux, le droit européen impose que les mesures prises par le L336-2 doivent être « efficaces », sous-entendu que le dispositif ne puisse pas être frappé d’obsolescence dans les heures qui suivent l’ordonnance : « le juge saisi de demandes visant à bloquer l'accès à des sites tels que ceux de la nébuleuse "Allostreaming" (…) doit interpréter les textes de son droit national de façon à ce que les mesures prises, par leur nature, leur combinaison et leur actualisation puissent revêtir une certaine efficacité, ne pas être frappées d'obsolescence dans les heures suivant le prononcé de l'ordonnance et ne pas produire d'effets injustifiés » (§192)
Ces notions d’efficacité du blocage et du risque d’obsolescence des mesures occupent plusieurs paragraphes de la mise en demeure.
Justifier l'outil TMG par l'éclosion des sites miroirs
Par exemple, dans sa réponse, Free explique en substance que le blocage ordonné le lundi à 14h sera contourné le même jour à 14h01. Les ayants droit rétorquent que c’est justement parce que ces mesures risquent d’être inefficaces que le juge doit trouver les meilleurs stratagèmes pour éviter l’éclosion d’une myriade de sites miroirs. Le juge, considèrent-ils, doit s’assurer de « l'effectivité des mesures qu'il ordonne, tenant compte d'une part, de l'évolution des contenus présents sur le site bloqué, et d'autre part, des nouveaux chemins d'accès qui viendraient à conduire vers la même activité litigieuse ».TMG et le blocage anticipatif et évolutif des sites
Les liaisons avec les missions anti-streaming-DDL de la Hadopi
Autre argument adressé à Free par les ayants droit : « il est mal avisé, et en tous cas prématuré, de considérer que le juge judiciaire serait dans l'incapacité d'ordonner des mesures concernant les réseaux numériques dans des conditions leur évitant une obsolescence quasi instantanée. La HADOPI pourra, le cas échéant, formuler des propositions de modification législative dans l'hypothèse aide droit positif s'avérerait lacunaire ou inapplicable ». Belle liaison avec les toutes récentes missions anti Streaming-DDL de la Hadopi.Blocage DNS, IP, déréférencement et anti-réapparition
Donc l’idée qui arme le 336-2 et la démarche des ayants droit est de faire bloquer « le trouble illicite » (Allostreaming & co) mais encore « en empêcher la continuation ou la réitération ». C’est là qu’entre en scène l’outil développé par TMG et l’ALPA. Un outil « efficace » qui serait parfaitement « proportionnel » et donc conforme aux vœux du droit européen et du droit Conseil constitutionnel.§231 de la mise en demeure :
Pour résumé, dans les cuisines des ayants droit, se préparent un système de blocage à deux étages couplé à un mécanisme de déréférencement des noms de domaine litigieux.« L’ALPA s'est faite assister d'un expert en matière de réseaux — ADOMIA — aux fins d'analyser la situation concrète de chaque site et de valider les solutions techniques envisagées. Dans un second temps, Trident Media Guard (TMG) par ailleurs prestataire retenu par les titulaires de droits pour mettre en oeuvre la plateforme de détection des violations de droits exclusifs aux fins de transmission à la HADOPI, a été sollicitée aux fins d'écrire les programmes informatiques correspondant à l'architecture du dispositif conçu à l'ALPA aux fins de mise à jour permanente des éléments ayant fait l'objet d'une décision judicaire de blocage »
Outre ce blocage-déréférencement, l’outil TMG assurera derrière la mise à jour, le suivi des adresses IP et DNS afin de bloquer l’existant et le futur. Les ayants droit ne veulent pas démultiplier les ordonnances de blocage. Ils veulent donc que les sites ayant des traits communs avec Allostreaming & co soient bloqués, automatiquement, sans intervention du juge qui n’aura donc qu’à leur accorder un blanc-seing, par anticipation.« Les syndicats demandeurs se doivent de compléter leur demande de blocage de l'accès aux sites par le nom de domaine (blocage par DNS, NDLR), couplé au déréférencement lesdits sites des moteurs de recherche, complété par une demande de blocage de l'accès à ces sites par leur adresse IP (bocage par IP, NDLR)» (§238).
Le traitement, en pratique
Comment se déroulera le processus TMG - ayants droit ? Tout est expliqué p.85 du document.Une ou plusieurs sites seront placés dans une base de données. Ensuite…
Ces phases sont découpées en deux scénarios ;« D’une part, un dispositif logiciel a été mis au point pour permettre d'effectuer un suivi permanent et en temps réel des sites, de leurs adresses IP et de leurs noms de domaine, pour signaler et traiter tout changement pouvant intervenir postérieurement à la décision judiciaire de blocage d'accès et de déréférencement des moteurs de recherche.
D'autre part, une intervention humaine a été prévue pour vérifier une situation signalée par le dispositif logiciel, et procéder à un rapprochement avec une situation antérieurement traitée afin de valider la similarité des situations litigieuses justifiant les mesures prises, dans le cadre d'une veille permanente pour permettre aux agents assermentés de traiter à tout moment (tous les jours de l'année) les signalements correspondants ».
« Ou bien le dispositif utilisé, après comparaison des paramètres clés d'identification des sites internet objets de la présente procédure permet de constater que les modifications intervenues n'affectent aucun des paramètres clés sur le fondement desquels l'autorisation de blocage a été accordée, et dans ce cas la mesure de blocage ordonnée par le juge s'étend à l'adresse IP qui a été substituée à celle ayant fait l'objet de la décision de blocage initial, la précédente adresse IP étant alors elle-même débloquée,
Ou bien le dispositif utilisé, après comparaison des paramètres clés d'identification des sites internet objets de la présente procédure, permet de constater et de faire confirmer par un agent assermenté l'apparition de sites nouveaux qui ne constituent que la copie de ceux dont l'accès a été bloqué, et il convient alors de permettre aux mesures de blocage prononcées de maintenir leur efficacité en étendant leurs effets à ces situations strictement similaires. Il en va de même, dans les mêmes circonstances, d'un nouveau nom de domaine se substituant au nom de domaine initial ».
Si un site X reprend les caractéristiques (code source, etc.) d’un site Allostreaming, le logiciel réagira, avec ses pleins voyants verts. Alors l’agent assermenté sera « autorisé à notifier tout changement aux intermédiaires techniques de l'Internet parties à la procédure pour qu'ils en tiennent compte dans un délai raisonnable ».
FAI, moteurs, registrars, prestataires d’anonymisation
Intermédiaires techniques ? Pour les ayants droit ce seront les FAI, les hébergeurs, mais aussi les bureaux d’enregistrement de nom de domaine et des prestataires d’anonymisation (!) (§261) Sous oublier les moteurs pour les demandes de déréférencement. Bref : toute la planète internet.Et si un site miroir ne ressemble pas tout à fait à un site bloqué ? En cas de doute, notre agent assermenté saisira le juge. Bien entendu, l’agent sera seul à bord pour décider s’il y a doute ou pas. Le juge intervient en amont, et donc éventuellement en aval si l’agent estime sa saisine nécessaire.
Purge globale des moteurs et des coûts supportés par les intermédiaires
Demander au juge de se déconnecter
La mise en demeure demande en conséquence à la justice de se déconnecter, de « s’hadopier » et de faire confiance aux ayants droit. Apprécions le « quasi-exhaustif » :« Si les paramètres clés de l'identité des sites concordent de façon quasi-exhaustive sur les différents pages, donc sur les différents codes sources, alors une vérification par agent assermenté sera effectuée, et en l'absence de contradiction entre le résultat du processus automatisé et les constatations de l'agent, une notification sera adressée aux prestataires techniques parties à la procédure afin de réaliser l'actualisation de la mesure ordonnée ».
Take down & stay down appliqué aux sites Internet
Cette mécanique technico-juridique n’est en fait qu’une manifestation du Take Down & Stay Down, que les ayants droit aimerait implémenter pour les sites internet.Dans une consultation sur le droit d’auteur (IPRED) lancée par Bruxelles, souvenons-nous que la France avait soutenu elle-même cette piste : « la procédure dite de "notification et retrait" pourrait être précisée afin d'indiquer qu'elle prévoit d'éviter la nouvelle remise en ligne par un autre utilisateur du même contenu contrefaisant le droit d'auteur ou les droits voisins (procédure "notice and keep off" ou "notice, take down & stay down"). Cette mesure n'est qu'un exemple qui ne doit pas limiter une réflexion plus large sur les mesures préventives de filtrage et de détection des contrefaçons ».
Les ayants droit français veulent une purge mondiale des moteurs
Revenons un instant sur la situation des moteurs. Les ayants droit réclament une mesure musclée. Très musclée.Les syndicats du cinéma feignent de prendre des pincettes :« Les mesures demandées seraient à l'évidence frappées d'inefficacité dans l'hypothèse où elles ne seraient prononcées qu'en ce qui concerne la déclinaison locale de chacun des moteurs de recherches concernés, par exemple Google.fr ou Yahoo.fr En effet, il suffirait alors à l'internaute français d'utiliser les services de Google.be (Belgique) ou Google.ch (Suisse), au surplus services francophones, pour contourner très facilement un déréférencement qui ne serait applicable qu'à Google.fr. »
En pratique, les ayants droit militent pour une secousse tellurique dans toutes les versions des moteurs, en fait, bloquer les quatre sites Allo à l’échelle mondiale chez Google, Yahoo ou Bing. Imagine-t-on simplement si l’outil est repris dans tous les pays même ceux démocratiquement incertains ?« sans rechercher une application extraterritoriale du droit français, le périmètre d'application des mesures de déréférencement sollicitées doit être défini par les moteurs de recherche dans les conditions qui garantissent l'efficacité de la mesure. »
Ce nettoyage n'est pas seulement curatif. il est aussi anticipatif. Chez Orange, Google, Yahoo ou Bing, chaque moteur devra automatiquement rechercher et traiter les données afin d'éviter la réapparition des liens dans les algorithmes.« Il appartient aux moteurs de recherches concernés d'adapter les technologies qu'ils utilisent pour faire en sorte que seules soient prises en compte dans le cadre du déréférencement les requêtes qui émanent d'internautes disposant d'une adresse IP allouée par un des fournisseurs d'accès français, parties à la présente procédure, dans les conditions publiquement accessibles à tous, par exemple à partir de la base de données de l'organisme RIPE NCC (Réseaux IP Européens — Network Coordination Centre), c'est à dire le registre régional d'adresses IP qui dessert l'Europe et une partie de l'Asie. »
Bloqué un jour, bloqué toujours :
Impossible ? Irréalisable ? Les syndicats prennent Google en exemple pour contredire ces affirmations. « La désindexation d'un moteur de façon globale ne paraît guère poser de problème technique à en juger par la décision volontaire mise en application par Google s'agissant de l'ensemble des titres de la presse Belge après que la justice du pays voisin eût rendu une décision imposant certaines mesures ».« si les prestataires en la cause ne peuvent être tenus d'une obligation de contrôle a priori des sites indexés par leurs moteurs de recherches, contrôle qui est matériellement impossible à réaliser, il leur appartient en tant que moteur de recherche d'éviter le renouvellement de l'accès par des utilisateurs à des sites dont il est établi qu'ils ne sont constitués pratiquement que de liens pointant vers des contrefaçons, et qu'ils ont connaissance de cette situation consécutivement à la transmission des procès-verbaux de l'Alpa et à la mise en demeure qui leur a été adressée par les syndicats professionnels des secteurs concernés »
Autre argument : Google a désindexé mondialement Allostreaming & co après la notification des syndicats de l’audiovisuel. Il a donc démontré la parfaite faisabilité de la démarche. D'ailleurs, les syndicats veulent lui interdire de réintroduire Allo dans une quelconque de ses pages à l'échelle de la planète :
Des coûts supportés par les seuls FAI et moteurs
Au fil de la mise en demeure, les ayants droit détailleront aussi la problématique des coûts. « Qui doit supporter les coûts en cause ? Les victimes des activités délinquantes en question ? Les intermédiaires techniques de l'Internet ? L'Etat ? ».La réponse des ayants droit prend appui sur les différentes lois qui ont organisées le blocage en France (ARJEL et LOPPSI) : « Le coût d'investissement nécessaire à la mise en place d'une infrastructure permettant le blocage de sites web par adresse IP ou par nom de domaine a déjà été financé » considèrent les syndicats audiovisuels.
Les lois en question prévoient en substance de rembourser les surcoûts subis par les FAI dans le blocage des sites. Voilà donc la brèche dans laquelle s’infiltrent les ayants droit : « Les intermédiaires techniques dont le concours peut être sollicité pour procéder à des blocages de sites bénéficient donc déjà d'une "compensation" devant être acquittée par l'Etat. (…) Or cet investissement une fois fait, il n'y a pas lieu de le facturer plusieurs fois. Bloquer l'accès à un site de jeux non autorisé, à un site à contenu pédo pornographique ou à contenu contrefaisant procède du même effort ».
Dans le doute, si d'autres surcoûts devaient être constatés (blocage, logiciel TMG), les ayants droit demandent au juge de faire les peser sur les seules épaules des FAI et des moteurs.
Un dicton chinois pour fêter l'activation du blocage
Au final, les ayants droit reconnaissent que la solution est imparfaite, qu’il y aura toujours des resquilleurs, des brèches, des contournements… Mais pour justifier leur blocage anticipatif, déconnectant le juge et où la coopération des FAI et des moteurs sera obligatoire sous astreinte de 20 000 euros par jour, ils s’inspirent de la Chine d’où ils puisent ce dicton fleuri :
« La Longue Marche a commencé par le premier pas ».