Le projet de loi sur le séparatisme est mort. Vive le projet « confortant les principes républicains ». Présenté en Conseil des ministres le 9 décembre prochain, le texte contient des mesures relatives aux nouvelles technologies, avec des dispositions centrées sur la lutte contre la haine en ligne.
Annoncé après l’attentat contre Samuel Paty, le projet de loi va permettre à la majorité de relancer une salve d’articles pour lutter contre les propos illicites en ligne.
Cédric O avait déjà annoncé des obligations de moyens imposées sur les épaules des plateformes. Ce corpus n’apparaît pas dans le texte du projet de loi révélé par Dalloz.
Ces mesures avaient déjà été imaginées à l’occasion de la loi Avia. Les intermédiaires comme Facebook ou Twitter auraient ainsi été tenus, sous l’œil du CSA, à révéler les moyens dévolus à cette lutte contre la haine en ligne.
Ces articles n’avaient toutefois pas survécu à la censure massive du texte par le Conseil constitutionnel, puisqu’ils étaient raccrochés à la disposition phare de la proposition de loi Avia tendant à obliger les plateformes à retirer les contenus « manifestement » haineux dans les 24 heures. Mesure jugée contraire à la liberté d’expression et de communication.
Dans le projet de loi « CPR » deux articles concernent spécifiquement la haine en ligne. Le 25 crée le délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations personnelles. L’article 26 veut combattre les sites miroirs.
La première disposition est inspirée de celle interdisant la diffusion des images de policier, qu’on retrouve dans la proposition de loi sur la Sécurité Globale. La seconde est puisée dans les décombres de la proposition de loi Avia.
Le délit de mise en danger de la vie d’autrui
Cette mesure avait été annoncée par Jean Castex lors d’une session de questions-réponses parlementaires, « C’est parce qu’il a été nommément désigné par les réseaux sociaux que Samuel Paty a été assassiné » avait expliqué le Premier ministre. « La censure du Conseil constitutionnel doit nous amener à reprendre ce sujet sous une autre forme, qui devra créer un délit de mise en danger par la publication de données personnelles ».
Que prévoit ce nouveau délit ?
« Le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelques moyens que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »
Un second alinéa indique que
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende »
Le texte est très vaste. Pour que la peine puisse s’abattre sur un internaute, il faudra d’abord révéler, diffuser ou se contenter de transmettre.
Ces actions devront concerner non pas des données à caractère personnelles, mais des « informations » sur la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne. Ces données devront être suffisamment précises pour identifier cet individu, voire simplement le localiser (cet enseignant travaille ici, il sort à telle heure, par exemple).
Il devra être démontré par ailleurs que ces révélations, diffusions, transmissions ont été faites dans un but malveillant : celui d’exposer ladite personne à un risque d’atteinte à la vie, à l'intégrité physique et même à l'intégrité psychique d'une personne. L'article veut également tenir compte des atteintes à ses biens (sa maison, sa voiture).
L’infraction ressemble fort à celle introduite dans la proposition de loi des députés LREM sur la Sécurité Globale en son article 24 :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Exception faite du critère du « risque immédiat », on retrouve peu ou prou les mêmes ingrédients : une diffusion, un but malveillant et l’identification d’une personne. La disposition du projet de loi gouvernemental « confortant les principes républicains » prévoit toutefois une peine plus sévère : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, contre 1 an et 45 000 euros dans la proposition de loi Sécurité Globale.
Autant dire que les débats actuels à l'Assemblée nationale sont cruciaux pour l'avenir de cette future disposition, surtout si le Conseil constitutionnel venait à juger que la condition de l'atteinte à l'intégrité psychique est trop floue.
La lutte contre les sites miroirs
Cet article 26 est directement inspiré de l’article 8 de la proposition de loi Avia. On retrouve la même logique : une décision judiciaire de blocage d’un site internet vise un site. Son contenu réapparait ensuite, par exemple via le dépôt d’un nouveau nom de domaine.
Dans un tel cadre, une autorité administrative (le CSA, l’OCLCTIC, ou autre, le texte ne le précise pas), saisie au besoin par toute personne intéressée, pourra demander aux fournisseurs d’accès d’étendre ce blocage à ce nouveau domaine.
De même, les parties à la procédure judiciaire pourront réclamer pareilles restrictions directement dans les mains des FAI.
L’autorité administrative pourra aussi demander aux moteurs de déréférencer ces nouveaux sites reprenant des contenus déjà condamnés par le premier jugement.
Que se passera-t-il si le FAI ou le moteur ne répond pas à cette demande ? Un tribunal pourra être saisi d’urgence pour ordonner cette fois ce blocage.
D’autres mesures attendues
Jean Castex avait prévenu en séance : « le gouvernement étudiera toutes les propositions d’où qu’elles viennent dans cet hémicycle. Dès lors qu’elles seront constitutionnelles, efficaces et applicables ».
En somme, c’est un appel du pied pour un nouveau texte sécuritaire. On devrait donc tout naturellement voir réapparaitre l’ensemble des amendements rejetés à l’occasion des débats actuels sur la Sécurité Globale.