Emmanuel Macron et les autres multirécidivistes de la guerre contre « l’anonymat »

Le petit bonhomme anonymous
Droit 10 min
Emmanuel Macron et les autres multirécidivistes de la guerre contre « l’anonymat »
Crédits : lofilolo/iStock/ThinkStock

Une nouvelle fois, Emmanuel Macron imagine, pour mieux l’attaquer, l’existence d’un « anonymat » en ligne. Un chef de l’État multirécidiviste sur le sujet, comme bon nombre de prédécesseurs. Notre panorama de cette guerre contre « l’anonymat ».

Emmanuel Macron, lors d’une interview accordée au Point, publiée ce mardi 12 avril assure que « dans une société démocratique, il ne devrait pas y avoir d'anonymat. On ne peut pas se promener encagoulé dans la rue. Sur Internet, les gens s'autorisent, car ils sont encagoulés derrière un pseudo, à dire les pires abjections ».

Une nouvelle fois le président de la République, aujourd’hui candidat à sa réélection, revient à la charge contre « l’anonymat » en ligne, qu’il mélange allègrement avec le pseudonymat, entretenant la confusion sur le sujet.

Si le premier empêche de remonter à l’origine de l’internaute derrière le clavier, le second se contente d’imposer un voile sur l’identité que peuvent lever les autorités judiciaires, en réclamant les adresses IP au prestataire, puis l'identification de cette adresse auprès des fournisseurs d'accès.

Ce n’est pas la première, ni sans doute la dernière fois, que le sujet revient sur la scène politico-médiatique du PHIF, la Petite Histoire de l’Internet Français. En mai 2010, le sénateur Jean-Louis Masson déposait ainsi une proposition de loi « tendant à faciliter l'identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des blogueurs professionnels et non professionnels ».

L’élu soutenait que « compte tenu de la multiplication des sites et des propos litigieux qu'ils peuvent contenir, il apparait de plus en plus nécessaire de faciliter l'exercice concret du droit de réponse des personnes nommément mises en cause par des auteurs anonymes ». Et celui-ci d’imaginer l’obligation pour les blogueurs de révéler leur vraie identité, à l’instar des éditeurs de sites professionnels. 

Le texte était resté dans les tiroirs du Sénat, où il croupit depuis parmi d’autres suggestions du même niveau. Le début d'une longue série. 

« Comme va le faire la Chine »

En 2010, le député André Wojciechowski avait tout autant dénoncé « les dérives de l’anonymat », suggérant de rendre « plus responsables les utilisateurs du dialogue sur Internet », en instaurant « l'obligation de déclarer sa véritable identité ».

En charge du numérique à Bercy, Nathalie Kosciusko-Morizet lui avait patiemment expliqué, dans sa réponse parlementaire, qu’ « obliger les internautes à publier leur identité ne les empêcherait pas de mentir s'ils le souhaitent, sauf à contraindre chaque internaute à détenir et à utiliser systématiquement des outils de preuve d'identité, comme va le faire la Chine ».

La question de « l’anonymat » a régulièrement agacé les politiques. « Sur Twitter, il y a beaucoup de lâches qui insultent cachés derrière leur anonymat ce qui me conforte dans l'idée qu'il faudrait l'interdire », expliquait en 2012 Nadine Morano. 

Le 6 novembre 2013 sur l’antenne de BFM, Malek Boutih, député PS de l’Essonne, donnait son analyse :  « si on a aujourd’hui un tel développement de propos inacceptables, d’ailleurs sur le racisme comme sur plein de sujets, c’est qu’Internet est pour l'instant une sorte de Far West. Les gens qui font des commentaires racistes ou des commentaires sexistes ou désobligeants sont des gens qui sont cachés derrière l’anonymat. Tant qu’on est derrière l’anonymat, ce sont les pires pulsions qui existent, et c’est pour cela qu’on voit cela. »

En décembre 2013, François Hollande lui-même cherchait aussi des moyens pour « éviter la tranquillité de l’anonymat qui permet de dire des choses innommables sans être retrouvé ». 

En août 2016, le député Éric Ciotti (LR) remettait le couvert imaginé par André Wojciechowski, en proposant que la création de comptes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter...) ne soit possible qu’après vérification d’une pièce d’identité.

Il en décrivait déjà le mode opératoire : « si quelqu’un veut ouvrir un compte Twitter, Facebook ou encore Snapchat, il devra au préalable fournir une pièce d’identité au site », comme un passeport, ou une carte d’identité... « Libre ensuite [à l’internaute] de dialoguer avec un pseudonyme, mais si son comportement était contraire à la loi, les autorités auraient la possibilité de savoir qui se cache derrière ce compte en quelques minutes ».

Macron et le dada de la guerre contre « l’anonymat » 

Dans le plan Theresa May - Emmanuel Macron, dévoilé le 13 juin 2017, le tout nouveau chef de l’État s’attaquait au chiffrement, imaginant des « moyens d’accès aux contenus cryptés, dans des conditions qui préservent la confidentialité des correspondances, afin que ces messageries ne puissent pas être l’outil des terroristes ou des criminels. » 

« Lorsque les technologies de chiffrement sont utilisées par des groupes criminels, voire terroristes, il doit exister une possibilité d’accès au contenu des communications et à leurs métadonnées (entourage d’un suspect, IP de connexion, sélecteurs techniques de l’utilisateur, etc.) », ajoutait de son côté le ministère de l’Intérieur en octobre 2018

Le 12 novembre 2018, lors de son discours au Forum sur la Gouvernance de l’Internet à l’UNESCO, Emmanuel Macron remettait une pièce dans la machine : « Nos gouvernements, nos populations ne vont pas pouvoir tolérer encore longtemps les torrents de haine que déversent en ligne des auteurs protégés par un anonymat devenu problématique ».

Il damait alors la piste à la proposition de loi contre la haine en ligne, déposée par Laetitia Avia quelques mois plus tard, texte qui a évidemment suscité le dépôt de plusieurs amendements dont celui du PS visant (vainement) à imposer une double identification lors de la création d’un compte sur une plateforme.

En janvier 2019, au Palais des congrès de Souillac dans le Lot, devant les maires réunis pour le deuxième acte du grand débat national, Emmanuel Macron relevait que par « hygiène démocratique du statut de l’information », il serait un jour nécessaire d’ « aller vers une levée progressive de toute forme d'anonymat et (…) vers des processus où on sait distinguer le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses ».

Une telle levée « participe de cette transparence », car « aujourd’hui, on a beaucoup d’informations, tout le temps, mais on ne sait pas d’où elle vient. »

« Moi je ne veux plus de l’anonymat sur les plateformes Internet », insistait-il encore le 8 février 2019 dans le cadre du « grand débat » sur la thématique du harcèlement scolaire. 

Dans l’édition 2019 de « l'état de la menace liée au numérique », qui dresse « un panorama complet des enjeux, des menaces et des réponses apportées » par la place Beauvau, Christophe Castaner apportait sa contribution : « la liberté, justement, voilà tout le paradoxe d’internet. L’anonymat protège tous ceux qui répandent des contenus haineux et permet à de faux comptes de se multiplier pour propager toutes sortes de contenus ».

À ce « paradoxe », le ministre de l’Intérieur répondait : « Nous ne pouvons pas laisser les publications illicites se multiplier. Nous devons donc relever le défi de l’identité numérique pour que chaque Français, dès 2020, puisse prouver son identité et savoir avec qui il correspond vraiment ». 

« Les réseaux sociaux c'est le régime de Vichy » assurait Jean Castex en juillet 2020, arguant qu’ « on peut vous traiter de tous les noms, de tous les vices, en se cachant derrière des pseudonymes ».

Le 20 octobre 2020, Gérald Darmanin ajoutait sa petite touche, avec la même délicatesse : « Les réseaux sociaux ne peuvent pas être la sauvagerie généralisée, le règne de l’anonymat, les menaces complaisantes à tout moment, relayées par des milliers de personnes ». 

En février 2019, trois députés LREM avaient même envisagé « l’hypothèse de créer une obligation légale de recueil des pièces d’identité à l’occasion de la création de comptes sur les réseaux sociaux », et ce suite au « déferlement de haine » dont avait fait l’objet Bilal Hassani. Un vœu exprimé dans un courrier adressé au secrétaire d’État au numérique d’alors, Mounir Mahjoubi.

Le pseudonymat, c'est aussi la liberté de faire des conneries

La mesure n’avait pas convaincu Bercy. « On ne va pas avoir un multipass quand on allume l’ordinateur » répondait Mounir Mahjoubi. 

Dans ce panorama des propos fleuris, où se mélangent le torchon de l’anonymat et la serviette du pseudonymat, retenons surtout les propos d’Audrey Herblin-Stoop, alors directrice des affaires publiques de Twitter France, qui le 23 janvier 2019, avait rappelé que « le pseudonymat favorise la liberté d’expression, mais n’empêche pas les poursuites judiciaires ».

Remettre en cause le pseudonymat serait même « un magnifique cadeau pour les partis ou leaders autoritaires/extrémistes, pour qui l’on préparerait tranquillement un filet garni permettant, dans l’hypothèse d’une accession au pouvoir, de tout savoir de l’activité en ligne » prévenait le 28 janvier 2019 Romain Pigenel.

Pour l’ex-conseiller du président de la République en 2012, « le pseudonymat, c’est la liberté d’exprimer son avis sans craindre son voisin, son patron », « d’affirmer sa différence, sans craindre de se faire juger », par exemple révéler son homosexualité.

C'est encore la liberté « de parler de ses problèmes de santé, ou personnels, sans avoir honte » voire de « dénoncer des faits graves » comme le font les lanceurs d’alerte. C’est aussi le pouvoir de « déborder, dire et faire des conneries, sans en être marqué au fer rouge toute sa vie ».

Huit années plus tard, sur Medium, Cédric O notait que la question de « l’anonymat » était finalement « un très mauvais combat ». Et le secrétaire d’État de remettre les points sur les « i » :

« On peut avoir une appréciation personnelle sur le courage de celles et ceux qui n’osent pas assumer leurs propos. Il n’empêche que ces personnes sont, la plupart du temps, non pas anonymes, mais simplement sous pseudonyme et que la police et la justice ont les moyens de les retrouver et de les sanctionner ».

Il soulignait « qu’une obligation d’identification serait non seulement aisément contournable, mais aussi juridiquement très incertaine ».

De la coopération des plateformes 

Ce matin, le député LREM Éric Bothorel, chez nos confrères de BFM, a lui aussi manié l’extincteur face aux propos incendiaires, pour bien faire cette distinction entre anonymat et pseudonymat :

« Il n'y a aucune volonté de mettre fin à l'anonymat en ligne, car il n'y a pas d'anonymat en ligne. Il est toujours possible de retrouver l'identité de quelqu'un sur le Web. Mais ce qui est en jeu, c'est la collaboration des plateformes pour livrer ces données, par exemple en cas de propos haineux. Le programme présidentiel ne se positionne en rien contre le pseudonymat, c'est-à-dire la possibilité pour les internautes de ne pas apparaître sous leur vrai nom. On peut être sous pseudonyme, sans pour autant être anonyme, pour être responsable en cas de délit ».

Effectivement, le programme du candidat Macron ne contient aucun projet de la sorte. Les yeux doivent plutôt se tourner vers le Digital Services Act, actuellement arbitré à l’échelle européenne.

Et c’est pour éviter de laisser prospérer les velléités de contrôles absolus de nos vies connectées que le futur texte européen insiste sur la coopération des plateformes avec les autorités judiciaires.

« Un comportement responsable et diligent des prestataires de services intermédiaires est essentiel pour un environnement en ligne sûr, prévisible et fiable et pour permettre aux citoyens de l'Union et d'autres personnes d’exercer leurs droits fondamentaux garantis par la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne ».

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