Mardi prochain, les membres de la Commission Copie privée se réuniront une nouvelle fois. À l’ordre du jour, la question de l’assujettissement des biens reconditionnés. Selon nos informations, pour accélérer l’adoption d’un barème spécifique, les ayants droit ont déjà concocté un projet d'étude d’usages « flash ». Aux multiples charmes.
Tout s’accélère au sein de cette commission dite « paritaire », en réalité découpée en trois blocs inégaux. Copie France, derrière laquelle on trouve la SACEM, la SCPP, la SPPF, l’Adami, la Spedidam, la SACD et les autres sociétés de gestion collective, prépare l’assujettissement des ordinateurs fixes, portables et les disques durs nus, rares univers encore préservés.
Mais l’appétit des collecteurs ne s’arrête pas là : ils souhaitent désormais prélever également la redevance sur le marché des smartphones et des tablettes reconditionnés. Un mât de cocagne au sommet duquel trônent plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année.
Des actions en justice pour le passé
Pour espérer le gros lot, ils ont d’abord lancé une pluie d’actions en justice contre les reconditionneurs fin 2019, début 2020. Next INpact le révélait déjà en mai 2020.
La technique ? Efficace pour les uns, baroque pour les autres : repérer le chiffre d’affaires de ces entreprises. Diviser ensuite ce C.A. par un prix moyen de téléphone. Et enfin, multiplier ce résultat par le barème des smartphones (par exemple 12 euros pour un modèle de 64 Go, 14 euros, au-delà) ou des tablettes.
Une certitude pour Copie France : de telles reventes offrent « à un nouvel utilisateur la possibilité de bénéficier de fonctions identiques de copie privée » que celles d’un appareil neuf. La position était déjà inscrite noir sur blanc dans le dernier rapport annuel de la société civile.
Autant de points contestés par les reconditionneurs (Smaart, Recommerce, et les autres).
Un barème pour l'avenir
Dans le même temps, les ayants droit préparent un barème spécifique pour ces appareils de seconde vie. Une fois voté, ce tarif, éventuellement moins élevé que celui réservé aux produits neufs, permettra à ces bénéficiaires de bétonner juridiquement les perceptions futures.
Sur la scène, un chef d’orchestre. Jean Musitelli. En novembre dernier, le président de la Commission copie privée avait décidé d’inscrire le sujet du reconditionnement à l’ordre du jour de la Commission. Le 11 décembre 2020, il faisait cette fois adopter un calendrier de travail pour ce nouveau chantier.
Les festivités ouvertes, la suite a coulé de source. Deux mois plus tard, les ayants droit se sont proposés de réaliser l’étude d’usage nécessaire à l’établissement de ce fameux barème.
La génération streaming amputée
Pour mémoire, ces études d’usages consistent à jauger des pratiques de copies auprès d’un panel, pour ensuite déterminer des taux évoluant selon les capacités. Très schématiquement, plus les sondés affirment réaliser des copies, plus les ayants droit peuvent militer pour des barèmes élevés, sachant qu’ils perçoivent les sommes qu’ils déterminent.
En principe ces études d’usages doivent obéir à un tempo, un cadre un peu sérieux, celui du Code des marchés publics. C’est en effet le ministère de la Culture qui prend les devants comme c’est actuellement le cas avec les ordinateurs fixes, les portables et les disques durs nus.
En se proposant de financer cette étude d’usage, les ayants droit sortent de ce carcan et surtout peuvent espérer un tarif final à brève échéance. Et selon nos informations, c’est dans ce contexte qu’ils ont déjà rédigé un projet de questionnaires, qu’ils ont baptisé « étude flash ».
Le document de 21 pages que nous avons pu consulter se limite à quelques questions qui seront posées à des personnes physiques. Ces femmes et ces hommes sauront en introduction que « les résultats de cette étude [seront] strictement anonymes » outre que l’utilisation des données sera « à usage purement statistique ».
Ils ignoreront donc que ces travaux serviront à établir des barèmes de redevance sur les smartphones et les tablettes reconditionnés.
D’entrée, chaque sondé sera invité à révéler son âge. S’il a moins de 18 ans, surprise : le questionnaire s’arrêtera là. Un tel seuil diffère grandement des précédentes études sur les smartphones et les tablettes, réalisées en 2016-2017 où il était alors établi à 15 ans.
Les conséquences d’un relèvement de trois ans ne sont pas minces. Il va effacer toutes les pratiques d’une partie des jeunes utilisateurs, cette génération « Streaming » qui, aux copies sur supports vierges, préfère Netflix, Spotify, Deezer ou YouTube.
Les résultats de l’étude flash ne seront donc pas tout à fait représentatifs de ces nouveaux moyens de consommations en flux. Avantage pour les ayants droit : le poids des copies étant plus important, ils pourront réclamer une redevance toujours plus musclée.
Synchronisation, priez pour nous
Parmi les autres questions, les sondés devront aussi indiquer si, une fois leur smartphone ou leur tablette reconditionné(e) reçu(e), ils ont procédé à la synchronisation de leur ancien appareil des « titres musicaux, films, vidéos, photos, etc.».
Ils devront aussi révéler dans la foulée s’ils utilisent, ou non, leur nouveau smartphone « de manière équivalente à un smartphone neuf ».
Bien entendu, en partant du principe que la synchronisation est une forme de copie privée, qu’il faut donc compenser avec la perception de la redevance, là encore ce critère permettra in fine de percevoir davantage, alors même que dans l’esprit du consommateur, ces opérations procèdent avant tout d’un simple déplacement de A vers B.
Une étude adossée sur des études... aux « bases faibles »
Dans les études d’usages de 2017, les sondés étaient invités à quantifier très exactement le nombre de fichiers copiés. Cette fois, les ayants droit comptent demander à l’acheteur de produits d’occasion de mesurer « la différence dans vos pratiques de copie ou d’enregistrement de contenus contenant des œuvres (titres musicaux, films/vidéos, images/photos non personnelles/dessins, livres/textes non personnels/ paroles de chanson) avec votre smartphone reconditionné par rapport à ce que vous faisiez précédemment avec un smartphone neuf ».
L'acheteur pourra répondre :
- « Je copie globalement moins à hauteur de près de : …. % »
- « je copie globalement plus à hauteur de près de : ….% »
- « je ne sais pas ».
Si ces répondants expliquent qu’ils copient disons 30 % moins que sur leur ancien téléphone, les ayants droit pourront réclamer un barème en rapport. Le premier avantage sera, disions-nous, de sécuriser les perceptions sur les futures ventes en reconditionné.
Cette technique fondée des chiffres globaux a un autre mérite : sacraliser les anciennes études d’usages, alors même qu’elles souffraient de nombreuses fragilités.
Explications. Suite à une énième procédure CADA, nous avions diffusé en 2020 les questionnaires relatifs aux Smartphones et Tablettes, mais également les réponses afférentes. Ces documents de 2017 avaient par la suite servi à déterminer les barèmes définitifs publiés au Journal officiel le 22 septembre 2018.

Dans les résultats, l’Institut CSA avait toutefois relevé plusieurs fois la faiblesse des bases de réponses. Selon notre décompte, par 86 fois, la mention « base faible » était apparue dans le sondage relatif aux smartphones. Pour les tablettes, l’occurrence fut de 192 fois.
Quelques exemples : 621 personnes avaient répondu sur les smartphones. Mais seules 48 avaient admis avoir copié un fichier vidéo au cours des six derniers mois. 26 avaient copié un film. 17 personnes, un clip. 3 utilisateurs avaient dupliqué des épisodes de séries TV à partir d’Internet par l’intermédiaire d’un autre support… Même si de moins en moins de personnes copient, la commission avait voté des barèmes de 4 à 14 euros pour les smartphones et de 8 à 14 euros pour les tablettes.
En réclamant désormais aux acheteurs de biens reconditionnés, surtout pas le nombre de fichiers copiés, mais s’ils ont simplement dupliqué plus ou moins de fichiers qu'auparavant, les ayants droit sont en passe de construire un nouveau tarif à partir d'un ancien barème construit sur des bases « bases faibles ». Un astucieux levier pour reconditionner la redevance pour copie privée.