Redevance Copie privée : « Si on doit payer, on va juste tuer la filière du reconditionnement »

Quand le fruit est dans le vert
Droit 8 min
Redevance Copie privée : « Si on doit payer, on va juste tuer la filière du reconditionnement »
Crédits : iFixIt

Le projet d’assujettissement des produits reconditionnés à la redevance copie privée irrite le secteur. SOFI Groupe, société derrière le site Smaaart, s’interroge sur la cohérence gouvernementale, non sans fournir plusieurs chiffres sur les conséquences d'un chantier soutenu bec et ongles par le ministère de la Culture.

Faire tomber les biens reconditionnés dans le champ de la redevance pour copie privée, voilà la nouvelle marotte des industries culturelles. Tout en continuant de frapper les téléphones, box, tablettes, clés USB, cartes mémoires, GPS à mémoire, disques externes et bientôt les ordinateurs neufs, les bénéficiaires de cette ponction reluquent avec appétit les biens de seconde vie.

Une étude d’usages est sur la rampe de la Commission copie privée. Elle devrait être financée par les seules sociétés de perception de ces sommes (SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, SPPF, SCPP, SACD, etc.). L’objectif ? Mesurer les pratiques de copie sur ces biens, puis déterminer un barème, publié au Journal officiel dans les prochains mois. Le ministère de la Culture soutient sans surprise l’initiative. Depuis, une bataille s’organise avec d’un côté, la filière du reconditionné, épaulée du bout des lèvres par Cédric O au numérique et Barbara Pompili à l’Environnement. Et de l’autre, les sociétés de gestion collective et la Rue de Valois.

Après Recommerce, un autre acteur, SOFI Groupe, a bien voulu témoigner dans nos colonnes des conséquences d'un tel chantier, non sans revenir sur l’action intentée par Copie France, le collecteur de la redevance pour les sociétés de gestion collective.

L’entreprise basée à St-Mathieu-de-Tréviers en France, au nord de Montpellier, fut créée en 1986. À ses origines, elle était uniquement spécialisée dans la réparation de matériels électroniques dans les télécoms. « Cela fait 35 ans qu’on fait ce métier, en ayant géré en sous-traitance pour le compte d’opérateurs et de constructeurs, la remise en état de matériel sur le territoire » se souvient Jean Christophe Estoudre, son président.

35 ans, mais « un fleuve non tranquille ». La société était l’une des briques du groupe Anovo, lui aussi spécialisé dans la maintenance électronique. Dans les années 2010, des difficultés de gestion stoppent l’aventure. Dépôt de bilan, fermeture d’une dizaine de sites sur les 25 à l’actif… Et parmi eux, SOFI Groupe. Plusieurs cadres décident alors d’investir leurs indemnités de licenciement dans la reprise de l’entreprise montpelliéraine. « On voulait préserver l’activité en France, les emplois et les compétences acquises ».

« Avoir une industrie électronique en France est extrêmement rare aujourd’hui et cela reste difficile à maintenir en raison des coûts structurels face à des pays qui pratiquent le low cost. Nous croyons tout de même à notre savoir-faire. Nous essayons d’avoir une entreprise à l’équilibre, de préserver des emplois. Nous avons une centaine de collaborateurs aujourd’hui, le double par rapport à 2011. C’est un combat de tous les jours » témoigne Jean Christophe Estoudre.

En 2017, la société s’est diversifiée. En plus de son activité de réparation et maintenance, elle s’ouvre au marché du reconditionné. Elle dépose sa marque Smaaart, pour se spécialiser dans cette seconde vie des smartphones et autres tablettes. Une marque « qui se pose sur l’économie circulaire, l’emploi en France, où les produits sont achetés en France, renvoyés dans nos locaux près du Pic St Loup. Nous faisons attention à notre empreinte carbone, tout en conjuguant notre activité dans une démarche sociale ».

La réalité économique n’est pas simple face à la concurrence étrangère : « on essaye de progresser en terme de chiffre d’affaires. Derrière la vente d’un téléphone reconditionné, il y a de l’emploi en usine. Le marché est très concurrentiel avec des acteurs étrangers installés dans des pays low cost, Europe de l’est et Asie notamment. Pour garder le cap, nos niveaux de marges sont très faibles. Ça ne fait rien, on y croit. Nous avons 25 % de croissance chaque année sur notre chiffre d’affaires, mais en tirant le diable par la queue, donc avec des niveaux de marge qui nous permettent d’être à l’équilibre ».

Fin 2019, l'assignation de Copie France 

Fin 2019, la douche froide. Une lettre recommandée avec accusé de réception. Dans l’enveloppe ? « Une assignation de Copie France, qui n’a jamais pris soin de communiquer préalablement avec nous. La société nous réclame le versement de la redevance pour copie privée comme si les produits reconditionnés étaient assujettis au même titre que les smartphones neufs ».

Car si la question de ces biens en seconde vie est arrivée très récemment en Commission Copie privée, sur le front Copie France avait pris les devants. Elle a assigné des dizaines d’entreprises, en considérant que ces téléphones revendus devaient être soumis au même barème que les téléphones neufs.

L’entreprise française, qui reconditionne en s’approvisionnant sur le marché français, a du mal à comprendre. « Pourquoi avec un tel mécanisme de dédommagement calculé sur la durée de vie d’un produit, nous aboutissons à des smartphones taxés une seconde fois alors qu’on essaye de prolonger cette durée ? ». Selon le chef d’entreprise, pas de doute : « si on doit payer, on va juste tuer la filière du reconditionnement ».

Déjà, les ayants droit de Copie France n’ont pas fait dans la demi-mesure. « Et même dans l’arbitraire », corrige Jean-Christophe Estourdre.

Explications : « Nos chiffres sont publiés sur Societe.com. Nous pensons qu’ils ont donc pris notre chiffre d’affaires sur cinq ans, en estimant je ne sais trop comment le panier moyen d’un Smartphone. Ils ont divisé le chiffre d’affaires par le panier moyen pour arriver à un volume d’unités. Et ils ont appliqué le barème de la redevance, sans même nous demander combien de produits avaient été reconditionnés. Ils sont même remontés jusqu’à 2015 en considérant que la totalité du chiffre d’affaires résultait de cette activité… que nous avons débuté en 2017 ! »

Avec sa méthode bulldozer, Copie France lui réclame un chèque de 678 000 euros. En prenant en compte les deux dernières années, l’entreprise pourrait même avoir à débourser près de 1,6 millions d’euros. Une paille.

Pour défendre leur appétit, les membres de Copie France tentent de relativiser, communiqué à l'appui. « La rémunération pour copie privée ne représente que 3 à 4 % du prix d’un téléphone reconditionné, vendu en moyenne 332 euros ».

18,33 euros de marge, puis 12 euros de copie privée 

Jean-Christophe Estoudre conteste, avec un exemple parlant. Un iPhone 8 disposant de 64 Go d’espace de stockage est racheté par SOFI Groupe à peu près 150 euros, hors taxes.

Puis vient le processus de reconditionnement, totalement internalisé. « Les données sont effacées. Nous réalisons un audit, un diagnostic, un contrôle qualité et le processus de reconditionnement. Là-dessus il faut compter aussi sur les couts de commercialisation, la mise en stock et évidemment la livraison. Ces opérations représentent un cout de 65 euros, soit un total de 215 euros. On le vend 280 euros TTC, soit 233,33 hors taxes. Notre marge est donc de 18,33 euros ».

Mais sur ces 8 % de marge, il faut ensuite déduire les frais généraux, les ressources humaines, le marketing, l’administratif, le loyer, l’énergie, les impôts. « Au final, il ne nous reste pratiquement rien. On est juste à l’équilibre ».

«  Dès lors, lorsque Copie France réclame 12 euros de redevance sur les 18,33 euros restants, cela signifie qu’on va donner 65,5 % de notre marge. Presque les deux tiers, quand le tiers restant ne nous permettra pas de financer nos charges. On ne sera plus à l’équilibre, mais en déficit, alors qu’au même moment, des acteurs étrangers échappent à tous les prélèvements, TVA de 20 % + écoparticipation + Copie privée »

Autre commentaire du président de SOFI Groupe : « il faut évidemment être solidaire avec la Culture, mais ce ne peut être au détriment de notre filière. On ne peut attaquer des gens arbitrairement. Les seuls qui survivront seront ces acteurs étrangers qui échappent à toutes les taxes ».

Érences et cohérence 

Le chef d’entreprise cherche aussi la cohérence dans cette décision portée par le ministère de la Culture : « Est-ce qu’on veut vraiment réindustrialiser ? Nous avons souffert nous aussi du Covid. L’entreprise sera en perte cette année, mais nous essayons de nous battre pour maintenir cette filière vertueuse. Aujourd’hui, les pouvoirs publics soutiennent plusieurs lois relatives au reconditionnement, à l’économie circulaire. C’est vertueux pour l’environnement, cela crée de l’emploi en France».

L’entreprise, aujourd’hui en S.A.S, projette d’ailleurs de changer de statut dans les six prochains mois pour migrer vers une entreprise à mission sociale et environnementale. Alors qu’elle forme de nombreux jeunes déjà, « nous allons retrouver beaucoup d’acteurs, des entreprises d’insertions, des travailleurs handicapés… ». Conclusion : « On ne peut pas favoriser la culture en défaveur de l’économie sociale et solidaire et de la lutte pour l’environnement ! »

« Nous avons fait un calcul au sein du SIRRMIET [pour Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms, ndlr]. La filière représente 2 000 emplois avec 280 millions d’euros en volume d’affaires. Tout cela risque de disparaître au profit d’acteurs étrangers qui échappent à cette redevance ».

Ne pas augmenter le prix des reconditionnés, exhorte HOP

L’association Halte à l’Obsolescence programmée s’est également emparée du sujet. HOP « regrette un manque de vision globale des enjeux de la transition écologique et enjoint le Gouvernement à veiller à ne pas augmenter in fine le prix des appareils reconditionnés ».

« Le gouvernement avec la loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire (AGEC) souhaite encourager l’achat de biens reconditionnés plutôt que neufs en vue d’allonger la durée de vie des produits, ainsi que la réparation (indice réparabilité, fonds réparation et réemploi…). Or, ce secteur émergent reste fragile et doit rester compétitif pour être attractif aux yeux des consommateurs » ajoute-t-elle.

Elle souligne que dans un cycle de vie d’un smartphone, « la phase de fabrication est la plus impactante au niveau environnemental (et social) : 70 kg de matières sont nécessaires pour produire un smartphone, contenant 60 métaux différents.  Ainsi, un smartphone reconditionné permet d’éviter 45kg de CO2 émis et entre 34 et 40 kg de matières premières utilisées. »

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