Copie privée : bataille sur l'extension de la redevance aux biens reconditionnés

Emballé, remballé
Droit 11 min
Copie privée : bataille sur l'extension de la redevance aux biens reconditionnés
Crédits : Xavier Berne

Ce n’est plus un secret : le monde de la Culture lorgne avec appétit les téléphones reconditionnés. L’idée ? Faire tomber ces secondes vies commerciales dans le périmètre de la redevance pour copie privée. Peu importent les conséquences pour l’écologie ou les acheteurs. Le Sénat tente de freiner ce rêve doré, soutenu par Cédric O.

Inutile de présenter cette redevance, tellement le sujet a occupé nos colonnes depuis plus de 15 ans. Retenons que cette ponction, que prélèvent les sociétés de gestion collective comme la SACEM, vient compenser un préjudice : la possibilité pour chacun de réaliser des copies à titre privé d’œuvres protégées, sans le sacro-saint accord des titulaires de droits.

L’acheteur paye donc une redevance lors de l'acquisition de ces supports, en contrepartie d'une liberté de copie. C’est une commission administrative, hébergée par le ministère de la Culture, qui décide des barèmes. Les ayants droit y sont en force (12 représentants, face à 6 industriels et 6 autres consommateurs) pour voter les montants qu’ils vont donc percevoir.

En 2019, les barèmes appliqués aux clés USB, tablettes, disques durs externes, cartes mémoire ou autres smartphones leur ont rapporté la bagatelle de près de 270 millions d’euros. Une manne importante pour l’univers culturel, d’autant que si 75 % sont redistribués aux titulaires de droits, 25 % servent à financer les festivals et autres actions collectives.

Souci : le secteur sait ce trésor annuel menacé. D’une part, le secteur de la téléphonie concentre la majorité des prélèvements, avec plus de 70 % de parts de marché en 2019. En clair, tous les œufs sont un peu dans le même panier.

D’autre part, les consommateurs copient de moins en moins. La génération qui dupliquait des fichiers à tour de bras pour alimenter d’épaisses bibliothèques a laissé place à la génération Spotify, Deezer ou YouTube. D’une logique de stock, voilà la logique de flux.

Avec une redevance dépendant des supports de stockage importés en France, on comprend que les sociétés de gestion collective puissent craindre des lendemains douloureux. Et l’idée que cette « rémunération » puisse baisser leur est insupportable, quand bien même elle n'est que la compensation d’un préjudice, en rien un pseudo-salaire.

Pour anticiper ces effets financiers, plusieurs stratégies sont en cours. Il y a bien sûr les biens achetés par les professionnels. Alors que ceux-ci devraient pouvoir se faire rembourser cette ponction, la procédure est suffisamment compliquée pour les en dissuader. Conclusion : contrairement à ce qu'impose le droit européen, des millions de pros payent une redevance sur ces supports. Les sommes non remboursées sont dès lors partagées par le secteur culturel.

Comme déjà révélé dans nos colonnes, il y a aussi le prochain assujettissement des ordinateurs et disques durs nus. L’un des derniers bastions qui restaient encore préservés pour des raisons historiques (ne pas freiner l’informatisation des foyers) est en train de tomber. La phase préparatoire est engagée depuis juillet 2020. 

Mais une autre cible est dans le viseur, rue de Valois : les biens reconditionnés. L’idée ? Frapper ces produits, peu importe qu'ils soient achetés par conviction écologique ou en raison de capacités financières restreintes. La Culture a des besoins bien plus impérieux.

Les biens reconditionnés, nouveau marché de la Redevance Copie privée

Souci, la redevance aujourd’hui est prélevée lors de la mise en circulation en France. L’importateur déclare donc ses stocks de supports à Copie France, la société des organismes de gestion collective. Il paye la copie privée afférente et déporte son coût sur le grossiste. Celui-ci se retourne à son tour sur le détaillant pour arriver enfin sur les épaules de l’acheteur final.

Avec l’essor de l’économie circulaire, ces règles d’assujettissements tombent sur un os : avec le reconditionnement, il y a non seulement l'importation puis la vente par exemple d'un téléphone neuf. Cette opération est en effet suivie de deux ou plusieurs ventes successives à des grossistes, des reconditionneurs, puis des particuliers.

Le 26 mai 2020, Next INpact révélait que le collecteur Copie France avait malgré tout assigné plusieurs reconditionneurs pour les faire passer à la caisse. Le combat judiciaire est depuis en cours. Et quel combat ! « Si on assujettit les produits reconditionnés, le consommateur va payer deux fois cette redevance. Une fois sur le produit neuf. Une fois sur le produit d’occasion », nous confiait par exemple Jean-Lionel Laccourreye, président du SIRRMIET, le fameux Syndicat Interprofessionnel du Reconditionnement et de la Régénération des Matériels Informatiques, Électroniques et Télécoms.

Un thème inscrit à l'ordre du jour en Commission

Le 16 novembre dernier, Jean Musitelli, président de la Commission copie privée, a tenté de siffler la fin de la récré : il a proposé seul d’inscrire la question des supports reconditionnés à l’ordre du jour.

Ce cheveu n'est pas tombé dans la soupe par hasard mais suite à un bras de fer entre plusieurs ministères : « le sujet des supports reconditionnés a été abordé au cours d’une réunion interministérielle concernant le projet de loi Environnement et numérique (ndlr : c'est une proposition de loi). À cette occasion, les ministères de l’Économie et de la Transition Écologique ont proposé d’introduire une disposition prévoyant l’exclusion du champ de la rémunération pour copie privée des supports reconditionnés. Le ministère de la Culture s’est opposé à cette exclusion ».

Toutefois, a relevé encore Jean Musitelli, « à la suite d’un arbitrage opéré par les services du Premier ministre, il a été décidé de ne pas donner suite à l’exclusion des supports reconditionnés du champ de la rémunération, mais de réfléchir à la mise en place d’un tarif différencié ».

En clair, la Culture était pour cet assujettissement, l’Écologie contre au point d’envisager un amendement taillé sur mesure. Et Jean Castex a tranché en faveur de la Rue de Valois, décision que Musitelli, président de cette instance non indépendante, s’est empressé d’inscrire fidèlement à l’agenda.

Celui-ci estime depuis « nécessaire de bien définir les caractéristiques propres aux appareils reconditionnés afin de déterminer en quoi ils se distinguent des produits neufs ». Évidemment, « s’il s’avère opportun de mettre en place un traitement différencié, il conviendra de déterminer selon quelle méthode la Commission le mettra en place ». Il s’agira donc de déterminer si ces biens flirtant avec la fin de vie commerciale doivent être soumis au même barème que les produits neufs, ou sous un tarif spécifique. 

La proposition de loi précitée « poursuit un objectif très louable. Il est important de prendre en compte l’empreinte du numérique sur l’écologie » concède encore Musitelli. Toutefois, il estime « que le numérique a aussi une empreinte sur la culture et l’exception de copie privée en est un des éléments ». Dit autrement, le vert est vraiment une jolie couleur, mais l'enchantement ne doit pas priver les ayants droit de millions d’euros supplémentaires. 

Toujours Rue de Valois, le plan d’attaque a été immédiatement applaudi par Pascal Rogard (membre de Copie France) qui a voulu rappeler que « la culture est un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire », tout en se disant « d’accord avec l’arbitrage du Premier ministre qui consiste à mettre le sujet des supports reconditionnés entre les mains de la Commission ».

Un agenda pour l'extension de la redevance

Le 11 décembre dernier, nouvelle réunion de la Commission Copie privée et nouvelle accélération : le président a cette fois proposé un programme de travail à bref délai, étendu du 12 janvier au 1er juin. Les grandes manœuvres sont donc en place :

agenda biens reconditionnés copie privée

Fin de l’acte 1 rythmé donc par un empressement hors norme.

L'acte 2 s'est joué cette fois au Sénat à l’occasion de l’examen en séance de la fameuse proposition de loi, celle visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France.

Une PPL transpartisane portée par Patrick Chaize (LR), Guillaume Chevrollier (LR) Jean-Michel Houllegate (PS) et Hervé Mauray (UC) et qui, selon le résumé officiel, « vise à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu'il s'agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d'un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux ».

L'amendement Chaize pour exclure la redevance

Le 12 janvier dernier, Partick Chaize a en effet déposé un amendement qui vient fracasser le plan du trio Industries Culturelles - Ministère de la Culture - Commission Copie privée.

La rustine parlementaire précise que la redevance pour copie privée « n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. »

L'élu s’en explique dans l’exposé des motifs : « le paiement de la rémunération pour copie privée est collecté sur les produits neufs lors de leur mise en circulation en Europe. Or, un produit ne peut faire l'objet que d'une seule mise en circulation au sens de l’article 1245-4 du Code civil ».

Cet article prévient clairement qu’« un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement », non sans préciser qu’« un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation ». Patatras.

Pour Chaize donc, la redevance ne doit s’appliquer qu’aux seuls produits reconditionnés qui proviennent d’Europe, sachant que « la redevance ne doit être payée qu’une seule fois sur un même produit. » En somme, si un produit est reconditionné en Allemagne puis importé en France, il serait soumis. Mais si ces opérations n’ont lieu qu’en France, avec déjà un prélèvement de RCP, il n’y aura pas de ponction sur les reventes successives.

Des raisons pas seulement juridiques

Les raisons avancées ne sont pas seulement juridiques. « L’application de cette obligation aux produits reconditionnés ferait peser une menace sur un secteur en développement et apportant une contribution majeure à l’essor d’une économie numérique plus circulaire et plus vertueuse » ajoute le parlementaire. 

Ainsi, « si ces produits numériques reconditionnés devaient être soumis à cette redevance, le coût supplémentaire serait supporté par les consommateurs eux-mêmes et pourrait favoriser l’achat de produits neufs à faible coût, mais de moindre qualité technique et de plus fort impact environnemental plutôt que l’achat de produits reconditionnés en Europe ».

Frapper les biens reconditionnés « provoquerait un double coup en ces temps de crise : une perte de pouvoir d’achat pour les Français et un frein au développement de solutions environnementalement vertueuses ».

Cédric O personnellement contre une telle extension

En séance, les partisans de cette exclusion ont croisé le fer avec les parlementaires très portés sur la cause culturelle. Duel où est intervenu Cédric O.

Ce 12 janvier, les sénateurs n’ont pas seulement adopté un taux de TVA réduit à 5,5 % pour l’acquisition de produits électriques et électroniques reconditionnés, ainsi que pour les services de réparation de biens comportant des éléments numériques.

Ils ont aussi adopté l’amendement Chaize excluant la redevance pour copie privée.

Pour le sénateur Jean-Michel Houllegatte, « les biens reconditionnés n’ont encore jamais fait l’objet dudit prélèvement. Pour autant, nous avons appris que la commission chargée de déterminer les types de supports entrant dans le champ de la rémunération envisageait une telle mesure. À nos yeux, le fait d’exonérer les biens reconditionnés du paiement de la rémunération pour copie privée n’entraînerait donc pas, à ce jour, de perte de recettes pour le monde de la culture : il s’agirait tout au plus d’une perte de recettes hypothétique(s) ».

D'autres arguments ont été mis sur la table : « l’application de la rémunération pour copie privée à un smartphone de 250 euros pourrait se traduire par un prélèvement d’environ 10 euros. Autrement dit, cet assujettissement annulerait presque intégralement la baisse des taux de TVA sur les biens reconditionnés, que nous avons souhaité introduire ».

Le geste fiscal pour l'écologie serait donc annulé dans l'estomac du monde de la Culture, sur le dos d'acheteurs parfois peu fortunés, frappés eux-aussi par la crise et/ou sensibles aux impacts environnementaux du numérique.

Et si on doublait les barèmes ? 

L’analyse n’a pas été partagée par Laure Darcos (LR). Pour la vice-présidente de la commission de la Culture, « il s’agit non pas d’assujettir deux fois le même équipement, mais de partir du principe que les produits reconditionnés disposent d’une seconde vie : leur nouvel utilisateur pourra employer toutes leurs fonctionnalités d’origine ». Et selon les évaluations du ministère de la Culture et des acteurs de la filière, les sommes en jeu frôleraient les 20 millions d’euros. Peu importe là encore si ce prélèvement menace des filières fragiles et naissantes,.

La sénatrice a imaginé une autre piste avec une finesse de bulldozer : si avec cette proposition de loi en faveur des produits reconditionnés, « la durée d’utilisation des smartphones est portée de deux à quatre ou cinq ans, doublons le montant de la taxe ! » (sachant que la redevance n’est pas une taxe). 

Les convictions de Cédric O, la position du gouvernement 

Cédric O s’est appuyé sur une évaluation juridique interne pour « confirmer » que les biens reconditionnés « ne sont pas assujettis à la rémunération pour copie privée ». Alors que la Commission s’engage malgré tout sur cette voie, « à titre personnel, j’estime que les dispositions proposées par M. Chaize ont du sens ».

Sauf qu'avec l'arbitrage Castex, le secrétaire d’État au numérique a été contraint d’émettre un avis défavorable sur l’amendement. Malgré tout adopté par le Sénat, le texte part maintenant à l’Assemblée nationale, où le groupe LREM a cette fois la majorité.

Autant dire que les jours sont comptés pour l’amendement Chaize, alors que se prépare l’extension de la redevance en Commission Copie privée sur le reconditionné, quand les tribunaux examinent déjà sa solidité juridique

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