Grandes manœuvres pour le retour de la  « taxe Tasca » sur les ordinateurs

La taxe Roseline ?
Droit 7 min
Grandes manœuvres pour le retour de la  « taxe Tasca » sur les ordinateurs
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-SA 3.0)

Le ministère de la Culture lance le marché destiné à jauger les pratiques de copies privées sur les disques durs des PC portables et fixes, et même des disques vendus nus. La prochaine étape ? Le possible assujettissement de ces supports à cette redevance culturelle, même si les ayants droit contestent que les jeux soient faits.

Ces matériels vont-ils être soumis à la redevance culturelle ? Pas forcément, répètent en cœur les ayants droit, alors qu’en coulisse se prépare le tremplin de ce nouveau concert de perceptions dans un contexte morose.

Ces bénéficiaires ont enregistré une baisse des recettes de 29 millions d’euros l’an passé, par rapport à 2018. Et cela devrait continuer en 2020. L’un d’eux, la SACEM, s’attend à un nouvel effondrement lié à la crise du Covid. La dégringolade atteindrait 25 % selon les anticipations. 

Une situation intenable pour ces acteurs, habitués à percevoir ces sommes qu’ils considèrent comme autant de rémunérations quand ce n’est pas une rente, oubliant son essence indemnitaire : la redevance pour copie privée est un dédommagement destiné à compenser la liberté pour chaque personne physique de réaliser des duplications d’œuvres (musiques, films, séries, écrits, photos…) acquises légalement, sans réclamer d’autorisation préalable. Quand moins de supports sont vendus, la surface de perception se réduit d’autant. Et donc le préjudice et son indemnisation reculent. Logique.

Fin 2018, la commission administrative en charge de fixer barèmes et champ de cette redevance a introduit dans son programme de travail, hautement suggéré par les ayants droit, de nouvelles ressources à butiner. Les mots ont été poliment choisis, avec la programmation d’une « étude des fonctionnalités, caractéristiques techniques et des pratiques de copie privée concernant d’autres familles de produits non assujetties à la rémunération pour copie privée ».

Derrière l’habillage un peu brumeux, la cible s’est confirmée durant les réunions suivantes : les disques durs des PC fixes, ceux des PC de bureau et mêmes ceux vendus nus en France. « Il n’est pas encore certain que les ordinateurs soient soumis à la RCP » a relativisé l’un des représentants de Copie France, pas plus tard que le 23 juin dernier. Copie France est la société civile des ayants droit, chargée de collecter cette redevance ensuite redistribuée via les sociétés de gestion collective aux titulaires de droits.

Cette prudence répond à une réalité juridique, mais elle tient aussi à des raisons historiques. Tous les ayants droit ont encore en mémoire la levée de boucliers qu’avait connue Catherine Tasca. En 2001, la locataire de Valois avait soutenu l'idée de faire tomber les PC dans le spectre de la redevance pour copie privée, avant de provoquer une bronca.  

« Nous n'envisageons pas de taxer les ordinateurs, qui ne sont pas le support exclusif de la copie, et tout le monde sera attentif aux conséquences économiques, industrielles et sociétales des décisions » expliquait finalement la ministre de la Culture ce 16 janvier 2001, après recadrage de Lionel Jospin. La veille, elle expliquait pourtant dans la presse que « la taxation des décodeurs, magnétoscopes améliorés et ordinateurs, en bref, tout support permettant d'enregistrer des oeuvres est un prolongement logique des négociations engagées tout au long de l'année 2000 ». 

Lancement d'un marché sur les pratiques de copies sur PC

Si rien n’est décidé, le ministère de la Culture fait tout pour que le sujet avance petit à petit. Une version culturelle de la fameuse fable de la grenouille. Toujours Rue de Valois, vient d'être initié un marché portant sur la « réalisation d'une étude des pratiques de copies privées sur les familles de supports suivantes : - supports de stockage intégrés à des PC portables - supports de stockage intégrés à des PC de bureau - supports de stockage internes d'ordinateurs vendus nus ». Un marché ayant pour acheteurs le ministère et Copie France.

Sa vocation ? « La question, à ce stade, est de savoir si dans la famille des disques durs d’ordinateurs, il existe des supports utilisés pour la reproduction à usage privé d’œuvres » résumait Jean Musitelli, président de la commission, le 25 février 2020

La réalisation de cette étude d’usage aura pour objet « d’établir l’existence de pratiques de copie privée sur cette famille de supports et de décider ou non de procéder à leur assujettissement à la rémunération pour copie privée ». Selon les documents administratifs en effet, « l’objectif est d’isoler parmi les copies réalisées celles qui relèvent de sources illicites, de contenus personnels (c’est-à-dire les copies de contenus créés par le consommateur ou ses proches) ou professionnels (c’est-à-dire les copies de contenus non protégés par le droit d’auteur et créés dans un cadre professionnel, tels que les fichiers Excel), et de les exclure de celles prises en compte pour la fixation de la rémunération pour copie privée prévue aux articles L.311-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) ».

L’étude sera réalisée auprès d’un panel. Elle jaugera leurs pratiques de copies sur PC fixe, PC portables et disques durs nus. Si des copies de fichiers .MP3, .AVI, .Doc, .Jpeg, etc. protégés par le droit d’auteur, sont constatées, alors la Commission pourra envisager le retour de la « taxe Tasca » sur les PC. Les ayants droit ont évidemment une position plus que confortable : ils sont en surnombre au sein de cette instance pour voter les sommes qu’ils vont finalement toucher. Un peu comme si un salarié déterminait sa rémunération.

Toujours d’après les documents de ce marché, « la consultation a pour objet la réalisation d’une étude des pratiques de copies privées (…) sur les familles de supports suivantes ». Et de lister :

  • « Les supports de stockage intégrés à des PC portables (quel que soit leur système d’exploitation) »
  • « Les supports de stockage intégrés à des PC de bureau (quel que soit leur système d’exploitation) »
  • « Les supports de stockage internes d’ordinateurs vendus nus (i.e. commercialisés auprès du consommateur sans être intégré dans un ordinateur ou dans un autre type d’équipement tel que boîtier NAS ou box internet par exemple ».

Si la redevance est étendue aux PC, le système d’exploitation importera peu. Tous tomberont, aussi bien ceux sous Windows, MacOS ou même Linux.

PC de bureau, PC du bureau 

Des détails sont savoureux. La notion de PC de bureau « inclut les « Standard Desk » (PC de bureau avec tour/unité centrale et écran distincts) et les « All-In-One » (PC « tout-en-un » de type iMac par exemple) », prévient une note de bas de page. La même ajoute qu’ « on ne parle pas ici des ordinateurs situés dans l’environnement professionnel (« PC du bureau »), mais des ordinateurs (PC) fixes du domicile ».

La précision semble évidente... mais elle a pour charme de concentrer les attentions sur les seuls PC utilisés à domicile, excluant donc ceux utilisés dans un environnement professionnel. Forcément, le ministère et les ayants droit peuvent s'attendre à repérer dans leurs filets davantage d’œuvres dupliquées au titre de la copie privée. Et donc, autant de précieuses justifications à la mise en place de la compensation culturelle sur les PC.

marché copie privée ordinateur

Par contre, le barème voté, tous les ordinateurs seront soumis à redevance, même ceux achetés par les professionnels. Il reviendra en effet à ces derniers de se lancer dans une procédure de remboursement ou d’exemption, pleine d’aléas. Et comme toujours, les sommes non réclamées par eux resteront acquises par les industries culturelles. Une belle opération.

Début des prestations en janvier 2021

La remise des candidatures des sociétés de sondage prétendantes a été fixée au 7 août 2020 , pour un marché lancé en juillet... Le dossier de consultation des entreprises (DCE) sera adressé aux seuls candidats admis à soumissionner en septembre 2020. Viendra ensuite la remise des offres, la phase de négociation et enfin le début des prestations en janvier 2021. Quelques mois après, la Commission pourra, au regard des résultats, procéder au vote.

On saura alors si les 12 ayants droit, face aux 6 consommateurs et 6 fabricants et importateurs qui y siègent, voteront bien le futur barème, ce alors qu’ils s’attendent à une chute des rentrées financières pour l’année en cours.

Un suspense haletant.

 

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