Questions/réponses autour de la redevance Copie privée sur l’occasion

Le téléphone pleure
Droit 11 min
Questions/réponses autour de la redevance Copie privée sur l’occasion
Crédits : twinsterphoto/iStock

Le 2 novembre, les sénateurs examineront en séance la possible extension de la redevance copie privée aux produits reconditionnés. Dans une série de questions et réponses détaillées, Next INpact revient sur les termes et implications du débat.

Avant tout, qu’est-ce que la taxe sur la copie privée ?

Ce que le Code de la propriété intellectuelle appelle « rémunération pour copie privée » n’est pas une « taxe », fiscalement parlant. La fiscalité est l’objet de la loi de finances. Elle est discutée ouvertement, de façon transparente, où un contrôle de la représentation nationale et derrière, des citoyens est facilité par un compte rendu intégral des débats, en plus des flux vidéo en direct.

La redevance pour copie privée n’est pas faite de la même viande. D’un, elle ne tombe pas dans le budget général, mais dans les poches des industries culturelles. De deux, les débats n’y sont pas filmés. Il y a certes parfois des enregistrements audios qui sont effectués, mais lorsque nous en avons réclamé copie via une énième demande CADA, le ministère de la Culture nous a indiqué qu’ils avaient été détruits. Enfin, les comptes rendus en commission ne sont jamais intégraux. Seule une synthèse aseptisée est rendue publique, parfois plusieurs mois plus tard.

Ces sommes sont prélevées sur l’ensemble des supports assujettis, importés ou fabriqués en France au motif qu’il est possible, pour une personne physique, d’y réaliser des copies privées pour son propre usage : des copies d’œuvres effectuées sans l’autorisation des détenteurs de droits. La redevance n’est pas une taxe, mais la contrepartie sonnante et trébuchante d’une exception à un monopole.

Qui payent, qui touchent ?

Cette compensation est collectée par et pour les sociétés de gestion collective. Cette collecte se fait non entre les mains des consommateurs finaux ou même des distributeurs, mais chez les importateurs et fabricants en France, sur une base déclarative.

À ce plus haut niveau de la chaîne commerciale, il est impossible de savoir quels seront les acheteurs finaux : est-ce que ce support ira dans les mains d’un particulier, seul à se voir reconnaître la possibilité de réaliser des copies pour ses besoins privés… ou bien dans celles d’un professionnel ?

Cette modalité de collecte est une mine d’or pour les bénéficiaires de ces sommes : si seules les copies réalisées par les particuliers sont indemnisables juridiquement, ce système fait que tous les circuits payent, même les non-particuliers.

Cela oblige du coup les professionnels à lancer une procédure de remboursement ou d’exonération pour se voir restituer ce qu’ils n’avaient pas à payer. Kafkaïen, d’autant que la procédure n’est pas simple à mettre en œuvre, puisqu’il faut que le « pro » dispose d’une facture indiquant le montant de la redevance payée en amont par l’importateur, ce qui n’est que rarement le cas.

Les sommes facturées aux pros, mais non réclamées par eux, par ignorance ou incapacité matérielle, sont jalousement conservées par les industries culturelles.

Pas étonnant que les chiffres de ces rétrocessions soient ridiculement bas. En 2020, seuls 12,4 millions d’euros ont été remboursés et exonérés aux professionnels, selon les estimations. Soit seulement 4.54 % des 273 millions d’euros aspirés et rattachés à cette année.

Le rendement des collectes suit une droite montante, comme si les personnes physiques réalisaient toujours plus massivement des copies d’œuvres, quand les rapports annuels de l’IFPI, majors de la musique, consacrent année après année l’explosion du streaming notamment par abonnement…  

Comment expliquer ce décalage ? Les barèmes de redevance pour copie privée sont établis par une commission administrative abritée par le ministère de la Culture où siègent 6 consommateurs, 6 représentants des supports. Ces 12 redevables, d’origines hétérogènes, font face à 12 représentants des industries culturelles, qui œuvrent en bloc.  

En somme, ces 12 bénéficiaires sont en force par rapport au collège des redevables, coupé en deux. Il suffit aux premiers de convaincre une seule voix des autres camps ou, comme c’est très régulièrement le cas, celle du président de cette instance, pour obtenir la majorité absolue.

La beauté du régime français est que les ayants droit sont en capacité de déterminer les sommes qu’ils vont eux-mêmes percevoir des poches des importateurs, et indirectement des consommateurs.

Pour couronner le tout, ce sont ces mêmes ayants droit qui financent les études d’usages qui servent à jauger les pratiques de copie d’un panel de personnes, avant détermination des montants. Une maitrise de toute la chaîne : des prémices des barèmes, aux rendements de la redevance qu’ils perçoivent.  

Quels sont les produits concernés et combien rapporte-t-elle chaque année ?

Si en 1988, la redevance rapportait aux industries culturelles 61 millions d’euros, l’arrivée et l’explosion du numérique ont transformé la pompe à essence en usine pétrochimique.

125 millions d’euros en 2002, 176 millions d’euros en 2008, 241 en 2013, 278 millions d’euros en 2016, 260 millions d’euros en 2019, 273 millions d’euros en 2020, année de crise sanitaire.

La redevance a suivi la démocratisation des supports, puisque tour à tour la Commission Copie privée a adopté de nouveaux barèmes ici pour frapper les CD et DVD vierges, là pour viser les disques durs externes, les cartes mémoires, les clefs USB, les box des FAI, les GPS avec du stockage, les smartphones, ou encore les tablettes.

Où vont les sommes collectées ?

Les sommes sont affectées selon une clef de répartition inscrite dans le Code de la propriété intellectuelle entre auteurs, artistes-interprètes, producteurs et éditeurs.

25 % des montants sont cependant conservés par les organismes de gestion collective comme la SACEM ou la SACD afin de financer notamment les festivals ou des aides plus individualisées. Ces flux sont retracés sur le site AidesCreation.org, comme détaillé dans nos colonnes

De fait, ces sommes créent finalement un lien d’intérêt et de solidarité étroit avec les élus dans les circonscriptions, mais également avec le ministère de la Culture, puisque ces aides viennent finalement se substituer aux subventions publiques.

Si l'on résume, les ayants droit, non seulement déterminent les sommes qu’ils vont percevoir chaque année, mais profitent du même coup d’un instrument de lobbying. D’ailleurs, le député Éric Bothorel a pu lui-même le constater lorsqu’il a eu le malheur de ne pas adhérer militairement à leur doctrine, subissant quelques retours de bâton dont ont le secret, les chantres de l’exception culturelle. 

Quid des reconditionneurs ? Pourquoi sont-ils mécontents ? Pourquoi manifestent-ils ?

En 2020, Copie France, la société des OGC chargée de la collecte de la redevance, a décidé d’assigner une dizaine de reconditionneurs. Elle considère que les barèmes adoptés jusqu’à présent en Commission concernent aussi bien les tablettes et téléphones neufs que ceux revendus d’occasion par les circuits de reconditionnement.

Pour ces acteurs, qui œuvrent pour l’économie du réemploi, l’écologie et le porte-monnaie des consommateurs, c’est la douche froide. Une douche même glacée puisque, comme l’expliquait Copie France elle-même dans un courrier de 2018 révélé dans nos colonnes, ces biens « remis » en circulation étaient jusqu’à présent hors champ !

En plus de ces assignations, les ayants droit se sont dépêchés en Commission Copie privée d’adopter le 1er juin 2021 un barème de redevance taillé pour ces deux segments de supports.

Au même moment, entre le Sénat et l’Assemblée nationale, une bataille s’est organisée. Si en janvier 2021, le Sénat votait l’exclusion de ces supports, dans la proposition de loi sur l’empreinte environnementale du numérique, à l’Assemblée nationale, les députés ont préféré consacrer cette inclusion.

L’Assemblée nationale a ainsi adopté le 10 juin dernier, un amendement gouvernemental pour sacraliser dans la loi ce que la Commission Copie privée avait adopté administrativement le 1er juin dernier.

Une victoire pour les industries culturelles et le ministère de la Culture. Une défaite pour les consommateurs, les TPE et PME et secteur, mais aussi le ministère de l’Écologie et le secrétariat d’État au Numérique, deux portefeuilles qui s’y opposaient.

Bref. Par le jeu de la navette, le texte est revenu devant le Sénat, d’abord en commission de développement durable où les sénateurs ont finalement adopté la version des députés, sans toucher une seule virgule ! 

Il faut dire que le gouvernement a placé une menace sur la tempe de ces élus : selon le sénateur Patrick Chaize, auteur de cette proposition de loi qui ne concerne pas que la copie privée, le texte était susceptible de ne plus être inscrit à l’ordre du jour lors de son retour à l’Assemblée en seconde lecture.

Plutôt que s’opposer bec et ongles, la commission de développement durable a donc préféré s’agenouiller.

Quel est le montant de la redevance sur les tablettes et téléphones reconditionnés ?

Le barème pour les smartphones et les tablettes neufs d’une capacité supérieure à 64 Go est de 16,8 euros TTC. Le barème « produits reconditionnés » du 1er juin ramène ces montants à 10,08 euros TTC pour les téléphones et 10,92 euros TTC pour les tablettes.

Il faut comprendre que ces montants « allégés » sont indépendants du prix du produit remis en circulation. En ce sens, ils seront donc homéopathiques pour un modèle dépassant les 1 000 euros, mais très lourds s’agissant des modèles d’entrée de gamme présentant la même capacité de mémoire. Typiquement, les modèles achetés par des consommateurs parfois peu fortunés.

Que dit exactement cette proposition de loi ?

L’article 14 Bis B de la proposition reprend très exactement les termes du barème adopté le 1er juin dernier en Commission copie privée. Un fait qui ne cache que difficilement les sources d’inspirations. L’article vient concrètement apporter l’assise légale dont ont besoin les ayants droit pour justifier l’assujettissement des biens d’occasion, à chaque remise sur le marché.

Voilà l’intégralité de cet article :

« Pour les supports d’enregistrement d’occasion et ceux intégrés dans un appareil d’occasion au sens de l’article L. 321-1 du code de commerce qui font l’objet d’une mise en circulation après avoir subi des tests portant sur leurs fonctionnalités et établissant qu’ils répondent aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre et, le cas échéant, après avoir été l’objet d’une ou de plusieurs interventions afin de leur restituer leurs fonctionnalités initiales, notamment leurs capacités d’enregistrement, la rémunération due doit être spécifique et différenciée de celle établie pour les supports d’enregistrements neufs de même nature. La rémunération n’est pas due pour les supports d’enregistrement d’occasion ou intégrés dans un appareil d’occasion dont le reconditionnement a été effectué par une personne morale de droit privé remplissant les conditions prévues à l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. Pour établir le montant de la rémunération, la commission définie à l’article L. 311-5 du présent code tient compte des différences de capacité d’enregistrement des supports, des usages ainsi que de la durée d’utilisation des appareils. »

« Le montant de la rémunération fixée pour les supports mentionnés à l’avant-dernier alinéa du présent article ne peut être modifié avant le 31 décembre 2022. » (Les éléments en gras sont de notre fait)

En clair ? Un appareil (téléphone, tablette, etc.) sera éligible au barème « allégé » de redevance, s’il est déjà passé entre les mains d’une personne, si le nouveau vendeur professionnel lui a fait subir des tests tout en s’assurant qu’il répond aux obligations de sécurité. Ce qui correspond ici à une obligation légale. 

Cette série de conditions très généreuses permet finalement de frapper l’ensemble des biens « d’occasion » vendus par les professionnels, donc pas seulement ceux uniquement « reconditionnés ».

En d’autres termes, le changement d’écran, le changement de batterie ou d’un connecteur sera sans effet sur la détermination du champ de la redevance. L’article 14 Bis B est donc bien plus vaste que le laisse penser les travaux parlementaires : il frappe les achats et reventes de téléphones, pas seulement la filière du reconditionnement.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Au Sénat, les débats en séance seront organisés le 2 novembre prochain. Si les élus votent la disposition sans toucher une ligne à la version des députés, alors le texte sera définitivement adopté.

Les ayants droit pourront s’enorgueillir d’un vote dit « conforme » par les deux chambres, voire un plébiscite du Parlement.

Qu’en est-il des recours ?

Le barème du 1er juin a été effectivement attaqué et le sera encore. L’UFC Que Choisir poursuit sa procédure au fond. Des reconditionneurs ont ou vont aussi déposer des requêtes devant le Conseil d’État.

Seulement ces procédures risquent de rencontrer une contrariété avec l’adoption du 14 Bis B. Le dernier alinéa indique en effet que « le montant de la rémunération fixée pour les supports [d’occasion] ne peut être modifié avant le 31 décembre 2022 ».

Ce passage pourrait être instrumentalisé par le ministère de la Culture afin de tuer dans l’œuf ces recours, la loi rendant non modifiables ces barèmes jusqu’à la fin de l’année prochaine.

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