Dans un courrier datant de 2018, le collecteur de la redevance pour copie privée affirmait que les biens d'occasion étaient bel et bien hors du champ de la ponction. Une position à contre-courant de celle affichée aujourd’hui par les mêmes industries culturelles qui cherchent à assujettir les biens reconditionnés.
- « Les vendeurs de téléphones reconditionnés ne payaient pas, jusqu’à présent, la rémunération pour copie privée ? »
- « FAUX, la Fnac, Orange, Bouygues, SFR ou encore Apple paient depuis des années la rémunération pour copie privée pour leurs ventes de téléphones neufs et reconditionnés ».
Voilà ce qu'indiquent les ayants droit dans un document envoyé aux députés à l'approche des débats à l’Assemblée nationale. Document que nous révélons ci-dessous.
C’est que le temps est compté. Ce 10 juin, les parlementaires débattront en effet de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. Un article criblé de critiques émises par les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD).
Déjà adopté par le Sénat, l'article 14 Bis B vient en effet préserver le monde du reconditionné du paiement de la redevance pour copie privée.
Pour mémoire, cette indemnité forfaitaire est calculée, votée et perçue par les sociétés de gestion collective sur les supports d’enregistrement, en contrepartie de la liberté de réaliser des copies d’œuvres. Ces pratiques de copies sont d’abord mesurées par des études d’usages... que ces mêmes sociétés financent et réalisent auprès d’un panel.
L’article 14 Bis B vient fracasser le nouveau plan de bataille de Copie France, la société de perception détenue par la SACEM et les autres SPRD : collecter ces sommes à chaque fois qu’un téléphone ou une tablette est reconditionnée. Et pour accélérer un peu plus le temps, un barème réduit vient d’être adopté par la Commission copie privée le 1er juin. Le 6 juin, il était publié au Journal officiel par le ministère de la Culture. Un délai record.
L'assaut a débuté en réalité bien plus tôt, lorsque fin 2020, Copie France a déployé ses forces armées en engageant une série de contentieux à l’encontre des reconditionneurs. Elle leur réclame depuis paiement de la redevance sur l’ensemble des téléphones et tablettes reconditionnés depuis les cinq dernières années (donc depuis 2015). Et cette fois, elle leur a appliqué le barème fort, soit jusqu'à 14 euros pour un smartphone ou une tablette de 128 Go. L’ardoise se chiffre en millions d’euros et provoque l'effroi des structures redevables.
Le gouvernement favorable à la redevance sur le reconditionné
Ces contentieux sont toujours en cours, mais suite à de multiples renvois, les jugements ne sont pas attendus avant de longs mois. De ce qu’il nous revient, la procédure traine à la demande de Copie France.
Dans le même temps, le gouvernement s’est engagé « à favoriser [leur] résolution amiable ». C’est ce qu’il annonce sans nuance en appui de son amendement visant à réécrire l’article 14 Bis B.
L’exécutif déploie en effet tous ses efforts pour solidifier juridiquement la mainmise des sociétés de perception sur ces biens en seconde vie.
Dans le packaging des arguments, l’idée portée par les ayants droit est d’affirmer que les barèmes antérieurs n’ont jamais exclu l’occasion du champ de la redevance. En somme, le barème réduit qui vient d’être adopté en Commission Copie privée est une œuvre de charité afin d’éviter à ces supports d’être frappés au taux fort.
Le gouvernement l’assure lui-même dans l'exposé de ses motifs : « Cette redevance est mise en œuvre sur tout type de support, neuf comme reconditionné ».
Analyse appuyée par le ministère de la Culture, en janvier dernier : « les décisions de la Commission sont fondées sur des études d’usages qui n’ont pas opéré de distinction entre les supports neufs ou reconditionnés ».
Pas de redevance sur l'occasion
De fait, Copie France n’a visiblement pas toujours appliqué une telle politique. En témoigne cette lettre de Copie France datant de 2018 et adressée à Electro Depôt. Courrier déjà en possession de Bercy et que nous avons pu obtenir.
Pour restituer le contexte, la fameuse enseigne avait tenté alors d’obtenir remboursement de 5 346 euros de redevance copie privée qu'elle avait acquittés lors de l'achat de téléphones d’occasion, destinés à être exportés.
Copie France avait fermement refusé de lui faire le chèque réclamé, non sans s’expliquer : « Par principe, la rémunération pour copie privée n’est pas due pour les supports et appareils qui sont mis en circulation une seconde fois sur le territoire, puisque l’article L311-4 du Code de la Propriété Intellectuelle décide que la rémunération est due lors de la mise en circulation en France de ces supports par le fabricant ou l’importateur, c’est-à-dire lors de la première mise en circulation ».
Et la société de gestion collective d’insister : « Vos factures précisent qu’il s’agit de "produits d’occasion", pour lesquels la rémunération pour copie privée n’a donc pas à être acquittée »... avant d'inviter Electro Depôt à se retourner auprès de son fournisseur.
En somme Copie France expliquait trois ans avant l’adoption du barème « reconditionné » que ces produits d’occasion étaient bel et bien hors champ (nb : l'expression « reconditionné » n'était pas alors définie juridiquement).

Concrètement, la lettre du collecteur de la redevance révèle que ces biens remis sur le marché étaient bien hors du champ. Il était donc impossible pour une entreprise souhaitant les exporter à l’étranger d’obtenir remboursement des redevances facturées sur ces produits par son fournisseur.
La réponse de Copie France s'explique juridiquement. L’article L311-4 du Code de la propriété intellectuelle prévient en effet que la redevance doit être versée par le fabricant ou l'importateur qui réalisent des acquisitions de supports d'enregistrement « utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports ». Et le Code civil de spécifier qu’un produit ne fait l’objet que d’une « seule mise en circulation ».
Contacté, le groupe United.b, propriété d'Electro Dépôt, n'a pas souhaité faire de commentaire à Next INpact.
Inquiétude sur le modèle économique du reconditionné
On comprend en tout cas mieux les inquiétudes et la stupeur des acteurs de l’économie solidaire qui découvrent donc aujourd’hui cette fameuse redevance. Ainsi, pour Les Ateliers du Bocage, « le secteur du reconditionnement numérique regroupe une diversité d’entreprises, d’associations, de bénéficiaires et notre modèle économique est bien différent de celui des grandes enseignes ».
Pour cette antenne d'Emmaüs, « la baisse de marges financières auraient de graves conséquences sur l’emploi, notamment sur le parcours de salariés en insertion ou en situation de handicap ». De même, « sur le plan environnemental, le réemploi de toute une gamme de produits ne serait plus rentable ». Enfin, « l’augmentation du tarif du matériel reconditionné compliquerait encore l’accès à la technologie d’un public fragile et précaire, creusant encore la fracture numérique ».
Les résultats de l'étude d'usage financée par Copie France, dévoilés là encore dans nos colonnes, montre que ce sont les femmes, les jeunes, les CSP- et les inactifs qui sont le plus friands de produits reconditionnés. Si l'article 14 Bis B n'est pas adopté en l'état, les députés accentueront donc leur participation financière.
La lettre du sénateur Patrick Chaize aux députés
Dans un courrier adressé à l’ensemble des députés, que nous diffusons là aussi, le sénateur Patrick Chaize, à l’origine de l’amendement exonérant le reconditionné, rappelle que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité du Sénat en janvier dernier.

Il relève, avec plusieurs collègues, que les terminaux numériques sont « à l’origine de 81 % des impacts environnementaux du secteur ». Et selon l’élu, « laisser faire cette taxation supplémentaire eût été condamner le secteur français du reconditionné. C’eût été annuler une grande partie ce que nous avions essayé de mettre en place avec cette proposition de loi : un numérique écologique, responsable et créateur de valeur dans nos territoires ».
C’est donc « par souci de cohérence [que] nous avons donc voté l’exonération des biens reconditionnés du versement de la redevance pour copie privée. Nous l’avons fait avec mesure et responsabilité, conscients des difficultés rencontrées par le monde de la culture depuis le début de la crise sanitaire », insiste-t-il, en s'expliquant :
« D’une part, puisque nous nous sommes assurés, avant le vote de la disposition, de ne pas retirer un seul euro à la création artistique : nous rappelons ici avec force que les biens reconditionnés ne sont pas, à ce jour, assujettis au paiement de la redevance copie privée. Il n’y a donc aucune perte pour le secteur artistique. D’autre part, puisque nous avons simplement souhaité exonérer les biens reconditionnés ayant déjà donné lieu à un prélèvement lorsqu’ils étaient neufs : en pratique, les biens reconditionnés à l’étranger, n’ayant jamais fait l’objet de mise sur le marché en France, pourraient donc être assujettis ».
« Les Députés et le Gouvernement décideront-ils, en connaissance de cause, d’entraver la construction, dans notre pays, d’un numérique durable ? Les quelques millions d’euros supplémentaires que le monde de la culture pourrait en retirer en valent-ils la chandelle ? La réponse est, pour nous Sénateurs de tous les bords politiques, évidente ».
Il recommande en conséquence aux députés d’adopter l’article 14 Bis B dans les mêmes termes. Et « à ceux qui, utilisant des arguments approximatifs, nous demandent de ne pas opposer écologie et culture, nous leur retournons donc leur mise en garde. Ne résolvons pas les questionnements, au demeurant légitimes, sur le financement de la création artistique par une taxation injuste et, d’ailleurs incomprise, sur des activités environnementalement efficaces ! »