« De plus en plus de députés nous soutiennent. Nous espérons qu’ils convaincront le gouvernement de modifier son point de vue ». Jean-Lionel Laccourreye, à la tête du SIRRMIET, et Benoît Varin, cofondateur de Recommerce et président de RCube, espèrent que les députés préserveront le reconditionné de la redevance pour copie privée. Interview des deux principaux représentants du secteur.
Où en est aujourd’hui le sujet de l’extension de la redevance aux biens reconditionnés ?
Benoit Varin : Nous venons de lancer avec le SIRRMIET la coalition « Sauvons l’occasion » pour interpeller les députés dans le cadre de la proposition de loi sur l’empreinte environnementale du numérique. Nous multiplions les auditions avec les rapporteurs Éric Bothorel et Vincent Thiébaut et d’autres députés pour expliquer les risques avec la profession.
Jean-Lionel Laccourreye : De son côté, en commission Copie privée, Copie France [collecteur de la redevance, ndlr] essaye d’accélérer les choses sans attendre ni les comptes rendus juridiques en cours ni la discussion parlementaire. Elle a lancé des études avec l’Institut GFK pour avoir un barème différencié sur un questionnaire sur lequel on a essayé d’intervenir. Un questionnaire un peu biaisé qui aboutit à des conclusions qui vont dans le sens de Copie France.
En quoi cette étude d’usages est-elle biaisée ?
Jean-Lionel Laccourreye : Par exemple, vous ne pouvez pas répondre que vous ne téléchargez pas, et la notion de téléchargement d’œuvres est floue. À aucun moment, on n’indique que le streaming est différent d’un téléchargement illicite. Quelqu’un qui ne connait pas le contexte, va répondre qu’il télécharge des œuvres alors qu’il utilise Spotify.
Vous avez déjà eu des échos des réponses des sondés ?
Benoit Varin : les ayants droit essayent de démontrer qu’il n’y a pas de différence d’usages, mais nous, reconditionneurs, sommes convaincus du contraire. Nos clients ne sont pas les mêmes que ceux qui achètent du neuf, n’ont pas les mêmes pratiques, ils sont issus de classes plus populaires. Les pratiques sont moins technophiles, moins utilisatrices de contenus. On est persuadés qu’il y a de vraies études d’indépendance à mener, tant sur les usages que l’impact de ce que représenterait cette redevance sur notre secteur.
Jean-Lionel Laccourreye : nous réalisons déjà des études concrètes. Un des membres du SIRRMIET a fait une étude sur 250 000 produits qu’il avait chez lui, parce qu’il fallait faire un transfert de données. En raison du RGPD, il ne pouvait voir exactement quels étaient les fichiers concernés, mais il a pu constater qu’en moyenne, les fichiers audios représentaient 100 Mo d’espace, les fichiers vidéos 2 Go… sachant qu’étaient intégrées les vidéos personnelles. Nous remettons donc concrètement en cause cette copie privée appliquée aux produits reconditionnés.
A priori, il y aurait eu un arbitrage de Matignon en faveur des ayants droit. Avez-vous eu des échanges avec les services du Premier ministre ?
Jean-Lionel Laccourreye : nous avons des échanges avec les ministères, en particulier celui de Cédric O et de Barbara Pompili. Nous essayons d’avoir des échanges avec Matignon, mais on n’en a pas.
Benoit Varin : nous avons sollicité un rendez-vous mais notre courrier est resté sans réponse. Nous sommes très surpris que le Premier ministre n’ait pas daigné répondre à un courrier signé par une quinzaine d’organisations.
C’est assez inquiétant de voir que Matignon ne s’intéresse pas à notre sujet. Nous en sommes à penser que l’arbitrage a été donné du bout des lèvres, sans même certitude sur le caractère officiel de cette position. On sait néanmoins qu’à titre individuel, beaucoup de fonctionnaires, de représentants du gouvernement, ne sont pas favorables à l’assujettissement et que potentiellement cela peut tourner dans un sens comme dans l’autre. On espère maintenant que les députés vont faire leur travail au fil d’un vrai débat parlementaire, tout en réclamant plus de transparence sur ce régime, où les ayants droit décident eux-mêmes des barèmes sans même demander l’avis des concernés.
Si le SIRRMIET a été auditionné, cela n’a pas été le cas de RCUBE. Plus de 2 500 emplois sont pourtant en jeu, le pouvoir d’achat des Français concernés pourrait baisser de 15 % pour des équipements essentiels en ces périodes où le besoin d’être connecté est primordial.
Jean-Lionel Laccourreye : Le ministère de la Culture a été touché par cette crise sanitaire avec la fermeture des cinémas, des théâtres, des salles de concert… Quand il a réclamé des réouvertures, elles lui ont été refusées. On a un peu l’impression d’être aujourd’hui les sacrifiés du Covid, où pour compenser ces refus, on accorde aux industries culturelles la copie privée sur ces biens en seconde vie. On est rentré dans une balance entre Matignon et la Culture au mauvais moment. Le sujet du reconditionnement et de l’environnement est passé derrière ce contexte spécial. Il faudrait prendre un peu de hauteur et voir l’impact de cette décision.
Sur la question de l’impact, j’ai cru comprendre que Copie France avait déjà en tête un projet de barème…
Benoit Varin : on a fait une étude comparative en Europe, ceux qui appliquent cette redevance, sachant que la France est le pays qui pratique les barèmes les plus chers sur le neuf, comme cela a été dénoncé par l’UFC-Que Choisir.
On espère que cela ne va pas dépasser les montants de ces autres pays et que Copie France va rester dans un cadre harmonisé à l’échelle européenne, même si au regard du droit, nous allons démontrer dans les procédures en cours, l’occasion n’est pas assujettissable, puisque selon le Code civil, il n’y a qu’une seule mise sur le marché et qu’on ne peut en définitive taxer deux fois le même produit.
Juridiquement, leur barème sera illégal. On pense de toute manière qu’il dépassera le niveau demandé dans d’autres pays européens. Nous allons donc solliciter une harmonisation dans le cadre du Green Deal européen sachant que le droit à réparer est inscrit maintenant à cette échelle juridique. Imposer des redevances diverses et hétérogènes en fonction d’un État membre vient à l’encontre de l’Union européenne et de la libre concurrence. C’est inadapté.
Jean-Lionel Laccourreye : les conclusions que mène Copie France avec cette étude ne nous intéressent de toute façon pas, car nous savons forcément qu’au vu du questionnaire, les conclusions seront en notre défaveur.
Aujourd’hui on se bat pour qu’il n’y ait pas de barèmes et dans le cas contraire, nous redemanderons une étude indépendante, puisqu’une telle étude ne peut venir de l’entité qui va percevoir les montants !
Vous n’avez pas de sièges en commission, mais vous avez été auditionné par elle…
Jean-Lionel Laccourreye : le SIRRMIET a été en effet auditionné. L’échange fut courtois, mais nous savions que les conclusions étaient déjà prises.
Quels sont vos pronostics à l’Assemblée nationale ?
Jean-Lionel Laccourreye : de plus en plus de députés nous soutiennent. Nous espérons qu’ils convaincront le gouvernement de modifier son point de vue. L’un des arguments portés par les ayants droit est que ce dispositif va frapper Back Market, un géant… Il y a une confusion des médias entre Back Market qui est un distributeur, et les membres de RCube et du SIRRMIET qui sont des industriels. Les industriels génèrent 5 000 emplois en France. Back Market génère 400 emplois. Ce sont les industriels qui seront touchés, pas Back Market qui soutient néanmoins notre combat.
Benoit Varin : il y a trois arguments importants. D’un tous les acteurs français perdent de l’argent. Il ne faut pas mélanger levée de fonds et rentabilité. Actuellement, la plupart des acteurs qui font des levées de fonds perdent de l’argent à chaque produit vendus. Largo, entrée en bourse voilà trois semaines, perdait 2,5 millions d’euros sur 10 millions de chiffre d’affaires.
Cet industriel nantais, qui fait de la réparation et du reconditionnement de Smartphone, a malgré tout réussi à lever 22,8 millions d’euros. Beaucoup d’autres acteurs perdent de l’argent tous les mois ou quand ils arrivent à en gagner, ne font que quelques centaines de milliers d’euros en fin d’exercice.
Jean-Lionel Laccourreye : …et si vous prenez comme autre exemple l’entreprise Remade, 100 millions d’euros furent levés. Quelques années plus tard, elle a fait faillite.
Benoit Varin : la situation économique est donc très fragile. Deuxième point, il y a la volonté d’aller vers l’économie circulaire, avec du coup de l’investissement pour soutenir le secteur, maintenir cette économie. Troisième point, si la redevance passe, autant vous dire que le modèle économique sera totalement déficitaire. Les portes se fermeront, avec perte d’emploi et déport des achats sur les marketplaces au profit de pays sans redevance.
Jean-Lionel Laccourreye : aujourd’hui, le secteur vend 50 % en ligne, 50 % « off line ». Si la redevance copie privée s’applique, en ligne nous serons tous dépositionnés face à cette concurrence étrangère qui ne la paiera pas . Et ceux qui achètent off line verront pour leur part que sur Internet cela sera beaucoup moins cher. On anticipe sur ce créneau une baisse de 20 à 30 %. C’est une vraie bérézina, qui s’est déjà produite avec les disques durs externes où le marché français s’est effondré.
Benoit Varin : en Allemagne, c’est exonéré sauf cas très particuliers. En Espagne et Norvège, c’est exonéré. En Grèce, Slovénie ou maintenant en France, aucun élément ne justifie cet assujettissement.
Jean-Lionel Laccourreye : je retiens de ce dispositif que tous les pays sont maitres de ce qu’ils veulent faire. C’est donc une volonté politique. Si cette volonté est d’encourager le développement et la consommation durables, il ne faut pas mettre de redevance.
Benoit Varin : autre exemple, en Belgique, la redevance ne s’applique que pour les ventes B2C, des professionnels aux particuliers, avec un montant de 2,5 euros (16 Go) ou 3 euros (au-delà). L’Italie c’est 0,5 euro par unité.
Jugeriez-vous pour autant acceptable que soit adopté un prélèvement finalement faible ?
Jean-Lionel Laccourreye : c’est un sujet complexe. On dit aux députés que c’est une règlementation européenne qui s’applique en France, et comme la France va prendre la présidence du Conseil de l’UE, il faut que le pays soit exemplaire. Voilà les échos que j’ai eus.
Ce que je veux dire est qu’il s’agit avant tout d’un choix politique. Si on dit « c’est zéro », c’est zéro ! Tous les États membres ont des barèmes différents, ce n’est absolument pas homogénéisé !
Benoit Varin : pour l’instant il n’y a aucune harmonisation européenne, chaque pays fait un peu ce qu’il veut. En termes de gouvernance, certains ont tout de même opté pour une gouvernance étatique avec un contrôle des parlementaires, ce qui n’est pas le cas en France. Comme exposé, des pays ne taxent pas le reconditionné, d’autres optent pour des barèmes minimes, voire symboliques.
Où en sont les procédures lancées par Copie France à l'encontre des reconditionneurs ?
Jean-Lionel Laccourreye : Une dizaine de sociétés ont été touchées. Les procédures sont en cours. Le temps juridique est un temps long. On parle de 18 à 24 mois pour espérer une décision.
Benoit Varin : Copie France a toutefois demandé de reporter ces procédures. On pense que le collecteur de la redevance joue la montre, car n’est pas à l’aise juridiquement. La société fait une pression politique pour espérer remporter cette victoire parlementaire tout en repoussant les échanges devant le juge. Théoriquement, les ayants droit auraient dû taxer K7 vidéos et autres supports analogiques d’occasion depuis 1986 ! Pourquoi maintenant avoir attendu plus de 30 ans ?
Jean-Lionel Laccourreye : au SIRRMIET, nous avons fait appel au conseil de Me Cyril Chabert. Ses conclusions sont sans appel : le produit reconditionné n’est pas soumis à la redevance.
Benoit Varin : au-delà du reconditionné, ce sont même toutes les ventes d’occasion qui sont concernées. Dès qu’on vend un produit d’occasion sur Le Bon Coin, il faudrait payer la redevance. Cela pourrait devenir une taxe sur tous les échanges entre particuliers !
Jean-Lionel Laccourreye : je ne voudrais pas opposer l’exception culturelle avec l’urgence environnementale. Les deux sont nobles, mais là, ce que l’on fait, est qu’on les oppose. Le débat n’est pas sain.