Exclusif : Next INpact diffuse l'avis Hadopi sur le projet de loi relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère du numérique. Au menu, de nouvelles armes contre le piratage en ligne. Outils qu’Hadopi juge encore trop en retrait.
Le projet de loi, examiné à la mi-mai en Séance au Sénat, est une étape importante dans la vie de la Hadopi. L’institution née en 2009, après un accouchement dans la douleur ponctué par une censure constitutionnelle, s’apprête à voir ses compétences transmises aux mains du CSA.
Rhabillé pour le coup en « Arcom » (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), le couple Hadopi-CSA sera doté de nouvelles armes contre les diffusions illicites de contenus protégés par le droit d’auteur.
« L’Hadopi se félicite de la volonté du Gouvernement de réaffirmer son engagement en faveur de la protection des droits à travers le renforcement des moyens d’action destinés à lutter contre toutes les formes de piratage », écrit l'autorité dans les premières lignes de son avis. Elle cible notamment la lutte contre les sites miroirs ou contre les sites de streaming de compétitions sportives.
Cependant, l’institution reste sur sa faim, considérant « que certaines dispositions complémentaires pourraient accroître l'efficacité attendue du dispositif introduit par le projet de loi ».
La riposte graduée dopée à la transaction pénale
Dans cet avis, la Hadopi souhaiterait que soit introduit (enfin) le mécanisme de la transaction pénale, aujourd’hui absent du projet de loi.
L'an passé, nous relevions que la riposte graduée avait généré depuis ses origines 87 000 euros d'amendes infligées par les tribunaux. Un montant à comparer aux 82 millions d'euros de subventions publiques qui ont permis notamment à l'institution d'adresser 13 millions d'avertissements, outre de mener de multiples travaux.
Ces chiffres s'expliquent puisque la Hadopi est encore aujourd'hui tributaire des décisions des parquets, outre que tous les abonnés avertis ne réitèrent pas nécessairement, du moins sur les réseaux P2P.
Depuis plusieurs années, la haute autorité soutient en conséquence cette transaction pénale afin d'accélérer la riposte graduée. Ce mécanisme, également plébiscité par Aurore Bergé, pourrait éviter l’engorgement des juridictions en proposant aux abonnés multiavertis de signer une transaction avec l'autorité.
Aujourd'hui, un tel abonné risque de voir son dossier transmis au parquet, qui décide d'une éventuelle transmission à la justice. Les sanctions restent donc rares, ce qui agace au plus haut point les ayants droit.
Avec la transaction pénale, l'abonné payerait au stade de la Hadopi un montant déterminé ou bien, s’il refuse, verrait son dossier suivre le parcours classique.
L'autorité voudrait en outre que l’Arcom dispose d’un pouvoir de citation directe devant les tribunaux. Une manière également d'inciter l’abonné à signer cette transaction, sans trop d'hésitation.
« Un tel pouvoir, souhaité par de nombreux acteurs du secteur, serait de nature, en donnant à la réponse pénale un caractère moins aléatoire qu’aujourd’hui, à en améliorer l’effet dissuasif et donc à accroitre la portée des avertissements adressés aux internautes contrevenants lors de la phase pédagogique de la procédure de réponse graduée ».
La faisabilité de cette réforme fut confirmée par deux conseillers d’État. Elle est également voulue par l’univers culturel. Pascal Rogard, inévitable directeur général de la SACD, estimait lui aussi que « ce serait la méthode la plus simple pour rendre efficace la réponse graduée, sachant que la sanction initialement prévue, la suspension, est apparue disproportionnée, à juste titre ».
Une fusion plutôt qu’une dilution
Toujours dans son avis, la haute autorité critique également les modalités du rapprochement des deux autorités au sein de l’Arcom. En l’état, le projet « comporte le risque de conduire à l’absorption de la Hadopi par le CSA au détriment de la recherche de synergies entre les deux régulateurs ».
En clair, la Hadopi a peur de disparaître corps et âme entre les griffes du Conseil. Elle demande ainsi que « les missions relatives à la protection de la création sur internet figurent parmi les priorités de cette nouvelle autorité » et réclame que « la compétence et le savoir-faire de ses agents soient pleinement reconnus », et surtout pas abandonnés en bord de route parlementaire.
D’autres vœux dans sa lettre au Père Noël
En plus des sociétés de gestion collective, des organismes professionnels et du procureur de la République et du Centre national du cinéma, la Commission de protection des droits de la Hadopi voudrait pouvoir être saisie par simple acte d’huissier, mandaté par un ayant droit. Là encore, un vœu déjà exprimé.
Par contre, sur le relai des emails, changement de braquet. Cette CPD ne souhaite plus acheminer directement les emails d’avertissements sans passer « par le truchement des fournisseurs d’accès », comme elle le réclamait jusqu'à présent.
À bien y réfléchir, se ravise-t-elle, une telle réforme impliquerait l’achat de nouveaux serveurs et d’outils de sécurisation. Comme aujourd’hui les FAI sont indemnisés, le sujet ne serait plus d’actualité.
Relevons au passage que le projet de loi abroge un pan historique de la loi de 2009, celui sur la labellisation des moyens de sécurisation. Une telle suppression permettra de « pallier les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la procédure de labellisation (…) qui s’est avérée par son excessive rigidité inadaptée à la réalité des usages », relève l'avis.
De fait, cette labellisation avait déjà été enterrée par l’institution dans les années 2010, celle-ci ayant eu in fine conscience de son impossibilité.
Compétence générale de caractérisation des sites illicites
Autre idée, la Hadopi voudrait voir l’Arcom dotée d’une compétence générale de caractérisation des sites illicites.
Elle déterminerait ainsi des « standards juridiques et techniques simplifiant l’identification » de ces sites.
Leur rôle ? D’une part, nourrir les accords volontaires passés avec les ayants droit et les régies, « aux fins d’isolement de ces services ». C'est l'approche follow the money destinée à couper les vivres aux sites illicites. D’autre part, « renseigner le juge ».
Lors des dossiers visant les sites de contrefaçons, le juge pourrait ainsi s'appuyer sur l'expertise de l'autorité pour aiguiller sa décision, sachant que la caractérisation version Arcom n'enlèverait rien aux marges de manoeuvres des ayants droit.
Site bloqué ? Page de pub pour l'offre légale
La Hadopi regarde aussi avec envie le décret du 30 décembre 2011 relatif aux modalités d'arrêt de l'accès à une activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée.
Les utilisateurs d’un site de jeux d’argent en ligne bloqué « sont dirigés vers une page d'information de l'Autorité nationale des jeux indiquant les motifs de la mesure de blocage » (article 1).
il faudrait, selon l'autorité, qu’une mesure identique soit prévue en matière de propriété intellectuelle. FAI et hébergeurs pourraient dès lors être contraints par le juge d’afficher à la place du site bloqué, une page qui dirigerait les internautes vers les sites d’offres légales.
Aucun détail n'est donné sur la sélection de ces offres ni sur les conséquences qu’une telle publicité peut avoir sur le terrain concurrentiel.
Inverser la logique dans la lutte contre les miroirs
Une grande innovation est à relever. La Hadopi estime que l’Arcom devrait encore être doté de pouvoirs beaucoup plus musclés pour agir contre les sites miroirs.
En l’état, le texte l’autorise à demander aux FAI l’extension de ces mesures lorsque surgit la réplique d’un site bloqué judiciairement.
Si l'Arcom n’obtient pas gain de cause, elle doit revenir voir le juge pour espérer l'extension du blocage aux sites de contournement.
Dans son avis, la Hadopi renverse cette logique : il reviendrait non plus à l'Arcom mais aux FAI d’aller voir le juge. Ce serait donc à eux de contester ses demandes et ce dans des délais très courts.
Et ceux des FAI qui refuseraient de manière « manifestement infondée » de suivre ses demandes de blocage, encourraient à un moment donné une amende civile.
Selon nos informations, cette nouvelle rédaction a été taillée pour tuer dans l'oeuf les stratégies de contournement de certains FAI, ceux qui pourraient ne pas être très collaboratifs. Elle permet aussi d'optimiser la réaction de l'écosystème face à la problématique des miroirs, puisqu'il ne faut que quelques instants pour faire renaître un site.
Contactée, la Hadopi nous précise ne pas être opposée à ce que la liste des miroirs bloqués soit rendue publique. Une transparence que ne prévoit pas aujourd'hui le projet de loi.