Hadopi : 82 millions d’euros de subventions publiques, 87 000 euros d’amendes

René Dosière en PLS
Droit 10 min
Hadopi : 82 millions d’euros de subventions publiques, 87 000 euros d’amendes
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-SA 3.0)

Un bilan « impressionnant », de l’aveu de Denis Rapone. Dans son dernier rapport annuel, elle souligne avoir renforcé le volet dissuasif de la réponse graduée, chiffre à l'appui. Au total, depuis sa naissance, 87 000 euros d’amendes ont été infligés au bout de cette procédure. Pour 82 millions d’euros de subventions publiques perçues.

Depuis ses origines, « ce sont près de 13 millions d’avertissements qui ont été envoyés à des internautes ayant méconnu le droit d’auteur et, dans 70 % des cas, aucune réitération des faits n’est constatée après un premier avertissement ».

Pour le président de la Hadopi, dont le mandat a été prolongé jusqu’au 25 janvier 2021, pas de place au doute : cela « dénote une efficacité difficilement contestable de la procédure », d’autant que « 50 % des personnes sensibilisées à la réponse graduée déclarent s’être tournées vers une offre légale ».

La Hadopi, née dans la douleur en 2009 après la censure magistrale de la première loi éponyme, est encore et toujours taillée pour s’attaquer aux seuls échanges illicites sur les réseaux P2P.

La procédure est connue : alors que des œuvres protégées par le droit d’auteur sont mises à disposition par des internautes indélicats sur les réseaux de pair-à-pair (P2P), des prestataires sont dépêchés par les sociétés de gestion collective comme la SACEM. Leur mission ? Relever leurs adresses IP et les transmettre à la Hadopi qui obtient alors, des fournisseurs d’accès, l’identité des abonnés.

Vient ensuite la riposte graduée proprement dite : l’autorité adresse un mail d’avertissement dans les deux mois à chacun d’eux. Si une IP est à nouveau repérée sur les réseaux P2P dans les 6 mois, un nouvel avertissement « pédagogique » est envoyé, doublé d’une lettre remise contre signature. Et en cas de récidive dans les 12 mois suivant cette deuxième recommandation, l’abonné reçoit cette fois une lettre remise contre signature constatant les faits de « négligence caractérisée ».

Au sein de la Hadopi, une commission, celle de la protection des droits, décide alors de transmettre – ou pas – ce dossier au procureur de la République, qui pourra lui-même l’envoyer devant le juge.

Ce qui est reproché au titulaire de l’abonnement n’est pas le « piratage » d’œuvres, mais de n’avoir su empêcher, malgré plusieurs avertissements, que sa ligne ne serve à mettre à disposition ces contenus. C’est la persistance d’une défaillance, le défaut de sécurisation de l’accès Internet, qui devient éligible à une contravention de 1 500 euros maximum, infligée par le tribunal de police.

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En 2019, la Hadopi a réceptionné 9 millions de saisines des ayants droit, contre 14 millions en 2018. Si depuis ses premiers pas en octobre 2010, elle a envoyé 12,7 millions d’avertissements, le chiffre a été en recul l’an passé pour s’établir à près de 830 000. Le plus bas de sa courte histoire. « Cette diminution résulte notamment de l’évolution des usages en matière de consommation d’œuvres culturelles sur internet et de l’accroissement sans précédent des offres légales » explique l’autorité.

La différence entre ces 9 millions d’IP et ces 830 000 avertissements a elle-même plusieurs explications. Les abonnés peuvent effectivement prendre les mesures nécessaires pour que les mises à dispositions d’œuvres cessent sur les réseaux P2P. Comment ? En se tournant vers l’offre légale (Netflix, Deezer, Spotify, etc.) ou… le streaming illicite et le téléchargement direct, non concernés par la riposte graduée.

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Crédits : hadopi.fr

Les IP partagées entre plusieurs abonnés, caillou de la Hadopi

À cela, il faut ajouter que seuls 77,50 % des IP sont effectivement identifiées par les fournisseurs d’accès. Pourquoi ces 22,5 % de déchets ? Si les quatre plus gros FAI sont interconnectés avec la Hadopi, d’autres restent sur le carreau, rendant impossible l’automaticité chère à l’institution. De plus, des erreurs peuvent se glisser dans les flux (notre actualité, avec un classement des FAI, obtenu après procédure CADA).

Surtout, l’autorité est confrontée à un gros caillou : « une augmentation sans précédent des adresses de “NATtage”, auxquelles les FAI ont recours pour faire face à la pénurie d’adresses IPv4 ».  

Cette technique permet schématiquement de partager une adresse IP entre plusieurs connexions. Du coup, explique timidement la Hadopi, elle « rend plus difficile la pleine mise en œuvre de la procédure et risque à terme d’affecter le principe d’égalité de traitement devant la loi des titulaires d’abonnement devant faire l’objet de la procédure de réponse graduée ».

Lorsqu’une adresse IP est partagée entre plusieurs abonnés, il est impossible pour la Hadopi de déterminer l’origine des œuvres mises à disposition sur les réseaux P2P sans disposer de données complémentaires, le « port source » et le « port destination ». Un peu comme un gendarme démuni face à un véhicule disposant de plusieurs titulaires inscrits sur sa carte grise.

L’échec est NAT

Dans le rapport annuel mis en ligne fin juin, la Commission de protection des droits indique avoir « poursuivi ses démarches, initiées en 2016, tendant à obtenir la modification de l’article 2 du décret n°2010-236 du 5 mars 2010 et de son annexe afin de permettre aux ayants droit de communiquer, en complément de l’adresse IP collectée sur internet, le port source et le port destination qui permettent d’identifier le titulaire d’une connexion auquel le FAI alloue une adresse IP dite “NATtée” ou partagée ».

Explications : la riposte graduée n’est pas seulement une arme au service des ayants droit. C’est aussi un traitement de données personnelles encadré par des textes. Légalement, dans les données traitées par les ayants droit avant transfert à la Haute autorité, la CNIL a bien autorisé les acteurs de la musique et de l’audiovisuel à aspirer le numéro du port. Toutefois, lorsque la Hadopi récupère les adresses IP, le décret du 5 mars 2010 l'oblige à laisser de côté cette information, pourtant seule pertinente pour individualiser un abonnement derrière plusieurs personnes.

Dit autrement, ces précieuses données ne peuvent ni être communiquées par les ayants droit ni traitées par la Hadopi. Et voilà l’identification bloquée !  

Un volet dissuasif renforcé

Pour le reste du stock, l’autorité indépendante a en tout cas pu dresser un peu plus de 4 200 constats de négligence caractérisée, contre 3 000 en 2018. Cela « représente, en une année, plus du quart du total des constats opérés depuis le lancement du dispositif de réponse graduée en 2010 ».

De là, 1 748 dossiers ont été transmis au procureur de la République, contre 1 045 un an plus tôt. C’est « plus d’un tiers du total des saisines de l’autorité judiciaire (…) depuis le lancement du dispositif de réponse graduée en 2010 ».

Ce n’est pas tout. « En 2019, près de 16 % des dossiers soumis à la Commission ont fait l’objet d’une transmission visant les deux infractions de contrefaçon et de négligence caractérisée ». La CPD a en effet compétence pour requalifier le défaut de sécurisation en contrefaçon lorsqu’elle dispose d’éléments suffisants, par exemple lorsqu’un abonné affirme dans ses échanges avec l’autorité, avoir lui-même mis en ligne les œuvres.

Selon le rapport annuel, « cette montée en charge traduit, de la part de la Commission, la volonté de renforcer le volet dissuasif de la réponse graduée pour les dossiers les plus graves, prenant en compte le nombre de saisines par les ayants droit, le nombre d’œuvres irrégulièrement mises à disposition, l’existence éventuelle de procédures successives antérieures ayant donné lieu à l’envoi de recommandations ou bien l’utilisation de plusieurs logiciels ».

Au final, 128 jugements ont été rendus l’an passé (aussi bien en correctionnel que par les tribunaux de police). S’y ajoutent 104 compositions pénales et 393 mesures alternatives aux poursuites (essentiellement des rappels à la loi).

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Crédits : Hadopi.fr

Somme totale des amendes « Hadopi » ? 87 000 euros

Derrière cette avalanche de chiffres, la Hadopi révèle que « depuis 2011, le montant total cumulé des amendes prononcées et portées à la connaissance de la Commission est de 87 000 €, dont près du tiers pour la seule année 2019 ».

Il serait cruel de jauger l’efficacité ou l’utilité de la riposte graduée sur l’autel de ce seul chiffre, surtout lorsqu’on le confronte aux 9 millions d’euros de subvention versée l’an passé, ou pire encore… aux 82 millions d’euros accordés par le ministère de la Culture depuis son cri primal.

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Crédits : Hadopi

82 millions d’euros versés pour 87 000 euros d’amendes collectées laisse aussi entendre que l’État a dépensé 942 euros d’argent public pour infliger 1 euro d’amende. Ce chiffre serait entièrement vrai si la Hadopi était toute concentrée sur la seule riposte graduée et que celle-ci n'était que répressive. Cette procédure a avant tout une visée pédagogique, outre que l'institution dispose d’autres missions, certes beaucoup moins ambitieuses : l’encouragement à l’offre légale, l’observation des usages, ou encore la régulation des mesures techniques de protection, sur laquelle nous reviendrons très bientôt. 

On comprend néanmoins pourquoi la Hadopi préfère s'attarder sur les changements de pratiques de la part des abonnés avertis. « Au total, la procédure de réponse graduée semble désormais donner la pleine mesure de sa mission dissuasive, compte tenu du contexte normatif dans lequel elle évolue », affirme-t-elle dans son rapport.

Une riposte graduée arrivée « à maturité »

Souci : la riposte graduée serait certes arrivée à sa vitesse de croisière, mais son périmètre est aussi restreint que dépassé. « Arrivée à maturité, elle nécessite des adaptations visant à renforcer son efficacité, comme l’a appelé de ses vœux l’Hadopi dans son avis du 28 octobre 2019 sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique »

Ce projet de loi vise à étendre le champ de ses compétences pour les porter sur le streaming et le téléchargement direct illicites. Il devrait se matérialiser finalement par une ordonnance pour donner naissance avant tout à une nouvelle autorité, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. L’Arcom sera le fruit de l’absorption des pouvoirs de la Hadopi par le CSA.

Le texte pourrait introduire un système de transaction pénale et « de citation directe devant le tribunal de police en matière de contravention de négligence caractérisée ». Cette procédure contournera le filtre du procureur, dirigeant l’abonné directement devant les juridictions.

Il devrait également permettre l’édition de liste noire de sites manifestement contrefaisants avec coupure des ressources publicitaires, sans oublier des outils contre les sites miroirs, outre un dispositif particulier de blocage dynamique des sites de streaming de manifestations sportives.  S’y ajoutera enfin la transposition de l’article 17 de la récente directive sur le droit d’auteur, lequel impose des obligations de filtrage sur les épaules des hébergeurs comme YouTube, sous l’œil de l’autorité indépendante

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