Présidence de l'Arcep : Laure de La Raudière se défend, détaille son plan d’action et ses priorités

En mode tout ou rien
Internet 13 min
Présidence de l'Arcep : Laure de La Raudière se défend, détaille son plan d’action et ses priorités

Laure de la Raudière est proposée pour remplacer Sébastien Soriano à la tête de l’Arcep. Elle était hier à la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale pour présenter les grandes lignes de son projet et répondre aux questions des députés. Voici ce que l'on peut en retenir.

C’est la première étape obligatoire avant la nomination officielle, la seconde sera lors d‘un passage au Sénat. Les députés et sénateurs doivent ensuite donner leurs avis par un vote.

Un passage important, car « le président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque Commission représente aux 3/5e des suffrages exprimés au sein des deux Commissions », explique Roland Lescure (président de la Commission).

Durant son audition, Laure de La Raudière expliquait voir « ce futur poste […] comme une continuité logique de toute [sa] carrière professionnelle » : « C'est un challenge pour moi […] je pense que c'est un poste passionnant et que je saurais parfaitement faire la différence entre le rôle politique du député sur ce secteur et le rôle du régulateur – neutre – s'appuyant sur des données scientifiques et dialoguant naturellement avec les élus ».

Avant de détailler ses positions et attentes sur le numérique, la Poste et la distribution de la presse, attardons-nous sur son parcours, ses expériences professionnelles et les attaques dont elle est la cible, notamment par Xavier Niel.

Laure de La Raudière : « Je suis un tout »

Elle commence bille en tête avec la « polémique » autour de ses années chez Orange : 

« Depuis 2007 et jusqu’à ce jour, j'ai réalisé neuf missions sur les enjeux numériques. En toute indépendance d'esprit et sans jamais me demander si ce que je proposais était bon pour un acteur ou un autre. Mes choix étaient guidés par l'intérêt général […] Mes neuf rapports de ces missions pour le compte de la Commission des affaires économiques sont là pour le prouver […]

Mon passage chez France Télécom il n'y a plus de vingt ans m'a permis d'acquérir l'expertise nécessaire à la compréhension technique et opérationnelle du secteur des télécommunications. Mes mandats de député, mais également d’élue locale m'ont apporté une expertise juridique et économique du secteur ainsi qu'une connaissance fine des attentes des citoyens et des entreprises ».

Durant la séance de questions-réponses, François Ruffin (France Insoumise) s’est montré particulièrement hostile à la nomination de Laure de La Raudière : « Autant ici dans vos interventions qu’en off, je vous ai toujours toujours toujours entendu défendre les télécommunications. Et dernièrement, je vous ai toujours entendu défendre la 5G […] J'ai regardé votre CV évidemment et, avant que ça tombe dans la presse, j'avais vu vos quinze années chez Orange. Alors quand j'ai appris que vous étiez proposée […] j'ai été surpris et à vrai dire, en toute honnêteté (on a encore sa naïveté), j'ai été stupéfait ». Une ligne proche de ce qu'exprimait Xavier Niel.

Ruffin détaille son propos : « Je ne doute pas de votre conviction, je ne doute pas de votre sincérité et c'est tout l'enjeu : c'est qu'il ne va pas y avoir besoin de pression, il ne va pas y avoir de besoin de corruption de l'extérieur pour que ça soit la technophile, les enjeux industriels, les enjeux économiques qui l'emportent parce que vous êtes habitée de ça, sincèrement, et pleine de conviction ».

Pour le député de la France Insoumise, il faut réfléchir au « sens qu'on veut donner au numérique dans la société », et pour cela « on a besoin de quelqu'un qui est en dehors de ce champ-là ». Bon nombre de ses collègues qui se sont relayés n’étaient pas du même avis et ont apporté ouvertement leur soutien à Laure de La Raudière.

Cette dernière lui répond :

« On ne s'affranchit pas de treize ans de député d'un territoire rural du jour au lendemain, on ne s'affranchit pas de cette connaissance fine des attentes des citoyens quand ils n’ont pas un accès Internet de qualité ni un accès mobile, ce n'est juste pas possible […]

Une personnalité, c'est un ensemble. Il y a 20 ans, j'étais à France Télécom, certes, et j'ai fait des postes opérationnels de connaissances sur comment on construisait un réseau. Après, j'ai une expérience entrepreneuriale et j'ai été députée, on ne s'affranchit pas tout ça. On est un tout. Et moi je suis un tout ».

Trois secteurs de régulation, les telcos cristallisent les attentes

Cette polémique évacuée, passons à la vision de celle qui est proposée pour prendre la tête du régulateur. Elle rappelle qu'il est en charge de trois secteurs, ajoutant que celui « qui fait l'objet de plus de débats, d'avis, de concertation et aussi d'attente de nos concitoyens est le secteur des télécommunications et du numérique ».

Les anciens présidents de l’Arcep ont lancé les chantiers sur le déploiement de la fibre, la 4G, la 5G (qui va continuer avec les 26 GHz, les territoires ultramarins…), la relation avec les territoires, etc. Pour les prochaines années, « les chantiers à venir sont tout aussi considérables et passionnants », commence Laure de La Raudière.

Les attentes des citoyens sont « d'avoir des réseaux de qualité, qu'ils soient fixes ou mobiles, partout, et accessibles à des prix compétitifs […] Elles sont donc la base des enjeux de la régulation pour l’Arcep dans le secteur des télécommunications. Les priorités de la régulation reposent donc sur l'attention particulière à maintenir un environnement concurrentiel et innovant, à aménager le territoire […] et à développer une filière compétitive tout en intégrant la réflexion plus récente […] sur l’empreinte environnementale du numérique ».

Elle rappelle, à juste titre, que la personne à la tête de l’Arcep ne décide pas seule : les orientations « feront bien évidemment l'objet de discussions avec les membres du Collège et sont susceptibles d'évoluer et d'être enrichies ».

Aménagement du territoire et marché entreprise

Le premier objectif qu’elle se donne concerne l’aménagement du territoire, aussi bien en fixe qu’en mobile : « Il doit être poursuivi en veillant notamment au respect des engagements des opérateurs dans le cadre du New Deal Mobile et du déploiement de la fibre dans les zones AMII, AMEL et les RIP ». Des projets que nous avons détaillés (avec le plan France THD) dans notre Magazine #2.

Laure de La Raudière veut poursuivre les « démarches de transparence vis-à-vis des consommateurs », lancées par Sébastien Soriano qui a poussé la régulation par la data. Elle veut aller plus loin avec « l'accès à une certaine prévision des déploiements fixes et mobiles » (encore limitée actuellement) avec, par exemple, des « données d'éligibilité de la fibre fiabilisées par rapport à aujourd’hui ». Elle souhaite aussi des mesures de qualité « plus fiables et conformes aux conditions de réception des utilisateurs ».

Pour rappel, du changement a été apporté sur les cartes des opérateurs, mais il reste encore du travail. « Tout le monde a intérêt à ce qu'on ait une information fiable sur les cartes de couverture, donc c'est un chantier très important pour l'Arcep ». Ce « n'est pas un enjeu aussi simple que je le pensais », reconnait-elle avant d’ajouter avoir « à cœur d'avancer sur ce sujet ».

Deuxième point : « veiller au maintien d'un marché concurrentiel pour pouvoir conserver des offres à un prix attractif et favoriser l'innovation », avec une « attention particulière pour le marché entreprise ». Comme nous l’avions rappelé, c’est actuellement un duopole largement dominé par Orange et, dans une moindre mesure, SFR. La tentative Kosc s’est soldée par un redressement judiciaire fin 2019, depuis reprise par Altitude Infra.

Ce marché faiblement concurrentiel « conduit les PME à être aussi faiblement fibrées et en France. Or, la numérisation des PME est un objectif prioritaire pour la France et porté par le gouvernement ». Elle rappelle que l'Arcep a déjà « posé un cadre de régulation pour développer les offres avec une qualité de service renforcée sur les réseaux FTTH » et qu’elle compte apporter (avec le Collège) « une attention particulière sur ce marché, pour voir si le cadre de régulation actuelle (assez récent) commence à porter ses fruits – c'est parfois long – ou alors s’il faut le faire évoluer ».

Dans tous les cas, « il faut dynamiser ce marché […] la régulation est récente, il n'y a pas encore eu un effet "waouh"  […] donc l'Arcep va veiller au début 2021 ». Si ce n’est pas suffisant, il « faudra envisager un nouvel axe de régulation ». Elle attend aussi le lancement des offres B2B de Free, qui ne devraient plus tarder selon Xavier Niel.

Empreinte environnementale et qualité de service

Le troisième point concerne « la réflexion sur l'empreinte environnementale du numérique », un sujet dont se saisissent les politiques (parfois avec maladresse), les industriels, les opérateurs et les utilisateurs.

S’appuyant sur le récent rapport du Sénat, elle explique que « l'ensemble du secteur numérique représente 2 % de la part des émissions de gaz à effet de serre en France, et 6,7 % en 2040 […] Rappelons que dans cet ensemble, les réseaux eux-mêmes de télécommunications ne représentent que 5 % du total ».

Pour Laure de La Raudière, le gendarme des télécoms devrait garder cette problématique en tête dans tous ses chantiers, afin de voir comment « la régulation peut contribuer à l'objectif de développement durable ». Elle donne un exemple permettant de limiter l’empreinte écologique : la mutualisation des antennes… de quoi (re)donner le sourire à Xavier Niel et Stéphane Richard qui en discutent sur la 5G.

Le gendarme des télécoms a déjà publié un premier rapport pour un numérique soutenable et se prépare, avec l’ADEME, à rendre ses conclusions d'ici la fin de cette année : « On doit prendre l'ensemble en fait des données disponibles, c'est-à-dire non seulement l’empreinte environnementale du numérique lui-même, mais des usages aussi qui en sont faits », explique la députée. Elle estime qu'il est « important que le régulateur puisse éditer un guide de bonnes pratiques ». Il faudra voir ce qu’il en ressortira.

Quatrième et dernier point concernant le secteur des télécoms : la qualité de service des réseaux. « Aujourd'hui, le réseau cuivré est vieillissant et pourtant, il assure encore la grande majorité des raccordements au téléphone ou à l'Internet de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales […] La qualité de service sur le réseau cuivre est préoccupante à certains endroits et doit faire l'objet d'une attention particulière de l’Arcep ».

Il faudra dans le même temps suivre le décommissionnement de ce réseau cuivre, qui a déjà commencé et va s’intensifier. Pas un mot par contre sur le retrait du réseau câble de SFR (hérité de Numericable).

Mettre de l’ordre dans le « sac de nœuds » de la fibre

Le réseau cuivre sera un point sur lequel elle sera particulièrement attendue (en sa qualité d’ancienne de chez Orange/France Télécom). Le gendarme des télécoms a par le passé déjà sorti son bâton pour sévir quand la qualité de service était largement insuffisante.

Mais elle ajoute qu'« il existe aussi des difficultés dans la qualité de service sur les réseaux fibre en cours de déploiement », un autre point que nous avions noté dans notre bilan sur les défis de l’Arcep : « les relations actuelles entre l'opérateur d'infrastructure (celui qui déploie le réseau) et l'opérateur commercial (celui qui vend et raccorde le client) sont insatisfaisantes »… et c’est peu de le dire dans certains cas.

« Une action urgente est à mener sur ce sujet pour rappeler leur responsabilité à tous les acteurs et faire en sorte que les procédures de déploiement ne conduisent plus à des situations très tendues sur le terrain », affirme Laure de la Raudière. 

Régulation du numérique et ambition pour le Berec

La députée veut, comme son prédécesseur, s’impliquer fortement dans la vaste question de la régulation du numérique, y compris au niveau européen : « Il existe un chantier majeur de régulation, des acteurs structurants de l'économie numérique, ceux dont la taille et la part de marché sont telles qu’ils créent des désordres en matière de concurrence et de libre choix du consommateur. La régulation qui peut en découler est proche de celle déjà pratiquée à l'Arcep :  obligations d'ouverture, interopérabilité réelle, transportabilité ».

Elle souhaite que l'expertise de l’Arcep soit mise à contribution pour « bâtir cette nouvelle régulation », sans forcément être une exclusivité du gendarme des télécoms. Elle est ouverte à travailler avec d’autres autorités du numérique. Citant le service en commun lancé par le CSA et l’Arcep, elle pense « que c’est vraiment comme ça qu’il faut travailler » et que « cela peut être fait avec la CNIL ». 

« Je compte bien pleinement m’investir sur ces enjeux cruciaux pour notre économie et pour notre société, notamment au sein du Berec [Organe des régulateurs européens des communications électroniques, ndlr] », ajoute-t-elle. Sébastien Soriano a pour rappel été président et vice-président de cette institution européenne.

Fragilités de la Poste, distribution de la presse et 5G

Les deux autres secteurs de régulation de l’Arcep sont plus rapidement expédiés, ce qui n’empêche pas Laure de La Raudière de donner de grandes lignes de l’action qu’elle souhaite mener.

Sur le service postal poste tout d’abord, « la période du premier confinement a montré des fragilités importantes ». Elle estime ainsi qu’elle « pourrait demander à disposer des informations en temps réel sur la situation du service universel ». En tout cas, « une réflexion doit être menée avec la Poste ».

De son côté, le marché est concurrentiel et n’a donc pas besoin d’une forte régulation. Pour autant, il serait intéressant que l'Arcep s’y penche « pour au moins donner des informations générales, […] notamment satisfaction des utilisateurs, qualité de service, identification des problèmes, nouvelles formes de distribution et conséquences en matière d'accessibilité ».

Dernier point, la distribution de la presse que l’Arcep a récupérée récemment. La priorité est « d'abord de mettre en place l'ensemble du système de régulation qui lui a été confiée par la loi. C'est certainement un défi pour l'Arcep de prendre en charge ce nouveau secteur de régulation », se contente de déclarer Laure de La Raudière.

On regrette également que la question d’IPv6 soit totalement absente des débats et du discours de celle qui pourrait prendre la tête du régulateur des télécoms. C’est pourtant un sujet d’actualité important, qu'elle avait mis sur le devant de la scène en tant que Députée, puisque la pénurie d’adresses IPv4 est une réalité depuis longtemps.

Enfin, elle termine par les questions de santé publique sur la 5G : « Je me suis souvent exprimée sur ce sujet, mais là je ne vais pas m'exprimer parce que c'est une audition pour la nomination du futur président de l'Arcep et que l’Arcep n'a pas la compétence, c'est soit l’ANSES soit l’ANFR » conclue-t-elle.

Laure de La Raudière doit maintenant passer une audition au Sénat, avant d’être confirmée (ou non) à son poste.

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !