Fin des forfaits illimités et empreinte environnementale du numérique, une maladresse sénatoriale

Le fond vs la forme
Mobilité 10 min
Fin des forfaits illimités et empreinte environnementale du numérique, une maladresse sénatoriale
Crédits : luza studios/iStock

Des sénateurs viennent de rendre un rapport sur l’empreinte environnementale du numérique. Un exercice risqué, tant il est aisé de se perdre dans les chiffres sur le sujet. Il a donc été décidé de communiquer sur 25 propositions, dont une pour « interdire » les forfaits mobiles illimités et « rendre obligatoire » une tarification à la consommation.

L’empreinte environnementale du numérique est un sujet qui fait débat depuis quelques années. S'il y a une sorte de consensus sur le fait qu'il faut constamment améliorer les pratiques, tant du côté des constructeurs, que des services ou des consommateurs, études et rapports se multiplient en se contredisant. Parfois selon les intérêts de chacun.

L'impact énergétique du numérique : une notion déjà prise en compte

Les efforts sont néanmoins nombreux. De la part des constructeurs de puces parce qu'ils ont tout intérêt à renforcer l'efficacité énergétique de leurs produits, vue comme un élément important de l'analyse concurrentielle. Mais aussi des grandes plateformes et services, car leur consommation énergétique n'est pas un détail de leurs coûts opérationnels ou dans le dimensionnement de leurs infrastructures. Tout comme leurs besoins en bande passante.

C'est ce qui guide une partie de l'innovation du secteur. Par exemple dans la course à la compression vidéo, focalisée actuellement autour de codecs comme AV1 (chez Netflix avec Intel, ou encore VLC avec Dav1d). Ou encore dans la conception de datacenters, qui cherchent à rapprocher leur indicateur d'efficacité énergétique (PUE) de 1, avec des solutions de refroidissement comme le watercooling (OVHcloud) ou l'adiabatique (Scaleway).

À cela s'ajoutent les engagements et objectifs « Green » de chacun. 

Les propositions c'est comme les acteurs du numérique : du bon et du moins bon

Pour le vérifier, la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du Sénat a planché sur un rapport, diffusé hier, fruit de plus de six mois de travaux et de l’audition de près d’une trentaine de personnes en début d’année. Il est accompagné d’une feuille de route – qui sera transmise au gouvernement – comportant pas moins de 25 propositions autour de quatre axes. Pour un résultat... mitigé.

En effet, dans les grandes lignes, on retrouve les poncifs habituels de l'exercice : faire prendre conscience à l'utilisateur de son impact environnemental à travers le numérique, viser un usage « écologiquement vertueux » du numérique, agir au niveau des terminaux dont la conception et le renouvellement posent questions, mais aussi des datacenters.

On y relève quelques idées intéressantes comme le fait d'interdire la lecture automatique des vidéos, renforcer la lutte contre l'obsolescence logicielle, réduire la TVA sur les réparations et les produits reconditionnés (qui fût retoquée à l’Assemblée nationale en 2018), informer sur l'empreinte carbone des produits, etc. (nous y reviendrons prochainement). 

On sent également la patte de Patrick Chaize, président de la mission et de l'AVICCA (Association des villes et collectivités pour les Communications électroniques et l'Audiovisuel), avec la proposition d'« atteindre les objectifs du plan France très haut débit pour améliorer la connectivité fibre, réseau le moins énergivore ». Selon une note de l'Arcep « un utilisateur de réseau 4G consommerait de l’ordre de 50 kWh d’électricité, contre 5 kWh pour une ligne fibre optique » pour 80 Go sur un an.

Puis il y a les exemples douteux, comme le fait de « privilégier le téléchargement d’une vidéo à son visionnage en streaming », dont l'impact dépend de nombreux facteurs (débit, qualité, technologie, la vidéo est-elle regardée entièrement, en une ou plusieurs fois, etc.). Mais cela est en réalité une erreur de la synthèse du rapport qui oublie de mentionner que l'objectif serait d'inciter au téléchargement en Wi-Fi plutôt que la lecture en streaming depuis un réseau mobile.

On note aussi les réflexes habituels comme « créer un observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique (afin notamment de mener des recherches sur les impacts des technologies émergentes) ». Et autres taxes visant notamment les plateformes étrangères comme « l’introduction d’une taxe prélevée sur les plus gros émetteurs de données, afin d’inciter à une injection plus raisonnable de données sur le réseau », version « Bercy » de la non-neutralité du Net.

Puis, il y a la proposition qui va faire du bruit médiatique, que l'on retiendra avant tout collectivement. Non pas parce qu'elle est intéressante ou mauvaise, mais parce qu'elle est mal formulée, incitant ainsi aux « reprises à clics ». La proposition N°15 veut ainsi « interdire les forfaits mobiles avec un accès aux données illimitées et rendre obligatoire une tarification proportionnelle au volume de données du forfait ». Ou comment perdre une idée intéressante dans une bêtise.

Les forfaits mobiles illimités n'existent pas vraiment

Commençons par un rappel : il n'y a, en France, presque aucun forfait mobile « illimité ». Ces derniers se découpent en deux familles. Ceux limités à un quota de données au-delà duquel il faut payer (cher) la quantité de données supplémentaires. Sur les forfaits RED by SFR par exemple, il vous en coûtera 2 euros pour un Go une fois le quota de 60/100 Go dépassé, dans la limite de quatre recharges. Bouygues Télécom grimpe jusqu'à 10 ou 50 euros :

Bouygues Telecom Data

Puis le « fair use », souvent présenté comme de l'illimité. Mais en réalité, dès que vous dépassez un quota, la sanction tombe : vous n'êtes plus bloqués, mais limités en débit. Cela peut être à 64 kb/s (soit 8 ko/s), soit 650 Mo par jour de téléchargement continu et 20 Go sur un mois. À 128 kb/s, ces chiffres sont doublés.

Autant dire que l'on est loin d'un secteur ouvert à tous les abus. Seule exception : Free Mobile qui propose de la « 4G+ illimitée en France » sur son forfait à 19,99 euros par mois, ce qui est réservé aux clients Freebox (100 Go pour les autres).  On pourrait néanmoins inciter les opérateurs à ne plus utiliser le terme illimité à tort et à travers.

Car il s'agit là d'abuser le consommateur, lorsqu'il est question d'un quota ou de fair use, en misant sur un réflexe classique des consommateurs : préférer l'illimité à une quantité finie. Quand bien même cela n'a pas de sens puisque les réseaux mobiles (comme les réseaux fixe dans une autre mesure), ont des capacités limitées.

D'ailleurs, tous les opérateurs le précisent dans leurs conditions générales, pour agir en cas de congestion.

Derrière le spectre de la 5G illimitée, la question de la facturation à l'usage

Si les sénateurs sont sur la même longueur d’onde, ils l'expriment bien mal, voulant anticiper l’arrivée de la 5G, souvent vantée comme une future solution d'accès fixe dans des zones mal desservies par le xDSL/Fibre : « Si peu d’opérateurs proposent aujourd’hui ce type d’offres en 4G, elles pourraient être amenées à se généraliser avec le développement de la 5G ». Rien n’est gagné pour autant, aucun opérateur n’ayant pour le moment laissé penser qu’il proposerait ce genre de forfait.

En réalité, c'est la seconde partie de la proposition N°15 qui est intéressante à analyser : « la tarification au consommateur devrait être rendue proportionnelle au volume de données prévu par le forfait mobile souscrit ». Elle devrait d'ailleurs se limiter à ce seul élément, avec des précautions supplémentaires, malheureusement absentes.

Car si l’idée est louable, elle viendrait modifier en profondeur les pratiques des opérateurs, qui y verraient sans doute une manière de revoir leurs tarifications à la hausse, sous couvert d'agir en faveur de la planète. Car de quoi s'agit-il sur le fond ? Non pas d'empêcher tel ou tel d'utiliser 20, 50 ou 100 Go par mois, mais de facturer chacun selon son besoin.

C'est d'ailleurs sur ce point qu'appuie le Conseil national du numérique dans son intervention, voyant dans les offres actuelles « une subvention indirecte des utilisateurs à fort trafic par l’ensemble des usagers ».  En réalité, c'est un peu plus compliqué que cela, puisque différents paliers de facturation existent déjà. Mais le client doit choisir en amont l'enveloppe de données qui lui sera facturée, plutôt que de la voir adaptée à son usage réel.

Un changement de paradigme qui pourrait pousser, selon les Sénateurs, à une modération naturelle des usages : en limitant la quantité de données que je consomme, via le Wi-Fi, la réduction des débits ou de la qualité d'image, je réduis ma facture. Une mécanique valable tant que les abonnements fixes restent, eux, illimités. Et que l'on évite le retour des offres favorisant tel ou tel service qui ne serait pas décompté du quota ou de manière préférentielle.

Payer au Go, mais à quel prix ?

La question du prix au Go mérite également d'être mise sur la table. Car un forfait de 60 Go est actuellement proposé à 12 euros par mois chez RED (0,2 euro le Go). Chez Sosh on passe à 0,5 euro le Go sur le forfait à 24,99 euros (50 Go). En cas de facturation à l'usage, ces tarifs seront-ils maintenus ? Ou reviendra-t-on à ceux évoqués plus haut ?

Auquel cas, l'utilisateur pourrait dans de nombreux cas être le grand perdant. Le point de vue de l'Arcep sur le sujet sera intéressant à connaître. À 1 euro le Go par exemple, la facture risque d’être rapidement salée pour les gros consommateurs. À 50 centimes, ce sera encore le cas, mais les opérateurs risquent de ne pas apprécier de voir leurs clients peu gourmands ne payer que 5 euros pour 10 Go de data dans le mois. 

La recherche d'un nouvel équilibre devrait donc être menée en impliquant tant les opérateurs que le régulateur et autres associations de consommateurs si une telle idée venait à aboutir. Car on imagine que les opérateurs pourraient rapidement revenir à leurs habituelles usines à gaz, avec une facturation à plusieurs étages nécessitant un doctorat et un supercalculateur quantique pour arriver au montant à payer.

Il faut également éviter toute tentation de faire du prix au Go un élément « punitif », à la manière d'une taxe carbone, qui ne ferait au final que de brider les usages, l'innovation et réduire l'accès à l'internet mobile aux plus aisés. On imagine que, comme pour le roaming en Europe, des plafonds pourraient être définis par l'Arcep pour éviter tout abus.

Paliers ajustables : le cas Prixtel

On peut néanmoins se baser sur un exemple concret, existant depuis plusieurs années, Prixtel avec ses forfaits ajustables. Ils utilisent une mécanique de paliers dépendant du forfait choisi : L’essentiel, Le complet ou Giga Series.

La différence se fait sur la quantité d'heures d'appels incluses et les quotas disponibles. Le montant de la facture dépend de la consommation dans le mois. Dans Giga Series par exemple, si vous consommez moins de 50 Go, vous serez facturé 12,99 euros, contre 18,99 euros entre 50 et 100 Go et enfin 24,99 euros entre 100 et 200 Go. Au-delà le débit sera réduit.

Avec Le complet, la limite est fixée à 50 Go. Vous serez alors facturé 19,99 euros, mais 14,99 euros si vous ne dépassez pas 15 Go et 9,99 euros à moins de 5 Go. Dans les deux cas une remise est proposée la première année. Vous n’avez rien à faire, votre facture dépend automatiquement de votre consommation.

On voit ici que la granularité reste importante, encore loin d'une facturation au Go consommé.

Prixtel

Une différence de consommation importante entre 4G et fixe

Dans ce rapport sénatorial et plusieurs de ces propositions, on note la volonté de faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental de leur comportement, que ce soit par la sensibilisation ou la modification de la facturation ou la taxation des différents acteurs. Mais cela ne saurait se faire sans réfléchir aux conséquences pratiques.

Car certes, la notion de forfait « illimité » a tendance à ne pas se préoccuper de l'utilisation du forfait, alors que le mobile consomme beaucoup plus d'énergie que les autres technologies : trois fois plus que l’ADSL et dix fois plus que la fibre optique (FTTH) selon l’Arcep. Privilégier le Wi-Fi (sauf à être derrière une box 4G) permet donc de réduire son empreinte carbone.

La facturation à la consommation est-elle la solution ? La question mérite d'être posée, tout du moins si l'on implique toutes les parties prenantes dans la réflexion et une éventuelle mise en œuvre. Elle devra également être présentée de manière moins tendancieuse qu'à travers l'interdiction d'offres illimitées qui n'existent presque pas.

On pense également aux députés qui avaient proposé en fin d’année dernière que les internautes soient informés de « l’empreinte carbone » de leur consommation de données, sur leur facture par exemple.  Une étape intéressante à franchir pour sensibiliser sur ce sujet, avant éventuellement de lier la facturation avec une telle notion. 

Avec la publication du rapport, le débat est désormais ouvert. Espérons qu'il ne sera pas caricatural.

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