Cloud : Microsoft reconnait que certaines inquiétudes « sont justifiées », ce qu’en pensent les acteurs français

Des actes... en principe
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Cloud : Microsoft reconnait que certaines inquiétudes « sont justifiées », ce qu’en pensent les acteurs français
Crédits : hjalmeida/iStock/Thinkstock
Mise à jour :

Nous avons ajouté la réaction de Scaleway à la fin de cette actualité. 

Sous pression de la Commission européenne et de l’autorité de la concurrence, Microsoft fait un pas vers les fournisseurs de cloud européens. L’entreprise montre une réelle volonté de changement, mais il faut attendre les détails pour juger de son engagement. Clever Cloud, OVHcloud et Scaleway sont sur la même longueur d’onde.

Dans un billet de blog, Brad Smith revient sur la situation du cloud en Europe. Il marche sur des œufs concernant les pratiques de Microsoft sur les licences de ses logiciels : « Nous avons estimé que bien que toutes ces affirmations ne soient pas valides, certaines d’entre elles le sont, et nous apporterons évidemment des changements bientôt pour y remédier ». 

Pour bien comprendre les enjeux et surtout la pression mise sur Microsoft par des acteurs du marché et des autorités européennes, il faut se replonger quelques mois en arrière.

Autorité de la concurrence et Commission européenne enquêtent

En janvier, l’Autorité de la concurrence s’était auto-saisie afin d’évaluer la situation concurrentielle dans le cloud. Le but était de « procéder à une analyse globale du fonctionnement de la concurrence dans ce secteur ». Les résultats ne seront pas connus avant 2023. Sans être cités, on peut facilement se douter qu’Amazon, Microsoft et Google (les trois monstres du secteur) sont sur la sellette. 

En mars, nous apprenions qu’OVHcloud et d’autres sociétés avaient déposé une plainte contre Microsoft auprès de la DG Competition de la Commission européenne. Il s’agissait de prendre « des dispositions pour mettre en place des conditions de concurrence équitables entre les fournisseurs de services de cloud computing opérant sur le marché unique numérique européen ». « En abusant de sa position dominante, Microsoft porte atteinte à la concurrence loyale et limite le choix des consommateurs sur le marché des services de cloud computing », nous expliquait le roubaisien. 

En avril, les autorités antitrust européennes envoyaient un questionnaire aux concurrents et clients de Microsoft, dans lequel on pouvait lire que « la Commission dispose d'informations selon lesquelles Microsoft pourrait utiliser sa potentielle position dominante […] pour empêcher la concurrence s’agissant de certains services de cloud computing ».

Pourtant, à peine quelques jours avant, Margrethe Vestager (commissaire européenne à la Concurrence), affirmait que « jusqu'à présent, nous n'avons aucune inquiétude » concernant la concurrence dans le cloud. Cette déclaration lui avait d’ailleurs valu une vague de protestations chez les entrepreneurs de cloud européens. Ils avaient publié une lettre ouverte pour attirer son attention « sur les pratiques anti-concurrentielles de certains acteurs dominants américains sur le marché du cloud européen ».

Bref, ça chauffe d’un peu partout pour Microsoft, qui a décidé de faire bouger ses lignes avant que d’éventuelles sanctions ne tombent… ce qui n’empêchera évidemment pas l’entreprise d’être condamnée si elle est jugée coupable pour ses actes passés. Mais le changement de politique de Microsoft est-il suffisant ? Les annonces contiennent-elles du concret ? C’est ce que nous allons voir.

Microsoft reconnaît l'existence de problèmes

C’est donc Brad Smith, vice-président et président de Microsoft – et toujours en première ligne en situation de crise –, qui s’est collé à l’exercice périlleux d’apaiser les esprits. Ancien responsable juridique de l’entreprise, c’est l’homme « raisonnable », toujours conciliant et affichant une inépuisable bonne volonté.

Il était de passage à Bruxelles le 18 mai pour présenter en personne ses excuses aux institutions européennes et annoncer une série de changements. Pour Microsoft, une partie des inquiétudes exprimées par les acteurs européens est fondée. Ce qui signifie qu’une autre ne l’est pas.

« En tant que fournisseur majeur de technologie, nous reconnaissons notre responsabilité de soutenir un environnement concurrentiel sain et le rôle que jouent les fournisseurs locaux de confiance pour répondre aux besoins technologiques des clients », indique ainsi Brad Smith. « Comme je l’ai dit aux journalistes à l’époque, nous avons estimé que même si toutes ces affirmations ne sont pas valables, certaines le sont, et nous apporterons définitivement des changements bientôt pour y répondre ».

Il présente donc une série de mesures, dont la liste n’est « pas nécessairement exhaustive ». Le but immédiat est, selon lui, de « réduire la longue liste de problèmes à une courte liste de problèmes ». Les annonces d’hier sont donc à considérer comme une « première étape ».

Cinq principes pour fluidifier les relations en Europe

Ces principes ont été également annoncés par Brad Smith dans son billet de blog. Microsoft s’engage ainsi :

  • À ce que son Cloud public réponde aux besoins de l’Europe et serve ses valeurs
  • À ce que son Cloud fournisse une plateforme pour soutenir les développeurs de logiciels européens
  • À s’associer aux fournisseurs européens de solutions cloud et à les soutenir
  • À répondre aux besoins souverains des gouvernements européens, en partenariat avec des fournisseurs de technologie de confiance locaux
  • À reconnaître les réglementations technologiques des gouvernements européens et à s’y conformer

Il ne s’agit que de principes, dont la valeur ne sera légitimée que par le temps. Microsoft semble sérieuse sur ses engagements, l’entreprise prévoyant « une équipe d’assistance dédiée » pour les entreprises européennes de cloud et une extension de ces principes au reste du monde.

Microsoft est un numéro 2 en pleine croissance sur le cloud mondial, avec environ 22 % de parts de marché, contre 33 % pour Amazon (qui se maintient) et 10 % pour Google (qui progresse). Les principes ont avant tout vocation à calmer le jeu afin de ne pas interférer dans l’insolente croissance à deux chiffres de la division Cloud à Redmond.

Un meilleur soutien aux acteurs européens

« Nous n’avons pas fait assez attention aux plus petits acteurs du secteur. Un dirigeant m’a dit avoir le sentiment d’être une victime collatérale de notre combat avec Amazon », indique Brad Smith dans le billet de blog. « C'était difficile à entendre, mais il avait raison », reconnait-il.

Pour rappel, Microsoft est déjà impliquée en Europe, notamment à travers Gaia-X (au grand dam de certains qui regrettent la présence de plusieurs acteurs américains). La société s’est également associée à Capgemini et Orange pour lancer le « cloud de confiance » Bleu en France.

Microsoft avait ainsi dans sa besace des annonces un peu plus spécifiques, notamment sur les règles pilotant l’exécution des logiciels maison dans les infrastructures des acteurs européens du cloud. Elles font suite à une rupture décidée en 2019, où le modèle « bring your own license » rendait l’exécution des services Microsoft nettement plus chers lorsqu’ils étaient utilisés sur autre chose qu’Azure.

L’octroi des licences va donc être simplifié, en particulier celles de Windows Server pour les environnements virtuels. Selon Brad Smith, les règles actuelles reflètent « les anciennes pratiques en matière de licences logicielles, où les licences sont liées au matériel physique ».

« Aujourd'hui, les avantages de la Software Assurance n'incluent pas les droits de mobilité des licences pour des produits tels que Windows, Office ou Windows Server, de sorte que les clients doivent utiliser ces logiciels dans des programmes plus restrictifs ou sur du matériel dédié spécifiquement à ces clients. Nous allons étendre la Software Assurance pour permettre aux clients d'utiliser leurs licences sur n'importe quel fournisseur de cloud européen offrant des services dans leurs propres centres de données, de la même manière qu'ils peuvent le faire sur Azure aujourd'hui, que le matériel soit dédié ou multi-tenant », détaille le vice-président.

Plus globalement, Microsoft dit s’inspirer des Fair Software Licensing Principles créés par le CIGREF et le CISPE. Une équipe dédiée sera mise en place pour communiquer avec les fournisseurs européens de solutions cloud, afin de répondre aux questions, fournir des licences et feuilles de route, les « accompagner dans leur croissance » et simplifier leurs retours.

Dans l’attente d’annonces plus concrètes

Si Brad Smith prend plaisir à rappeler que ses trois premières années chez Microsoft se sont passées à Paris, il ne donne pas d’informations concrètes pour le moment. Ces annonces, bien qu’importantes, ne sont pour l’instant pas assez concrètes pour que l’on sache exactement ce que va faire Microsoft. Simplifier son modèle de licence et entrainer mathématiquement des coûts moindres pour les fournisseurs européens oui, mais l’entreprise ne dit pas comment et dans quelles proportions.

À la décharge du vice-président, il précise à plusieurs reprises qu’il ne s’agit que d’un premier jet. Il est possible que la communication ait pris cette ampleur pour calmer les esprits dans un contexte de grogne générale envers les grandes entreprises américaines. Et ce n’est pas le Digital Markets Act en gestation qui améliorera les tensions.

L'Echo a d’ailleurs demandé son avis à Smith sur la question, qui a confirmé que le nouveau règlement aurait un impact, notamment sur Windows. Philosophe, il a quand même lancé quelques piques : « Je pense que cela servira tout le monde que les règles soient clairement définies. Donnez-nous des règles et nous trouverons comment innover avec elles. Nous saurons enfin comment nous battre les uns face aux autres sur ce marché. Nous avons appris qu’il vaut mieux se concentrer sur l’innovation et l’adaptation aux marchés locaux que d’essayer de combattre de nouvelles règles ».

Mais en attendant, que pensent les acteurs européens de ces annonces ?

Nous avons interrogé des acteurs français suite à cette communication de Microsoft. Pour Clever Cloud, « ces annonces par Microsoft confirment que les acteurs européens du cloud ont raison de se plaindre des abus de position dominante dont ils sont victimes, et Clever Cloud se félicite que Microsoft en prenne conscience », nous a indiqué l’entreprise. « Le fait de pouvoir revendre plus facilement des produits Microsoft sera certainement bénéfique à Microsoft et à ses partenaires commerciaux, et nous attendons avec impatience les détails des modifications annoncées et attendues depuis de longues années ».

« En revanche, les entreprises européennes telles que Clever Cloud, qui proposent à leurs clients des offres technologiques différentes, doivent également pouvoir le faire dans des conditions équitables de concurrence. Or, Microsoft continue malheureusement de se réjouir d’avoir offert aux startups européennes l’équivalent de 500 millions de dollars en technologies et support en deux ans, notamment à travers ses crédits gratuits qui lui permettent d’acheter sa clientèle et de la verrouiller au détriment des acteurs européens. La question des frais de migration des données vers les clouds concurrents n’est pas non plus abordée par Microsoft, alors qu’ils dissuadent ses clients captifs de changer de fournisseur. Tout n’est donc pas réglé par ces annonces ».

Chez OVHCloud, même écho : « Microsoft reconnaît le bien fondé de notre plainte et nous estimons regrettable qu’il faille aller jusqu’à la mobilisation des autorités compétentes pour sécuriser les conditions d’un marché où la concurrence est à la fois libre et saine. Nous attendons désormais de voir les conditions d’exercice concrètes de ces résolutions et restons déterminés à défendre un terrain de jeu équitable pour l’écosystème cloud européen ».

Scaleway est sur la même longueur d’onde : « Pour moi, c'est un peu la preuve que le système en place n'est pas adéquat pour protéger nos intérêts nationaux et Européens. Certes les nouvelles régulations vont sans doute aider, et ce qui a fait réagir Microsoft, c'est une attaque légale. Mais tout cela est réactif et non pré-emptif », nous explique Yann Lechelle  (CEO de Scaleway).

« Nous pouvons saluer la rapidité de réaction et le volontarisme affiché. Cette réaction est proportionnelle au risque financier que Microsoft a pu analyser suite aux plaintes et enquêtes déclenchées. Cela permet d'apprécier l'ampleur de la situation que nous avons (nous Européens) permis de s'installer ». La conclusion est là même que ses collègues : « À voir maintenant comment cela va se traduire dans les actes... »

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