L'année dernière, Apple mettait sur le marché ses Mac avec un SoC M1 exploitant une architecture ARM. Chez Google, ce sont les Chromebook qui ont le vent en poupe, notamment en raison de leurs prix parfois cassés. Deux cas démontrant comment des solutions ouvertes peuvent être « privatisées ».
Le succès du PC comme ordinateur individuel est aussi celui d’une solution où les standards sont la règle. Tant pour la connectique interne qu’externe, les composants utilisent des technologies partagées par différents constructeurs.
Et malgré un besoin accru en sécurité ces dernières années, on peut toujours y installer l’OS de son choix : FreeBSD, Linux, Windows ou tout autre système. Les constructeurs y assurent en général un support pour de nombreuses années, notamment au niveau des pilotes. On peut ainsi installer une distribution Linux récente sur un vieux PC pour lui « redonner vie ». Seule exception récente : Windows 11, pour lequel Microsoft a décidé d'imposer des restrictions, notamment l'activation de TPM 2.0. Une première, qui mettra de nombreuses machines de côté.
Mais cela n'a rien à voir avec ce qui est imposé ces dernières années sur le marché des smartphones et tablettes, qui ont imposé de nouveaux standards en matière de durée du support et d’ouverture. Par défaut, ces appareils sont bloqués de manière à ce que vous ne puissiez pas y installer un autre système. Et la durée pendant laquelle vous aurez droit à des mises à jour varie de manière importante selon les modèles et constructeurs.
Les limitations du mobile gangrènent l'ordinateur
En la matière, et malgré les travaux de l’Arcep sur ces sujets, le législateur n’a pour le moment pas souhaité imposer de règles plus drastiques qui profiteraient au consommateur français ou européen. S'il est parfois question de lutter contre l'obsolescence logicielle, c'est en général sans grande ambition. Dommage.
Surtout que ces pratiques gagnent de nouveaux types de machines, qui veulent grappiller des parts de marchés à nos bons vieux PC. Les premiers sont les Chromebook de Google qui, comme les appareils sous Android, empêchent par défaut d’installer l’OS de son choix. Comme il s’agit souvent de simples PC, on peut tout de même parfois trouver des solutions, mais ce n’est pas à la portée du premier utilisateur venu.
Il faut donc se contenter de Chrome OS, une distribution Linux construite autour du seul navigateur de Google. Il fait office d’interface principale dans laquelle on peut accéder à des sites web et autres Progressive Web Apps (PWA), mais aussi aux paramètres. Certains modèles ont également accès aux applications Android. On a tout de même accès au stockage local et aux périphériques USB, dans certaines limites.
Mais n’espérez pas aller plus loin, ce qui peut rebuter des utilisateurs habitués de systèmes d'exploitation plus classiques. Dommage pour des appareils visant principalement le grand public. D'autant que Google vante ici la simplicité de son système et son adaptation à des besoins comme la navigation en ligne (forcément), la prise de note, l’accès à son écosystème de services et la croissance des applications accessibles via le web.

Matrix dans Chrome OS : vous êtes libres... dans une VM
Le géant américain a tout de même décidé de jouer l’ouverture en annonçant il y a quelque temps une possibilité qui illustre assez bien le ridicule de la situation : Chrome OS donne désormais accès à… un terminal et des applications Linux tierces. Logique pour une distribution Linux me direz-vous. Eh bien non.
Car il n’est pas question de vous donner accès au cœur de la machine, volonté de sécurité oblige. Les ingénieurs de la société ont donc trouvé une solution : une distribution basée sur Debian est lancée à la demande dans une machine virtuelle, avec un accès limité aux ressources de la machine hôte (le Chromebook). Vous pouvez y installer ce que vous voulez, applications avec interface graphique comprise... mais c'est plus lent.
Nous avons ainsi pu profiter de Firefox, Gimp ou Visual Studio Code au sein de Chrome OS lors de nos tests sur une machine Acer, mais seulement avec une portion de la mémoire et des cœurs du CPU de la machine. Ce, alors qu’ils auraient pu être lancés nativement. On vous avait prévenu, c’est ridicule.
On voit ici très bien à quel point un système ouvert tel que GNU/Linux peut être dévoyé au profit d’une solution fermée proposée par un constructeur. Surtout que, comme les smartphones, ces machines ont une durée de support limitée. La date de fin est ainsi fixée à l’avance, quelques années après la mise sur le marché.
Des ordinateurs à changer au bout de quelques années
Google a néanmoins allongé peu à peu la durée avec ses partenaires. Pour notre modèle Acer CB314, acheté en 2020, cela prendra par exemple fin en juin 2026. Attention donc si vous achetez une telle machine d’occasion. Et ensuite ? Il n'y aura plus de mises à jour et vous n'aurez pas plus la liberté d'y placer le système de votre choix en remplacement. C'est tout le problème de cette conception fermée.
Même chose du côté d’Apple avec ses Mac. Ici, cela n’a rien de nouveau, la société a toujours eu des pratiques similaires sur ses différents appareils : au bout de quelques années les mises à jour ne sont plus assurées. Avec ses nouveaux modèles à base de SoC M1, la société est allée un peu plus loin.

Car elle se coupe au passage d’une partie de son écosystème actuel. Si des ports Thunderbolt sont présents, tous les appareils ne sont pas supportés. Il faudra donc s’assurer qu’ils ont droit à des pilotes adaptés avant de sauter le pas. Ce n’est pas le cas pour les GPU externes par exemple. macOS 12 laisse aussi un peu les Mac Intel de côté.
Le constructeur partage ici un point commun avec Google : il exploite des technologies ouvertes au profit de son écosystème qui ne l’est pas vraiment. Ses processeurs maison reposent en effet sur des licences ARM. macOS continue d’être une implémentation BSD d’Unix. Pour autant, ces machines ne peuvent pas être utilisées avec un autre système d’exploitation à moins de passer par une couche de virtualisation, même si certains y travaillent.
(Re)donner le choix aux utilisateurs
Une volonté de contrôle qui se comprend du point de vue du constructeur qui veut tout maitriser et préfère disposer de clients captifs, limités à ce qu’il lui propose. Mais qui n’est pas acceptable pour autant. Alors que les critiques se multiplient à l’encontre des géants américains, leur approche « plateforme » et le manque de choix parfois laissé au consommateur, on espère que législateurs et régulateurs finiront par se saisir de ces questions.
Car qu’il s’agisse d’une enceinte connectée, d’un appareil mobile ou d’un ordinateur, laisser les constructeurs limiter le choix des consommateurs et brider des appareils encore fonctionnels par l’absence de mises à jour renforce leur obsolescence. Orange nous en a encore donné un bel exemple plus tôt dans l'année avec l'abandon de Djingo.
Plutôt que de multiplier les rapports aux propositions parfois farfelues en matière de réconciliation de l’écologie avec le numérique, voilà un champ d’action où il paraît très aisé de trouver des marges de progression importantes. L’écoconception, c’est aussi ça. Et la souveraineté numérique, tout comme l'autonomie qui en découle, passent aussi par un regain de pouvoir aux utilisateurs face aux contraintes imposées par les constructeurs.