L’espace « est de moins en moins un univers de paix », son arsenalisation une question de temps

L’espace « est de moins en moins un univers de paix », son arsenalisation une question de temps

La Space Force au rapport !

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

14/10/2020 11 minutes
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L’espace « est de moins en moins un univers de paix », son arsenalisation une question de temps

En orbite, il est possible de surveiller la Terre et l’espace, ouvrant la voie à une quasi inévitable « arsenalisation » dans un avenir proche (si ce n’est pas déjà fait). Des satellites-espions sont déjà en place et la France doit conserver son autonomie spatiale pour rester dans la course. Les risques et les enjeux sont multiples.

Au début du mois, le sénateur Christian Cambon (LR), revenait sur la loi Renseignement à l’occasion de sa cinquième année. Dans un épais rapport de 300 pages (lire notre compte rendu), il faisait un point global de la situation… ou presque puisqu’on y retrouve plus de 300 fois des « ****** », signes d’autant de caviardages de certaines données. Il proposait au passage plusieurs dizaines de recommandations.

Un chapitre complet (soit une quarantaine de pages environ) est consacré à un drôle de ballet qui se déroule à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes : « Si l’espace n’est pas, pour le moment, un théâtre de guerre, force est de constater qu’il est de moins en moins un univers de paix ». 

Le rapport affirme ainsi que « les grandes puissances se préparent à se défendre, et le cas échéant à passer à l’offensive […] L’arsenalisation de l’espace n’est plus une hypothèse ; elle ne semble plus être désormais qu’une question de temps. Et si la guerre dans l’espace n’est pas encore militaire, elle est déjà économique avec la montée en puissance du "New Space" et des révolutions qui l’accompagnent ».

La France y joue un rôle important et elle doit conserver cette force « historique ». En février déjà, nous parlions de cette « guerre froide » avec d’étranges « manœuvres d’approche et d’observation » de satellites par d’autres satellites-espions. Un général de l’armée de l’air française le confirmait sans détour en évoquant un manège « inamical et qui s’apparente à une tentative d’espionnage ».

Et ce n’est probablement là que la face visible – ou du moins dévoilée publiquement – de l’iceberg. Il y a en effet les forces de renseignement dont parlent publiquement les gouvernements, celles évoquées semi-publiquement dans des réunions officielles, celles frappées du sceau secret défense et d’autres inavouables. Il n’y a qu’à voir les révélations de Snowden sur les agissements de la NSA pour se faire une idée…

L’espace est sans aucun doute le nouveau terrain de « jeu » des services de renseignements, des armées… et mêmes d’acteurs privés (notamment les géants du Net avides de données). Ce rapport permet de toucher du doigt ce sujet et les enjeux qui en découlent.

Notre dossier sur la surveillance et le renseignement spatial :

L’espace « appartenant à tous »… permet de surveiller tout le monde

Il commence par rappeler un principe important, en place depuis le début de l’exploration spatiale : « L’espace extra-atmosphérique appartenant à tous, il devient, au fur et à mesure des avancées technologiques, de plus en plus investi, à des fins tant civiles que militaires ». 

Comme nous l’avons déjà expliqué, les Américains étaient a priori prêts depuis 1956 pour mettre en orbite un satellite, mais ils ne voulaient pas être les premiers : « les Soviétiques pourraient en prendre ombrage et en profiter pour réclamer l’établissement de règles identiques à celles de l’aéronautique, interdisant le survol des territoires étrangers sans autorisation », expliquait le CNRS.

Avec Spoutnik 1 – le premier satellite artificiel de l'histoire – les Soviétiques de l’époque ne se sont en effet pas embarrassés de telles considérations. Depuis, la règle en vigueur autorise la libre circulation dans l’espace (dès 100 km d’altitude), permettant ainsi à tout un chacun d’envoyer des sondes dans l’espace, peu importe les zones qu’elles survolent, ouvrant une voie royale aux services de renseignements. 

Et il ne faut pas s’y tromper, le champ des possibles est très large : surveillance de l’espace depuis la Terre, de la Terre depuis l’espace et même de l’espace depuis l’espace. Ce dernier point « représente sans nul doute aujourd’hui la nouvelle frontière du renseignement spatial ».

Arsenalisation et multiples facettes du renseignement spatial

Il ouvre d’ailleurs « la voie à une arsenalisation de l’espace ». Pour rappel, plusieurs nations – États-Unis, Chine, Russie et Inde – ont déjà démontré qu’elles pouvaient détruire des satellites en orbite avec un missile tiré depuis le sol, ce qui n’était pas sans conséquences sur les débris générés lors de la « démonstration » indienne début 2019.

La surveillance de l’espace a donc de multiples facettes. Celles sur l’espionnage, le contre-espionnage (notamment sur les communications) et le renseignement au sens large sont assez évidentes. L’appui aux opérations militaires est ainsi mis en avant.

Le rapport donne un exemple montrant l’importance de ces données et la « puissance » qu’elles peuvent apporter à un pays : « pendant la première guerre du Golfe (1990-1991), 98 % du renseignement image était fourni par les États-Unis ». Il précise que « la première occurrence de guerre dans l’espace » remonte justement à cette époque, soit il y a déjà près de 30 ans…

Les risques dans l’espace : brouillage, neutralisation, cyberattaque…

Le rapport revient sur la révélation (en 2018) par Florence Parly du satellite russe Louch-Olymp « surpris à proximité
immédiate du satellite de télécommunications militaires franco-italien AthenaFidus, vraisemblablement pour tenter d’en intercepter les communications cryptées
» (sic). 

Pour Christian Cambon, ce genre de menace ne doit pas être prise à la légère :

« Ces manœuvres d’approche d’un satellite par un autre satellite peuvent servir à recueillir du renseignement (écoutes et prises de vues) ou mener des actions plus offensives et réversibles comme le brouillage ou l’éblouissement, ayant pour effet de neutraliser un satellite. Sur l’arc géostationnaire, de telles opérations sont réalisables sans difficulté excessive et plusieurs pays disposent des capacités et des compétences requises pour les conduire.

Ainsi, cette forme de recueil de renseignements spatial pourrait se développer à travers des cyberattaques susceptibles d'accéder aux données du satellite, voire de rendre inopérants ou brouiller ses capteurs. Le risque n’est donc pas véritablement celui de la destruction d'un satellite, en ce sens où les milliers de débris générés deviendraient également une menace pour la flotte de satellites de l'attaquant. »

Le sénateur affirme qu’il est essentiel que nous disposions « d’une capacité d’identification et de caractérisation de ces manœuvres hostiles, ou pour le moins inamicales ; en d’autres termes, il faut pouvoir attribuer les actes hostiles que nous subissons ». Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail dans une prochaine actualité.

La France doit pouvoir surveiller l’espace, en toute autonomie…

Il est aussi important de bien connaitre l’espace qui nous entoure pour dresser une carte précise des débris. Le risque principal étant une collision avec un satellite ou une fusée, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques quand ils sont lancés à très grande vitesse. Si les Américains fournissent gratuitement des alertes, « cette dépendance aux États-Unis n’est pas satisfaisante », regrette le rapport.

« Ces informations nous sont indispensables dès lors que nous ne suivons, avec nos seuls moyens propres, environ dix fois moins d’objets en orbite que les États-Unis ». Comme avec Ariane 6, l’enjeu pour la France et l’Europe est de garder une parfaite maitrise de l’accès en autonomie à l’espace. En se faisant l’avocat du diable, on pourrait se demander ce qui passerait si les États-Unis « oubliaient » de signaler un risque de collision. 

Le rapport propose deux recommandations sur ce point. La première : « Mettre fin à notre dépendance à l’égard des États-Unis en nous dotant de capacités propres – a minima européennes sinon nationales – d’observation et d’analyse de la situation de l’eEspace et lancer un programme français de développement d’un nouveau système plus performant de surveillance de l’espace pour succéder au démonstrateur GRAVES ». La seconde : « Développer une capacité autonome d’imagerie radar ».

…et donc « investir massivement dans la recherche »

Le rapport revient sur une de nos forces vives : « La France fait partie des rares pays au monde à maîtriser l’ensemble des compétences et technologies spatiales. C’est à la fois le fruit de notre Histoire et la démonstration d’une excellence scientifique et industrielle qui reste un atout de taille de l’univers du "New Space"».

Pour conserver notre « excellence scientifique », nous devons « continuer à investir massivement dans la recherche ». Une occasion de rappeler que « le secteur spatial représente aujourd’hui en France près de 16 000 emplois directs ». La pandémie de Covid-19 n’arrange rien : « Les conséquences économiques de la crise sanitaire liée au Coronavirus vont fragiliser toute une filière qui doit absolument être accompagnée par les pouvoirs publics ».

Une recommandation est formulée dans la foulée : « Soutenir les modes collaboratifs entre la recherche publique et le secteur privé afin de développer les démonstrateurs nécessaires pour conserver notre avance technologique et stratégique ». Plusieurs pistes sont proposées.

Et revoilà le Buy European Act, pour « renforcer » Ariane 6 

Conserver cette autonomie n’est pas évident, surtout face à la déferlante New Space, c’est-à-dire à l’arrivée « d'acteurs plus "périphériques", issus de la Silicon Valley et des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) », qui disposent de grands moyens financiers. L’exemple le plus parlant est SpaceX, qui livre une importante guerre sur les prix des lancements. Blue Origin est en embuscade avec, là encore, une fusée réutilisable.

Un exemple : « Un lancement d’Ariane 5 coûte environ 200 millions d’euros si l’on prend en compte toutes les subventions d’exploitation, ce qui n’est absolument plus compétitif dans le contexte du "New Space". Le coût d’un lancement avec Ariane est en effet d’environ 30 % supérieur à celui proposé par SpaceX ». Ariane 6 doit pour rappel réduire de 40 à 50 % le coût d’un lancement.

Selon le rapport, « remplacer purement et simplement Ariane 6 par Ariane Next (réplique du Falcon 9 de SpaceX) avec une motorisation Prometheus, qui est encore au stade du prototype, induirait un risque considérable en matière d’autonomie stratégique ». Il faut donc assurer la viabilité commerciale d’Ariane 6 dès maintenant.

Une idée – déjà évoquée il y a plusieurs années (notamment par la Cour des comptes) – est mise en avant dans le rapport : « Afin d’améliorer la compétitivité du lanceur Ariane 6, introduire un "Buy European Act" pour garantir un nombre de commandes institutionnelles nécessaires à la viabilité financière et commerciale du programme ».

Comme son nom l’indique, elle est directement inspirée de la loi « Buy America » qui empêche notamment Arianespace de se positionner sur les lancements gouvernementaux américains. Il y a aussi la question des subventions sur laquelle SpaceX et l'Agence spatiale européenne (ESA) s’étaient écharpés.

Le premier s'était plaint au Département du commerce américain que « les subventions de l'Union européenne et du gouvernement français réduisent artificiellement le prix des services de lancement d'Arianespace sur le marché international et permettent à leurs fusées d'être déloyalement compétitives ».

Le retour de flamme n'avait pas tardé avec Daniel Neuenschwander (responsable des transports spatiaux à l’ESA) : « Je pense que vous feriez mieux de nettoyer devant votre porte avant de commencer à vous plaindre de quelqu'un d'autre ». Preuve en est si besoin que le marché du lancement institutionnel des lancements spatiaux est crucial.

Si l’Europe parvenait à instaurer un « Buy European Act », elle pourrait certainement sécuriser des lancements pour Ariane 6, et ainsi s’assurer plus facilement d’un accès en autonomie à l’espace pour les prochaines années.

Écrit par Sébastien Gavois

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

L’espace « appartenant à tous »… permet de surveiller tout le monde

Arsenalisation et multiples facettes du renseignement spatial

Les risques dans l’espace : brouillage, neutralisation, cyberattaque…

La France doit pouvoir surveiller l’espace, en toute autonomie…

…et donc « investir massivement dans la recherche »

Et revoilà le Buy European Act, pour « renforcer » Ariane 6 

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Commentaires (15)


Bienvenue dans The Expanse :p


Vu les coûts que ça vas engendrer, c’est plutôt «The Expense»…



Sinon, je vote aussi pour le Buy European Act, et pas seulement pour l’espace.



Pour Christian Cambon, ce genre de menace ne doit pas être prise à la légère :
« Ces manœuvres d’approche d’un satellite par un autre satellite peuvent servir à recueillir du renseignement (écoutes et prises de vues) ou mener des actions plus offensives




Tout ça, ça me fait penser à la fin du 1er épisode de Space Force avec Steve Carell



https://youtu.be/aIwifp2yJXk?t=52


Malheureusement la série souligne bien la réalité de la Space Force de Trump.


Le Buy European Act ça fait des années que c’est évoqué mais l’Europe est encore un bisounours qui n’a pas compris que l’Etat de Grâce suite à l’effondrement de l’URSS était fini et que la Deuxième Guerre Froide avait débuté malgré les invasions de Géorgie et de l’Ukraine par la Russie et les menaces Chinoises sur Taiwan, le Japon et l’Inde…


À noter que les américains sont bien aux courant des risques d’attaques informatiques, ils ont organisé cette année un CTF de piratage de satellite pendant DEF CON : https://www.hackasat.com/



Mais il faut aussi noter que l’équipe Solar Wine (francophone) a eu le plus de points et que les Polonais ont fini 2ème.


…Ou comment transformer l’espace en une plus grosse poubelle qu’elle ne l’est déjà. C’est fou tout ce qu’on y envoie (ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas) sans même y demeurer (A part ISS). Ca laisse perplexe.


Pour le coup c’est très d’y envoyer quelque chose sans que les autre le voient.


Floflr

Pour le coup c’est très d’y envoyer quelque chose sans que les autre le voient.


C’est comme pour les sous-marins, il faut réussir une dilution au moment de l’envoi; après, on les détectent seulement au contact direct


On est France, donc on va faire une commission, qui va pondre un bon gros rapport incompréhensible, on aura une nouvelle loi sur l’inviolabilité de l’espace et une taxe pour financer la haute autorité de sécurisation de l’espace :transpi:



revker a dit:


Bienvenue dans The Expanse :p




On n’y est pas encore, Là c’est plutôt encore la série Mars :)



Mettre fin à notre dépendance à l’égard des États-Unis en nous dotant de capacités propres – a minima européennes sinon nationales – d’observation et d’analyse de la situation de l’eEspace




Fixed, pas besoin d’en dire plus :roll:


Quel monde d’hypocrite dans lequel nous vivons, ça déclare a tout va qu’on a jamais connu une periode de paix aussi longue et ça s’arme jusqu’au dents en coulisse, tout ça pour lutter contre quelques avares de pouvoir et fanatiques…
(Je ne remet pas forcément en cause la necessité elle même mais la source de cette necessité)


Ca ne date pas d’hier :
Si vis pacem, para bellum
« Si tu veux la paix, prépare la guerre »


Qu’est-ce que j’ai honte de mon espèce, mais qu’est-ce que j’ai honte !