Alors qu'Ariane 5 a profité de conditions favorables, Ariane 6 aura la vie bien moins facile. Le futur lanceur européen arrive dans un marché spatial qui n'est plus celui envisagé en 2014 lors de la validation du projet. Pour ne rien arranger à ses affaires, SpaceX occupe beaucoup de place et parvient à réutiliser son premier étage plusieurs fois.
Un groupe de travail « Espace » du Sénat, commun aux commissions des Affaires économiques et des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, coprésidé par Sophie Primas (Les Républicains) et Jean-Marie Bockel (Union Centriste), a été mis en place afin de proposer un rapport d'information sur le lanceur européen Ariane 6, et ceux à venir.
Dans les grandes lignes, il appelle à rien de moins « que réinventer la politique des lanceurs spatiaux » et « restaurer l'ambition spatiale européenne ». Il s'inscrit dans un contexte particulier puisque « le conseil de l’Agence spatiale européenne, qui se réunit au niveau ministériel les 27 et 28 novembre 2019, doit prendre des décisions importantes », notamment pour Ariane 6 dont le premier vol est prévu pour l'année prochaine.
Le futur d'Ariane se jouera (en partie) la semaine prochaine
Pour les deux parlementaires, ces décisions « préparent également le terrain pour que, dès 2022, l’Europe spatiale décide du développement d’un lanceur spatial réutilisable », un changement de paradigme important.
Le rapport se décompose en deux parties. La première retrace l'histoire des lanceurs européens, plus spécialement depuis la validation d'Ariane 6 en 2014. Il s'intéresse également aux changements dans le secteur spatial de ces cinq dernières années, avec une importante différence entre les prévisions de 2014 et ce qui attend Ariane 6 en 2020.
La montée en puissance de SpaceX et le succès du réutilisable sont également détaillés, avec des données chiffrées pour une fois. Il est ensuite question de l'avenir et des efforts (financiers, industriels, institutionnels) qui devront être mis en place pour maintenir notre autonomie d'accès à l'espace, ce qui fera l'objet d'un second article.
Notre dossier sur la politique des lanceurs spatiaux (européens) :
- Ariane 6 face à « un effondrement » du marché géostationnaire et à la montée en flèche du New Space
- Ariane 6 : il faut dès maintenant « préparer la transition, à terme, vers le réutilisable »
Ariane : « la fierté ne doit pas conduire à l’aveuglement »
Alors qu'Ariane fêtera à la fin de l'année le 40e anniversaire de son premier lancement (le 24 décembre) et le 250e à son actif (sauf retard de dernière minute), « de nombreux progrès ont été accomplis » : « le lanceur européen n’a cessé d’augmenter ses capacités » et « sa fiabilité » affirme le rapport... mais « la fierté ne doit pas conduire à l’aveuglement ».
Le groupe de travail enfonce le clou : face aux Américains (poussés par SpaceX et Blue Origin), aux Chinois, aux Russes et aux Indiens, « l’Europe peut donner l’impression d’être dépassée, car elle ne dispose ni de la rupture technologique ni de l’ambition du vol habité ». Pour les rapporteurs, il s'agit de deux points à corriger rapidement pour rester dans la course.
En trame de fond se joue la souveraineté et l'autonomie de l'accès à l'espace, un point déjà largement abordé par la Cour des comptes en mars dernier. Le rapport cite tout de même un exemple parlant des risques encourus : « Souvenons-nous qu’en 1974, nos alliés américains ont refusé de lancer un satellite franco-allemand qui avait vocation à faire l’objet d’une exploitation commerciale ». Les rapporteurs ne veulent pas que l'histoire se répète.
Les enjeux : préserver la place de deuxième puissance spatiale
Il est donc important de rester « les meilleurs sur un marché commercial de plus en plus concurrentiel. L’Europe spatiale n’a donc pas d’autre choix que de continuer à innover et à baisser les coûts en misant sur le réutilisable. Elle doit également revoir sa politique industrielle en posant une règle de "préférence européenne" [...] Afin de préserver sa place de deuxième puissance spatiale du monde, elle doit enfin se doter d’une ambition à long terme ».
Le principal problème est qu'« Ariane 6 ne pourra pas bénéficier des conditions favorables qu'a connues Ariane 5 ». L'actuel lanceur européen est sans aucun doute « un succès technique et commercial » qui a en plus su s'adapter au marché. Ariane 5 (premier lancement en 1997) est ainsi passée de 6,1 tonnes de charge utile en orbite géostationnaire (GTO, Geostationary Transfer Orbit) à 10,7 tonnes sur la version ECA (lancée en 2005).
Jean-Yves Le Gall, président du CNES, ne cachait d'ailleurs pas son plaisir devant les deux commissions : « ce succès commercial, politique, industriel, le monde entier nous l’envie ! [...] nous faisons mieux que les autres avec des moyens moindres ». De plus, Ariane 5 s’est retrouvée pendant plusieurs années comme étant « le seul lanceur fiable en mesure de répondre, dans les temps, à la demande de lancements en orbite géostationnaire ».
Néanmoins, « cette époque est révolue » affirme sans détour le rapport. Ariane 6 devra faire face à une concurrence féroce, notamment avec la montée en puissance du « New Space ».
Charge utile (en kg) des différents lanceurs Ariane en GTO
Objectif d'Ariane 6 : la réduction des coûts, sans réutilisation
Le développement d'Ariane 6 a été décidé après des années de discussions, « qui ont souligné les oppositions entre les membres du secteur spatial européen, entre États et au sein des États, à une époque où le scepticisme était de mise sur l’entreprise d’Elon Musk [...] quant à sa capacité à profiter d’un modèle de réutilisation dont elle n’avait, à l’époque, pas encore démontré la pertinence ». Finalement, le patron de SpaceX avait raison.
Son idée de fusée réutilisable fonctionne et il est presque devenu banal de voir un premier étage revenir se poser sur la terre ferme ou sur une barge en pleine mer. Presque inimaginable il y a cinq ans. Aujourd'hui SpaceX est certes capable d'envoyer quatre fois le même premier étage dans l'espace avec une coiffe recyclée d'une précédente mission en prime, mais aucune donnée précise sur le coût de remise en état n'a été dévoilée à notre connaissance.
Quoi qu'il en soit, le principal objectif d'Ariane 6 « est la réduction des coûts de 40 à 50 % par rapport au coût du kilo mis en orbite », comparé à celui d'Ariane 5... en 2014. À l'époque, il était de 21 300 euros le kilo, alors qu'il n'est plus que de 18 900 euros en 2018. Selon le projet annuel de performance de la mission Recherche et enseignement supérieur du projet de loi de finances pour 2016, Ariane 6 devrait descendre sous les 15 000 euros par kg.
« Effondrement » du marché des satellites géostationnaires
Problème pour Ariane 6, « le marché commercial en orbite GTO, cœur de cible historique d’Ariane et représentant l’essentiel du marché du lancement spatial commercial en valeur a connu, ces dernières années, "un effondrement" [terme utilisé par Arianespace, ndlr] tel qu’aucun acteur ne l’avait prévu ».
Entre 2015 et 2017, on dénombrait 53 contrats ouverts à la concurrence pour des lancements géostationnaires (soit environ 18 en moyenne par an), contre seulement 7 en 2018, affirme l'Agence spatiale européenne (ESA). Le Centre national d'études spatiales (CNES) dresse également un triste bilan : « entre sept et neuf commandes de satellites destinés à l’orbite géostationnaire ont été passées par an entre 2017 et 2019, contre 20 à 25 commandes par an sur la décennie précédente ». Là encore, ce n'est pas une bonne nouvelle pour Ariane 6.
De plus, « le nombre de lancements de satellites commerciaux en orbite géostationnaire est passé d’une vingtaine par an à entre 6 et 8 ces dernières années ». Et s'il était besoin d'en rajouter une couche, le chiffre d'affaires des trois grands opérateurs de satellites en orbite géostationnaire (Intelsat, Eutelsat et SES) est atone ou en baisse ces dernières années.
Ariane peut néanmoins compter sur Eutelsat, qui a signé fin 2018 un contrat prévoyant cinq lancements d'ici à 2027. La société était alors « le premier client commercial à signer pour Ariane 6 ».
Chiffre d'affaires des trois principaux opérateurs de satellites GTO
Un rebond en 2019, mais insuffisant pour l'instant
Selon le rapport d'information, « l’année 2019 montre qu’un rebond s’amorce », mais il serait pour l'instant insuffisant pour revenir au niveau des années fastes : « les prévisions actuelles font état de quinze satellites destinés à l’orbite géostationnaire commandés chaque année en moyenne entre 2020 et 2025 ».
Bref, « Ariane 6 devra faire face à un marché en orbite GTO moins dynamique », et ce n'était pas vraiment ce qui était prévu en 2014. « Dans le même temps, le marché non géostationnaire confirme sa tendance à la hausse, mais selon unrythme qui reste inférieur aux prévisions ». Concernant les constellations de satellites en orbite basse, le rapport se montre prudent : « la viabilité économique de ces projets est encore incertaine, y compris pour ceux les plus avancés – comme l’a montré cet été la dépréciation d’actifs opérée par Softbank sur sa participation dans la constellation OneWeb ».
On peut également citer Starlink de SpaceX, mais les lancements se font en interne, sur des fusées déjà « éprouvées » en vol, un bon moyen de rassurer les clients potentiels. Selon Arianespace, les petits satellites (0 à 200 kg, hors constellation) ne devraient pas radicalement changer la donne, ce marché ne représentant que 140 millions de dollars par an environ.
Dans tous les cas, « ces prévisions sont relativement incertaines », car le marché et les satellites évoluent rapidement. « Cette incertitude rend nécessaire de proposer des services flexibles », ce qui est normalement le principe de base d'Ariane 6, présentée comme un couteau suisse par ArianeGroup, lors d'une audition au Sénat justement.
SpaceX ou la crédibilité du « New Space »
Créée en 2002 par Elon Musk, et après un départ chaotique (la société était au bord du gouffre en 2008), SpaceX est désormais un acteur incontournable du secteur spatial. Pour l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), « cette "révolution dans les affaires spatiales", appelée parfois New Space, a été très largement ignorée ou du moins sous-estimée par les acteurs européens du domaine ».
Voilà qui devrait faire plaisir à Catherine Procaccia et Bruno Sido qui avaient remis en 2012 un rapport sur la politique spatiale européenne : « nous évoquions la concurrence de SpaceX, les constellations, les fusées réutilisables. Grosso modo toute la communauté spatiale française nous avait un peu ri au nez en disant que ce n’était pas vraiment sérieux ».
« Je n'ai pas le sentiment d'avoir ri au nez. Votre rapport a bien posé les bases du débat. C'était probablement un rapport visionnaire, mais aujourd'hui force est de constater que les faits vous ont donné raison », lui a répondu le président du CNES en mai dernier, ajoutant que ces pistes étaient désormais prises en considération.
Le rapport reconnaît les performances et le sens de la prise de risque des nouveaux arrivants, notamment chez SpaceX « qui effectue des tests au fil des lancements ». Une liberté qui n'est pas permise sur Ariane puisqu'elle est financée avec de l'argent public. Alain Souchier et Jérôme Vila expliquaient en 2016 que le CNES ne peut ainsi pas se mettre dans des « situations à risque », contrairement aux sociétés privées.
Dans tous les cas, Falcon 9 est incontestablement une réussite. Le lanceur n'a que deux étages au lieu de quatre pour Ariane 5, et un seul type de moteur, contre trois pour la fusée européenne : « Même sans réutilisation, le Falcon 9 dans sa conception consommable est déjà un redoutable concurrent d’Ariane grâce à sa simplicité », affirment les rapporteurs.
« En six ans, la performance du lanceur a été multipliée par 2,4 » et, grâce à Falcon Heavy, « SpaceX a multiplié la capacité d’emport en orbite de transfert géostationnaire de son lanceur par un facteur de presque huit en huit ans ». Un calcul effectué en se basant sur une capacité théorique de 26,7 tonnes en orbite géostationnaire pour Falcon Heavy.
Falcon 9 à moins de 50 millions, Ariane 5 ECA à 150 millions
Pour s'assurer de remporter des contrats, SpaceX n'hésite pas à baisser ses prix, surtout s'il peut au passage récupérer des clients à ses concurrents : « SpaceX a divisé le prix d’un lancement par trois, en proposant des lancements entre 50 et 60 millions de dollars ». La société aurait « ainsi récemment proposé un lancement à moins de 50 millions de dollars pour placer un satellite lourd en orbite GTO », alors qu'un lancement d'Ariane 5 ECA coûte 150 millions de dollars.
Rappelons que SpaceX bénéficie d'un fort soutien du gouvernement américain à qui il facture plus cher ses lancements. Un système de double facturation qui fait grincer des dents. Si Ariane en profite aussi, ce serait dans une moindre mesure. En début d'année, SpaceX a d'ailleurs envoyé une lettre au Département du commerce américain se plaignant que « les subventions de l'Union européenne et du gouvernement français réduisent artificiellement le prix des services de lancement d'Arianespace sur le marché international et permettent à leurs fusées d'être déloyalement compétitives ».
La réponse de l'ESA, par Daniel Neuenschwander (responsable des transports spatiaux), était aussi courte que cinglante : « Je pense que vous feriez mieux de nettoyer devant votre porte avant de commencer à vous plaindre de quelqu'un d'autre ».
Les rapporteurs se lancent dans une estimation : « En tout, selon les calculs des rapporteurs à partir des ressources publiques disponibles, SpaceX aurait reçu, en 12 ans, l’équivalent de 9,5 milliards de dollars pour le développement de ses capsules et de ses lanceurs et les services de lancement associés ». À titre de comparaison, c'est l'équivalent des contributions françaises à l’Agence spatiale européenne sur les dix dernières années ou bien au financement du lanceur Ariane 6... deux fois.
Autre atout pour SpaceX : « l’Anchor Tenancy Law oblige le gouvernement des États-Unis à octroyer suffisamment de commandes publiques à un fournisseur pour assurer les besoins spatiaux nationaux, tout en rendant viable l’exploitation commerciale de ces services ». Il y a également la loi « Buy America » qui empêche Arianespace de se positionner sur les lancements du gouvernement américain, « coupant ainsi un marché énorme à un moment où les lancements commerciaux sont en net recul ». D'autres pays comme la Chine font de même, pas l'Europe (nous y reviendrons dans la seconde partie).
Ne pas minimiser les réussites de SpaceX... ni celles d'Ariane
Pour autant, « il ne faut pas minimiser les réussites de SpaceX » affirme le rapport, son financement reposant à 57 % sur le soutien public, 22 % de fonds d'investissement et 21 % de revenus commerciaux. La société peut également mettre en avant la part du marché institutionnel en baisse dans son chiffre d’affaires et la hausse alors des lancements commerciaux.
Malgré tout, Ariane peut (pour l'instant) se vanter de bien résister à l'offensive : « en 2018, SpaceX a lancé autant de satellites géostationnaires (en lancement simple) qu’Ariane 5 (en lancement double) » et Arianespace reste leader sur le marché ouvert des satellites géostationnaires en ayant remporté cinq des sept contrats de 2018 (un pour SpaceX et un pour United Launch Alliance.
À droite : chiffre d'affaires de SpaceX et part des lancements institutionnels
SpaceX : « la seule rupture technologique » depuis Sputnik
Quoi qu'il en soit, SpaceX est pour le moment « la seule rupture technologique réussie dans le domaine des lanceurs depuis le lancement de Sputnik en 1957 : la réutilisation du premier étage ». Le CNES rappelle que « la possibilité de réduire les coûts par la réutilisation de tout ou partie du lanceur est une idée aussi ancienne que les lanceurs ».
Le centre spatial ajoute néanmoins qu'il faut « reconnaître à SpaceX le mérite d’avoir démontré que c’était techniquement et économiquement possible à condition de procéder par étapes ». La société américaine est parvenue à améliorer grandement la fiabilité de la récupération : de moins de 70 % mi-2018 à 95 % aujourd’hui, à l’exception du Falcon Heavy dont les lancements ne sont de toute façon pas assez nombreux pour en tirer des statistiques significatives.
Mais SpaceX ne serait que la partie visible de l'iceberg : « il faut s’attendre à une multiplication des acteurs et à un accroissement de la concurrence sur le marché commercial ». Il y a les puissances spatiales qui sont en train de renouveler leurs flottes, mais aussi de nouveaux acteurs comme le Japon avec ses lanceurs H2/H3, la Russie pour l'instant écartée pour des problèmes de qualité, l'Inde avec son Geosynchronous Satellite Launch Vehicle (GSLV) et la Chine qui a réussi à lancer « plus que les États-Unis pour la première fois en 2018 (39 lancements pour la Chine contre 34 pour les États-Unis) ».
Selon le rapport, « il est probable que SpaceX ne parvienne pas à augmenter sa part sur le marché domestique américain (estimée entre 15 et 20 missions par an), la NASA et le DoD préférant maintenir plusieurs fournisseurs de lancements comme ULA, NGIS et plus récemment Blue Origin ». La société d'Elon Musk devrait donc continuer à exercer une forte pression sur le marché commercial pour assurer sa croissance, ce qui ne fera pas spécialement les affaires d'Ariane.
Le coût de la remise en état de Falcon 9
Le rapport donne au passage des informations précieuses et rares sur les coûts de remise en état de Falcon 9. Il affirme que le booster disponible depuis mai 2018 dans une « définition ultime (v. 9.2.5) est supposé pouvoir revoler une dizaine de fois sans maintenance majeure avec remise en état en 24 heures – ce délai est à ce jour de cinq semaines pour un coût d’un million de dollars – et jusqu’à 100 fois au total avec des opérations spécifiques ».
Il propose une estimation : « le premier étage neuf coûte environ 18 millions de dollars, ce qui représente environ 40 % du coût total d’un lancement de Falcon 9. Avec un coût de remise en état de l’ordre d’un million de dollars et une dizaine de réutilisations, le coût moyen d’un premier étage qui serait utilisé dix fois serait de 2,8 millions de dollars, soit un coût de lancement de 29 millions de dollars et donc une économie de 34 % ». SpaceX n'a pour le moment rien confirmé.
Il s'agit de donner un ordre de grandeur, d'autres critères entrant en compte, comme la baisse de cadence de production sur le prix d’un étage neuf. L'avantage dans le cas de Falcon 9, étant que le second étage (non réutilisable) exploite les mêmes technologies que le premier, permettant de contrebalancer la baisse de production due à la réutilisation.
Plus de 50 % des vols SpaceX sur des fusées recyclées
En 2018, plus de la moitié des 21 vols ont utilisé un booster de seconde main, une belle performance. Désormais, SpaceX pousse ses clients, commerciaux et institutionnels, à passer sur des versions recyclées afin de réduire fortement sa cadence de production : près d’une quinzaine en 2017, neuf en 2018, quelques unités en 2019.
La réutilisation garde un inconvénient : la réduction de la charge utile afin de laisser de la place aux ergols pour le retour. « La version réutilisable du Falcon 9 ne peut envoyer de satellite de grande taille en orbite GTO », un problème contourné par la société avec Falcon 9 Heavy dont il est possible de récupérer le premier étage et les deux boosters (en théorie).
Voici la charge utile suivant les différents cas d'usage avec la charge utile que la fusée peut envoyer dans l'espace :
Orbite géostationnaire (36 000 km environ) :
- Falcon Heavy avec récupération des trois boosters : 8 tonnes
- Falcon Heavy sans récupération : 27 tonnes
Orbite basse :
- Falcon Heavy sans récupération : 63 tonnes
- Falcon Heavy avec récupération des deux boosters latéraux : 57 tonnes
- Falcon Heavy avec récupération des trois boosters : 42 tonnes
À titre de comparaison, Ariane 5 ECA (la plus grosse version) peut envoyer 10,5 tonnes en orbite GTO ou 21 tonnes en orbite basse, et sensiblement autant pour Ariane 64 avec quatre propulseurs d'appoints (et logiquement moins pour Ariane 62 avec deux propulseurs).
Une « baie propulsive réutilisable » chez ULA...
Pour son lanceur lourd Vulcan, ULA travaille sur un concept différent de réutilisation en se concentrant sur la partie basse du premier étage, celle contenant les moteurs et l'avionique.
Cette technique baptisée « baie propulsive réutilisable » nécessite par contre d'utiliser un hélicoptère qui viendrait attraper en vol cette baie, dont la chute serait freinée par un parachute au retour sur Terre. Selon ULA, ce concept « en réutilisant la « baie propulsive » du premier étage ne ramène que 25 % de la masse, mais plus de 65 % du coût de l’étage ».
Le CNES ne partage pas cet avis et estime cette technique de réutilisation bien moins intéressante : « la valeur récupérée (la baie de propulsion) est plus faible que celle du premier étage et le coût de récupération plus élevé ».
La légende pourrait être : « Pourquoire faire simple quand on peut faire compliqué »
...projet ReFEx au DLR, avec un second étage réutilisable
De son côté, le Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR, alias centre aérospatial allemand) planche sur un projet ReFEx (Reusability Flight Experiment) visant « à mettre au point les technologies nécessaires au développement d’un deuxième étage entier ailé réutilisable, qui effectuerait un vol de retour planant ».
De toute façon, SpaceX a prévu de mettre tout le monde d'accord avec Starship, un lanceur lourd entièrement réutilisable et capable d'aller vers d'autres planètes. Il reste néanmoins encore du travail pour atteindre un tel objectif puisque la partie supérieure du premier prototype vient d'exploser lors d'un test de pression.
SpaceX assure par contre « le test d'aujourd'hui visait à mettre les systèmes sous une pression maximum, si bien que le résultat du test n'était pas complètement inattendu. Il n'y a pas eu de blessés, et ce n'est pas un grave revers ». L'aventure continue donc, les prototypes MK2 et MK3 étant déjà en route.