La surveillance et l’espionnage ne se déroulent pas que sur Terre : un drôle de ballet avec des satellites et des vaisseaux-espions se déroule aussi à des centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes. Les militaires français ont ainsi déjà dû faire face à d’étranges « manœuvres d’approche et d’observation »… et plus si affinité.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer à de nombreuses reprises, une des missions d’Ariane 6 est d’assurer à L’Europe – et donc à la France – de conserver son autonomie d’accès à l’espace. Nous pouvons en effet envoyer les satellites que nous voulons en orbite (pour des télécommunications, du guidage, du repérage, de la cartographie, etc.), sans avoir besoin de passer par un « partenaire »… avec tous les risques que cela sous-entend pour des missions relevant de la sécurité nationale par exemple.
Sur Terre, l’espionnage étatique, militaire ou civil passe par la surveillance d’Internet et le piratage des ordinateurs/serveurs, mais n’allez pas croire que cette pratique s’arrête à la ligne imaginaire de Kármán, qui définit la limite entre l’atmosphère terrestre et l’espace. À plusieurs centaines/milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, des satellites jouent un double jeu, viennent se placer à proximité d’autres engins spatiaux pour les espionner et ils pourraient même leur causer des dégâts physiques.
Il y a quelques jours, des astronomes amateurs ont ainsi suivi l’étrange comportement de la sonde russe Kosmos 2542 qui est venu se placer à proximité d’un satellite américain dont la mission est classée secret défense. Ce genre de manœuvre n’est pas exceptionnel et des satellites français ont déjà reçu la « visite » de sondes étrangères.
Une guerre froide qui dure depuis des années déjà, comme l’ont déjà affirmé sans détour plusieurs généraux et chefs d’état-major français.
Espionnage : « Il se passe beaucoup de choses dans l’espace »
En 2016, le général Jean-Daniel Testé, commandant interarmées de l’espace, expliquait – lors d’une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale – que ses services avaient découvert « qu’un autre objet, de plus petite taille, se trouvait à proximité (proximité spatiale, s’entend) » d’un des satellites de communication militaire de la constellation Syracuse. Sa présence avait été détectée sur des clichés datant de 2011, 2013 et 2015.
Les militaires ne cherchaient – a priori – pas spécifiquement la trace d’un satellite espion, mais ils « utilisaient occasionnellement un télescope mis à [leur] disposition par le CNES et par Airbus afin d’observer l’orbite géostationnaire ». Le général affirmait par contre qu’il « ne sait toujours pas ce qu’était cet objet » en 2016.
Jean-Daniel Testé enchaînait : « nous avons la certitude que les Russes, les Chinois et les Américains ont mis au point des systèmes destinés à aller observer et écouter au plus près les systèmes spatiaux d’autres pays, ce qui pose de graves questions en termes de sécurité ». Il en rajoutait même une couche concernant les Russes : « il est intéressant de relever qu’à chaque fois que le satellite russe est arrivé à proximité d’un satellite occidental – qu’il soit américain, français ou britannique – il a ralenti son mouvement, comme s’il procédait à des observations ».
Bref, le général qui militait alors pour un renforcement de la loi de programmation militaire voulait faire comprendre aux parlementaires « qu’il se passe beaucoup de choses dans l’espace ».

Manœuvre « inamicale », « tentative d’espionnage »…
En décembre 2017, c’était au tour du général Jean-Pascal Breton, commandant interarmées de l’espace, de se présenter devant la commission de la défense nationale et des forces armées. Son discours confirmait la position de son prédécesseur : « Nous devons être en mesure de détecter et d’attribuer tout acte suspect, inamical ou hostile, ce qui est primordial pour nous : on constate quelques évolutions dans l’espace avec des manœuvres d’approche et d’observation de satellites ».
De son côté, le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air, s’appuyait en octobre 2018 sur un discours de la ministre des Armées au CNES : « Elle a présenté l’exemple du satellite russe Luch-Olymp, qui s’est rapproché excessivement près de notre satellite de communication militaire sécurisée Athena-Fidus, dans une manœuvre que nous pourrions qualifier d’inamicale et qui s’apparente à une tentative d’espionnage ».
Le général, qui avait pris ses fonctions de chef de l’état-major quelques semaines auparavant, en profitait pour rappeler l’importance de l’enjeu : « Je crois pouvoir dire aujourd’hui, comme Montgomery à l’époque, que si nous perdons la guerre dans l’espace, nous perdrons la guerre tout court ».
CNES : « On ne sait pas se protéger d’un satellite étranger »
En avril 2018, c’était au tour de Jean-Yves Le Gall, président du CNES, de passer devant la commission de la défense nationale et des forces armées. Il y répondait notamment à une question du député Jean-Michel Jacques sur l’espionnage, les possibilités de se défendre et d’éventuelles capacités furtives des satellites français :
« Concernant la protection des satellites, on ne sait pas concevoir un satellite furtif et on ne sait pas se protéger d’un satellite étranger qui viendrait fureter à proximité des nôtres. Certes on peut se durcir : protection contre les tirs laser, mesures de cyber sécurité, etc. D’ailleurs, nous réfléchissons sur ces sujets avec et sous la responsabilité de la défense qui est en charge de ces domaines. Mais il est clair que face à des satellites qui seraient vraiment hostiles, nous serions assez démunis. Un satellite portant une charge explosive pourrait détruire l’un de nos satellites. »
Répondant ensuite à Bastien Lachaud, Jean-Yves Le Gall ajoute que la France peut aussi se prémunir de satellites qui viendraient « butiner » des données par des méthodes classiques de chiffrement. Il ne veut dans tous les cas pas tirer la sonnette d’alarme pour le moment : « Il faut cependant reconnaître que cette menace [attaque des satellites, ndlr] met en jeu des compétences technologiques avancées, qui sont davantage maîtrisées par nos alliés que par des puissances plus agressives ».
Plus intéressant/inquiétant (au choix), le président du CNES reconnaît que « nous avons connu dans l’histoire récente quelques arrêts inexpliqués de satellites ». Il détaille deux hypothèses : « Les plus indulgents mettent en cause l’action d’un ion lourd ou d’une micrométéorite, d’autres personnes pensent qu’il y a autre chose, mais il est difficile de le savoir… ».

« Sommes-nous les "gentils" de l’espace » ?
Fin 2017, le député Laurent Furst interrogeait le général Jean-Pascal Breton sur les capacités offensives de la France : « Sommes-nous les « gentils » de l’espace ? Est-ce que nous espionnons aussi des satellites d’autres nations ? Avons-nous la capacité de les détruire ? ».
Le commandant interarmées de l’espace lui répondait : « Pour ma part, je m’exprimerai différemment en disant que la France prône une utilisation pacifique de l’espace […] Pour autant, nous ne sommes pas naïfs. La notion de destruction est fondamentale. Évidemment, nous ne sommes pas sur un tel registre, parce que nous mesurons bien les risques qu’elle entraîne. La destruction est un acte armé, et participe à une escalade qui irait à l’encontre de nos objectifs ».
Cette position d’une utilisation pacifique de l’espace n’est pas nouvelle et plusieurs autres généraux ont également affirmé être sur cette longueur d’onde au cours d’autres déclarations.
Jean-Pascal Breton rappelait ensuite un point important sur la notion de militarisation de l’espace : « Je tiens à préciser que ce traité [de l’espace] – tout comme la loi – interdit seulement d’envoyer dans l’espace des armes de destruction massive. Il n’y a donc pas, contrairement à ce que j’entends assez régulièrement, d’interdiction d’"arsenalisation" ».
Le terme militarisation serait également trompeur pour le général : « sitôt que j’envoie un satellite de communication dans l’espace, je suis dans une forme de militarisation… ».
Vers une navette spatiale « X-37 à la française » ?
Toujours devant la commission de la défense nationale et des forces armées en décembre 2017, Jean-Pascal Breton était invité à se prononcer sur la mission supposée – et classée secret défense par les Américains – de la navette X-37B : « Sa véritable mission est assez délicate à interpréter. On peut supputer beaucoup de choses, au-delà des expérimentations menées dans le cadre de ce que l’on appelle le service en orbite […] disons que le X-37, comme d’autres, est certainement en mesure d’agir au-delà du seul domaine du service en orbite… C’est mon interprétation personnelle, assez partagée ». Bref, circulez il n’y a rien à voir.
X-37B a déjà réalisé plusieurs séjours dans l’espace, parfois pendant une durée de plus de 700 jours (soit environ 2 ans) sans revenir sur Terre. Les Américains n’ont évidemment jamais expliqué ce que la navette faisait tout ce temps dans l’espace. Ils « s’amusent » simplement à publier des communiqués pour annoncer son lancement ou son retour.
Jean-Pascal Breton ajoutait qu’un engin spatial « X-37 à la française » était « évidemment en pleine réflexion », sans donner plus de détails. Le sujet était revenu sur le tapis par l’intermédiaire du général Philippe Lavigne en octobre 2019, avec une réponse encore plus vague : « la question d’un drone spatial tel que le X-37B sera certainement abordée un jour ».
Pour résumer, oui il y a de l’espionnage dans l’espace et ce n’est pas nouveau. Oui, la France est directement concernée avec des engins qui s’approchent de ses satellites. Le risque serait limité – pour le moment – car ce sont des alliés de la France qui ont des capacités offensives et d’espionnage dans l’espace, mais il s’agit d’un secteur évoluant très rapidement.
Pour rappel, quatre pays ont déjà démontré qu’ils pouvaient détruire un satellite en plein vol avec un missile envoyé depuis la terre ferme : les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde.
Le sujet de l'espionnage dans l'espace a fait l'objet d'une attention dans la dernière loi de programmation militaire. Nous y reviendrons sur ce thème prochainement.