Spotify et plusieurs autres entreprises ont fait parvenir un courrier à Margrethe Vestager. Une lettre ouverte dans laquelle elles remettent le couvert sur la situation d’Apple, décrit un propriétaire cupide en situation de monopole. Et si elles reviennent à la charge, c’est que rien n’a changé.
Dans une lettre ouverte appelée « Appel à une action rapide et décisive contre les pratiques anticoncurrentielles des contrôleurs d’accès », Spotify, Deezer, Proton, l'association France Digitale et d'autres organisations s’adressent à Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence. Et par « contrôleurs d’accès », le courrier vise surtout une entreprise : Apple.
Le fond du message n’est pas nouveau : « Apple bénéficie d'une position de monopole sur son écosystème mobile et arrache des loyers exorbitants aux développeurs d'applications qui n'ont pas d'autre choix que de rester sur l'App Store pour toucher les consommateurs européens ».
C’était déjà l’objet de la plainte déposée il y a quatre ans, et encore le sujet d’une précédente lettre ouverte il y a deux ans. Rappelons qu’Apple a été officiellement accusée d’abus de position dominante en avril 2021.
Mais les années passent, et rien ne change. La lettre ne le dit pas expressément, mais encourage vivement à se mettre en action, l’Europe ayant « l’opportunité de prendre la tête ». Pour cela, « elle doit agir rapidement, chaque jour qui passe étant une perte pour l’innovation et le bien-être des consommateurs européens ».
Le cœur du problème
« Depuis des années, Apple impose des restrictions injustes à nos activités commerciales [qui] freinent notre développement et nuisent aux consommateurs européens », fustige la lettre ouverte :
« Elles incluent le lien de l’App Store avec le système propriétaire de paiement d’Apple, avec ses commissions excessives pour les développeurs d’applications, la création d’obstacles artificiels qui empêchent nos entreprises de communiquer librement avec nos clients, des restrictions à l’accès des développeurs aux données de leurs propres utilisateurs, et des changements capricieux aux conditions d’utilisation. »
Le nerf, de la guerre, bien sûr, est l’argent. En l’occurrence, celui que ces entreprises ne touchent pas, compte tenu de la commission exigée par Apple sur les achats in-app et les abonnements. Pour ces derniers, rappelons qu’elle est de 30 % la première année d’abonnement continu, puis descend à 15 % à compter du 13e mois.
Il existe également une distorsion du marché par certaines conditions. Le cas de la musique est probablement le plus emblématique. Toutes les applications concernées doivent s’acquitter des fameux 15 à 30 % de commission. Mais pas Apple Music, puisque le service appartient à Apple, qui perçoit donc l’intégralité des gains, avant d’en reverser une grande partie aux détenteurs de droits et surtout aux maisons de disque. Sur le thème des commissions, Mark Zuckerberg a été particulièrement prolixe, rejoignant récemment une saillie identique d’Elon Musk.
Colère, colère, colère
On se souvient, sur le système de paiement, des tensions avec les Pays-Bas. Là-bas, l’Autorité des consommateurs et des marchés (ACM) a infligé amende sur amende à Apple pour ne pas avoir proposé de solution adaptée à la demande, qui était pourtant claire : soulager les applications de rencontre de la commission sur le système de paiement. Apple avait accepté, baissant royalement ses 30 % à 27 %, ce qui avait provoqué la colère de l’ACM.
Sur la communication libre avec les clients, c’est une autre zone de friction avec Spotify et d’autres entreprises. Les conditions d’utilisation de l’App Store pour les développeurs empêchent en effet de communiquer directement avec leurs utilisateurs. Bien que ce point a été légèrement assoupli, il empêche encore par exemple d’indiquer clairement qu’il faut se rendre sur un site web pour s’abonner. Ceci, bien sûr, pour éviter une hémorragie de revenus, Apple ayant tout intérêt à ce que l’acte d’abonnement se fasse au sein de l’application, activant la commission.
À ce sujet d’ailleurs, Spotify fait partie des entreprises ayant choisi d’augmenter le tarif de l’abonnement quand il est souscrit depuis l’application iOS : le mois Premium est au tarif de 12,99 euros, contre 9,99 euros depuis le site officiel. Autre service ayant récemment choisi la même voie, Twitter et son offre Blue, 3 euros plus chère depuis l’application.
Les colères de Spotify ont été nombreuses ces dernières années, accusant régulièrement Apple de comportements nuisibles, comme on l'a encore vu avec le refus d'une mise à jour ou sur la gestion des livres audio.
La très attendue entrée en piste du DMA en Europe
La situation devrait très largement évoluer dans quelques mois à l’arrivée du Digital Markets Act en Europe. Ce texte, particulièrement attendu, devrait entrainer de profondes modifications dans de nombreux pans des activités en ligne et au sein même des plateformes.
On sait qu’Apple se prépare activement à ce changement, qui risque d’ailleurs de faire tache d’huile, ce qu’espèrent d’ailleurs les signataires de la lettre ouverte. L’une des plus grosses répercussions serait la cassure du monopole de l’App Store, car Apple sera tenue de laisser les utilisateurs installer des applications depuis d’autres sources. Un virage à 180° qu’Apple est bien obligée de négocier.
Un changement aussi important pourrait bien rebattre les cartes, mais pour Spotify, Deezer, Proton ou encore France Digitale, ce n’est pas une raison pour attendre. Cela étant, puisque l’enquête est en cours et que les griefs ont été communiqués à Apple il y a bientôt deux ans, il est plus que probable que la procédure se poursuive, DMA ou pas. Si la Commission juge qu’Apple a enfreint les règles, elle ne pourra pas être jugée à l’aune d’un texte qui ne sera évidemment pas rétroactif.