À la suite d’un barème adopté l’an passé, les reconditionneurs doivent payer la redevance copie privée pour chaque téléphone et tablettes traitées. L’État vient d’annoncer un coup de pouce pour les acteurs français, là encore pour chaque unité reconditionnée. Une aide temporaire et limitée sur argent public.
Le 1er juin 2021, la Commission Copie privée adoptait en toute vitesse un barème dédié aux tablettes et smartphones reconditionnés, publié au Journal officiel le 6 juin. L’extension de la redevance était sécurisée juridiquement au Parlement, grâce à une rustine législative déposée par le gouvernement dans le cadre de la loi sur l’empreinte environnementale du numérique. Après les députés, les sénateurs adoubaient en effet cette mesure qui permet depuis aux industries culturelles de collecter cette dîme sur ce secteur en développement.
En pratique, téléphones et tablettes reconditionnées ou d’occasion, vendus par les professionnels, entrent dans le champ d’application de la redevance culturelle. Les flux financiers sont collectés par Copie France, société civile composée des principales sociétés de gestion collective.
Les sommes sont ensuite réparties entre chacune d’entre-elles, puis redistribuées auprès des membres, minorées de 25 % des montants, qui sont utilisés pour financer les festivals ou encore les actions de lobbying. Ces 25 % représentent autour de 75 millions d’euros, pour un montant total de collecte qui flirte chaque année avec les 300 millions d’euros.
Pour les acteurs français du reconditionné et de l’occasion, des PME aux plus grandes structures installées en France, c’est un coup dur. En octobre 2021, ils manifestaient devant le Sénat tout en dénonçant une France qui « tue l’occasion ». En vain. Depuis, ils doivent raboter leurs marges pour chaque produit remis sur le marché, tout en supportant la concurrence d’entreprises installées notamment en Asie, qui n’hésitent pas à évincer ces contributions.
Ces téléphones de seconde main sont donc désormais frappés de 8,4 euros de redevance et même 9,10 euros pour les tablettes, lorsque le stockage dépasse 64 Go. En « TTC », les tarifs vont donc au-delà de 10 euros par unité, sachant que le prélèvement dépend non du prix du produit, mais de la seule capacité.
En clair, un récent et couteux iPhone reconditionné de 256 Go contribue de la même façon qu’un téléphone d’entrée de gamme de même capacité. Le poids de la redevance est donc plus important pour les consommateurs désargentés.
Vidanger la tache d'huile
L’extension de la redevance n’est pas qu'un joli cadeau fait aux industries culturelles, c’est aussi et surtout une vilaine tache d’huile dans la campagne présidentielle, au moment même où le candidat Emmanuel Macron caresse l’idée de faire de la France « une grande Nation écologique ». C'est en tout cas ce qu'il promet dans sa Lettre Aux Français.
Comment d’une main verdir la France et de l’autre assommer les entreprises qui œuvrent pour l’environnement ?
Le dénouement ne s'est pas opéré par un chèque reconditionné, un temps envisagé, mais dans ce communiqué publié hier en fin de journée, où Bercy et le ministère de l'Ecologie officialisent un coup de pouce public.
Une aide pour chaque produit reconditionné
« Afin de tenir compte de la spécificité et de la fragilité actuelle d’un secteur qui s’inscrit pleinement dans des objectifs d’économie circulaire et de la loi pour la réduction de l’empreinte environnementale du numérique », Barbara Pompili, Bruno Le Maire et Cédric O annoncent « un dispositif de soutien de 15 millions d’euros à destination des acteurs du reconditionnement d’appareils numériques ».
Ces 15 millions viennent abonder deux volets : d’une part, un accompagnement dans la création d’un label « qui permettra de développer un marché du réemploi et de l’occasion de qualité et d’apporter de la lisibilité et de la confiance au consommateur vis-à-vis du reconditionné ».
D’autre part, une aide cette fois directe, sous la forme d’un montant versé « pour chaque équipement (smartphone ou tablette) reconditionné », sachant que « seules les entreprises respectant le cadre normatif en vigueur seront éligibles à cette aide directe »
La règle de minimis
Le sujet de la redevance copie privée a été soigneusement évité dans le communiqué, mais ces dispositifs ont bien été négociés, notamment à l’Élysée, avec cette contribution dans tous les esprits.
Le mécanisme est finalement le fruit d’un accord trouvé voilà quelques jours entre l'exécutif et les entreprises du secteur. Dans le détail, ces 15 millions d’euros seront plafonnés à une aide d’un maximum de 200 000 euros par structure, calculé par grappe de trois années. Ce sont donc en théorie 75 entreprises qui pourront en bénéficier (15 millions /200 000).
« On s’inscrit dans le cadre du régime de minimis » indique à Bercy, joint par Next Inpact. Les services nous annoncent au passage la publication imminente d’un décret d’application pour encadrer ce régime.
Les aides de minimis sont des aides publiques « de faible montant qui sont exemptées de contrôle des aides d’État car on considère qu’elles n’ont aucun impact sur la concurrence et le commerce dans le marché intérieur de l’Union européenne » explique plus généralement ce site européen. Le montant maximal est donc de 200 000 euros, par entreprise et période de trois ans, renouvelable.
Voilà pourquoi le communiqué prévient que cette aide directe sera versée « sous réserve de non-épuisement de l’enveloppe disponible ». En clair, une entreprise déjà aidée à hauteur de 195 000 euros d’aides publiques, versées d’une manière ou d’une autre même par une collectivité locale, ne pourra prétendre qu’à une rallonge de 5 000 euros.
Une aide 8 euros par téléphone ou smartphone reconditionné
Selon nos sources à Bercy, le coup de pouce sera déterminé par le nombre de téléphones ou smartphones reconditionnés. Et son montant sera de 8 euros pour chaque unité traitée, peu importe sa capacité.
Même si aucun pont juridique n'est dressé par Bercy, ce mécanisme va bien compenser économiquement la redevance payée par les reconditionneurs. Et ce sont les contribuables qui auront à supporter cette charge, du moins s’agissant, au mieux, des 25 000 premiers téléphones ou tablettes reconditionnés (200 000/8) sur trois ans.
La solution trouvée permettra d’aider le secteur après l'arbitrage perdu par Bercy en 2021 face à la Rue de Valois. Pour un candidat LREM à l'heure du bilan, c'est aussi un bon moyen de soigner ses relations avec l’écologie et en même temps avec les industries culturelles.
Les grands gagnants de cette fenêtre politique restent dans tous les cas ces ayants droit puisque l’aide maximale de 200 000 euros sera asséchée dès qu'un reconditionneur aura sorti de ses ateliers plus de 25 000 appareils sur trois ans. La redevance copie privée, elle, restera toujours due pour les unités suivantes, sans compensation économique.
Une aide au reconditionné... conditionnée
Les ministères, signataires du communiqué, constatent sans mal que la filière française du reconditionnement est « soumise à une forte concurrence internationale ».
Il a du coup été décidé de l’intégrer « dans une réflexion plus large impliquant notamment les plateformes de vente en ligne d’équipements numériques et qui aura pour objectif d’évaluer la façon dont les vendeurs de matériel électronique extracommunautaires s’acquittent de leurs obligations légales et de proposer des dispositifs à même de corriger d’éventuelles distorsions de concurrence le cas échéant ».
Ainsi, « un groupe de travail sera prochainement établi à cette fin avec pour objectif de remettre ses conclusions d’ici la fin de l’année ».
L’aide de 200 000 euros sera conditionnée : une entreprise souhaitant en profiter devra être immatriculée en France. De même le reconditionnement devra avoir lieu dans le pays. Des détails à préciser dans le décret sur la rampe.