Le Sénat adopte la « taxe » Copie privée sur les produits reconditionnés

ROI sur REEN
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Le Sénat adopte la « taxe » Copie privée sur les produits reconditionnés

Après les députés, les sénateurs adoptent la redevance copie privée sur les téléphones, tablettes et autres produits d’occasion ou reconditionnés. Une victoire et même une performance pour les ayants droit, bénéficiaires de ces sommes, dans le cadre de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique (REEN).

Ceux qui espéraient un rebondissement de dernière minute devront revoir leurs pronostics. Les industries culturelles sont parvenues à obtenir le texte qu’elles souhaitaient bec et ongles.

Les sénateurs ont à l’instant adopté l’extension de la redevance copie privée (RCP) aux produits d’occasion, que les appareils soient reconditionnés ou simplement d’occasion, et donc achetés par des entreprises pour être revendus.  Un vote intervenu dans le cadre d’une loi censée à l’origine alléger l’empreinte environnementale du numérique.

En somme, pour les sénateurs non plus, alléger une telle empreinte ne doit pas se faire en sacrifiant les flux financiers du monde de la culture. Tant pis pour les poches des consommateurs, tant pis pour l’environnement, le réemploi et les PME et TPE du secteur. Ces produits d’occasion seront donc bien soumis à une redevance de 10,08 euros TTC pour les téléphones et 10,92 euros TTC pour les tablettes. 

Des sommes perçues par les organismes de gestion collective, comme la SACEM, l’Adami, la SPEDIDAM, les producteurs de musiques (SPPF et SCPP) ou encore la SACD, via leur collecteur, Copie France.

Une redevance culturelle déterminée au sein d’une commission administrative où ces bénéficiaires sont en force, et destinée à compenser la liberté pour chacun de réaliser des copies licites d’œuvres. 

Stupéfaction et aberration 

 « Quand on a entendu parler du projet d’étendre la redevance sur ces segments, on s’est dit qu’il n’avait aucune chance d’arriver », se souvient David Mignot, interrogé vendredi dernier par Next INpact.

Pour le cofondateur de YesYes, un reconditionneur français, « d’un, il est aberrant de taxer deux fois un téléphone. De deux, on est dans une logique environnementale, voire sociale sur lequel le gouvernement lui-même est engagé. Et de trois, on ne peut mettre en péril une filière où les marges sont relativement courtes ». 

L’histoire lui a cependant donné tort. « Je ne vous cache pas qu’on a été assez abasourdis et stupéfaits quand l’amendement du gouvernement a été adopté à l’Assemblée nationale pour laisser libre champ à Copie France pour, à partir du 1er juillet, appliquer son barème de redevance ». 

De fait, la mise au pas de l’occasion et du reconditionné s’est déroulée en plusieurs étapes.

Des assignations, un bras de fer entre Sénat et Assemblée nationale 

En 2020, Copie France, le collecteur de la redevance pour les industries culturelles, assignait une dizaine de PME spécialisées dans le reconditionné. Si jusqu’alors, les ayants droit considéraient que seuls les supports neufs étaient dans le champ de la perception, ils changeaient brutalement de doctrine. 

Face à l’incendie, l’extincteur. Au Sénat, en janvier 2021, la proposition de loi destinée à alléger l’empreinte environnementale du numérique est enrichie d’un article porté par son auteur, Patrick Chaize. L’article 14 Bis B est calibré pour tuer dans l’œuf cet assaut sur l’écologie, les petites entreprises et le pouvoir d‘achat des consommateurs qui ne peuvent se payer le dernier iPhone à la mode : 

« La rémunération pour copie privée n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. »

En substance, il prévoit que les biens reconditionnés déjà frappés par la redevance sont expressément exemptés. Une disposition à contre-courant du bulldozer des ayants droit, qui a continué sa route en Commission Copie Privée comme si de rien n’était.  

Faisant fi des travaux sénatoriaux, la Commission abritée par le ministère de la Culture adopte le 1er juin un barème spécifique pour les biens d’occasion. Dans un acte de générosité ultime, il est inférieur de 40 % à celui des téléphones neufs, et de - 35 % au barème des tablettes neuves. Soit respectivement 8,10 euros et 9,40 euros HT (plus de 10 euros TTC). Le barème révélé dans nos colonnes le même jour est publié au Journal officiel le 6 juin.  

Dans la procédure parlementaire, la proposition de loi version sénateur est confirmée en commission de développement durable à l’Assemblée nationale. 

L'amendement du gouvernement 

Les grandes manœuvres sont alors lancées par les industries culturelles. Le point d’orgue ? Une bruyante tribune dans le Journal du Dimanche, où la rare voix de Jean-Jacques Goldman ou encore celle de Dany Boon plaident en faveur de l’assujettissement. Les cadors de la culture dévoilent leur conception de l’écologie. 

Le 10 juin, à l’Assemblée nationale, le gouvernement fait adopter son amendement prévoyant lui aussi l’inclusion. Les députés s’inclinent. Miracle législatif, il colle très exactement au barème adopté le 1er juin en Commission Copie Privée et apporte ainsi l’assise légale que les ayants droit attendaient pour enclencher leur collecte sur l’occasion. 

De retour au Sénat, la proposition de loi modifiée par les députés est votée « conforme ». 

Un vote finalement identique au Sénat

Comme en commission de développement durable, organisée en pleine manifestation du secteur, les sénateurs en séance ont adopté la « PPL » et son article 14 Bis B dans une version identique à celle des députés. 

« Quel gâchis ! » a estimé en séance Patrick Chaize, le coauteur de la future loi. « La décision prise est contradictoire à l’objectif de la proposition de loi ». Mais celui-ci a plaidé pour l’adoption conforme, seule solution pour sauver les autres dispositions de sa proposition de loi. « Ces points sont minoritaires, ils ne justifient pas de sacrifier le reste des autres dispositions », a commenté le sénateur Chaize. 

Guillaume Chevrollier, corapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a regretté également « le choix de revenir sur l’exonération. D’autres choix étaient possibles ». Et le sénateur d'évoquer la piste de l'exonération choisie par plusieurs pays européens.

En séance toujours, Laurence Muller-Bronn, sénatrice du Bas-Rhin, apparentée LR, a dénoncé « une contradiction avec les objectifs environnementaux » de la proposition de loi, et le fait que gouvernement comme députés de la majorité aient préféré protéger des intérêts catégoriels. 

« Le recyclage permet aujourd’hui de réduire la fracture numérique dans les territoires » a rappelé Pierre Ouzoulias (CRCE). Très aiguisé, Thomas Dossus (EELV) a préféré évoquer un « braquage parlementaire » dans cet épisode. Cédric O a été tenu de porter la parole gouvernementale non sans cacher son opposition à une telle extension. 

Quatre amendements furent déposés par les écologistes et les communistes. Deux reprenaient l’amendement Chaize, celui datant de la première lecture au Sénat. Un autre proposait de geler la mise en œuvre des barèmes jusqu’au 1er juillet 2022, le temps que le gouvernement mette en œuvre ses promesses de soutien en faveur du reconditionné. Un dernier voulait limiter le montant de la redevance à 1 % du prix du produit. 

Aucun n'a été retenu. Après les dernières étapes formelles, le texte sera donc définitivement adopté, prêt à être publié au Journal officiel. Les conséquences de ce vote ne seront pas neutres. 

sénat adoption chaize

Ubuesque 

La marge des reconditionneurs est en général « d’une quinzaine d’euros par produit », estime David Mignot. « 8,4 euros HT sur 15 euros, c’est plus de la moitié ! ». Pour le cofondateur de YesYes, qui fut directeur général de Sony Mobile France, « on met en péril une filière française, qui est plutôt dans l’économie vertueuse, solidaire, orientée développement environnemental. On nous met un coup sur la tête ! »

« Nous vendons 15 000 téléphones par an. 80 % ont un stockage de plus de 64 Go. Si on multiplie ce volume par 8,4 euros, on devra payer des montants importants aux ayants droit. Nous sommes une startup, un tel projet peut mettre en péril notre développement voire notre existence ! » embraye l’entrepreneur qui ne comprend toujours pas la raison d’être d’une redevance sur les copies, quand les internautes plébiscitent le streaming (YouTube, Spotify, Deezer, Netflix, etc.)

Pour l’intéressé, l’arrivée d’une telle ponction va surtout frapper les petits acteurs français. Back Market, épouvantail dans la tribune cosignée par Goldman, Boon, Zazie ou encore Maître Gims ? Il ne sera pas impacté, puisqu’il n’est qu’une plateforme d’intermédiation. Les vendeurs étrangers, qui constituent la quasi-totalité de ses troupes ? Ils seraient trop souvent épargnés, même si théoriquement Copie France peut les assigner.

« La situation est ubuesque » juge encore David Mignot. « Sur la base d’un marché en pleine croissance, porté par une plateforme qui a soi-disant beaucoup d’argent, on va taxer des acteurs français alors que ce même Back Market qui n’est qu’une plateforme de mise en relation de vendeurs essentiellement étrangers. Elle ne paiera pas cette redevance, car elle n’est pas reconditionneur, et phénomène aggravant, les vendeurs étrangers ne la paieront pas non plus », anticipe le chef d’entreprise.

Résultat : les futurs GAFA de l’occasion « iront reconditionner en Roumanie, ou ailleurs ».

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