Ces derniers mois, Apple a entamé une nouvelle transition de taille. Après le passage de Power PC au x86 d'Intel il y a 15 ans, la société a migré vers ses propres puces ARM, en commençant par un M1 aux bons résultats. L'occasion de revenir sur l'histoire, mouvementée, de macOS.
Comprendre l’histoire du système d'exploitation d'Apple, c’est revenir aux sources de l’informatique personnelle. À la différence de Windows il a toujours été lié intimement aux machines avec lesquelles il était vendu. Apple est avant tout une société vendant du matériel avec des solutions logicielles maison.
Tout commence il y a 45 ans...
Dans les années 1970, on est bien sûr loin de se douter de ce que deviendra ce système, puisque toutes les plateformes logicielles d’Apple en sont aujourd’hui issues, d’une manière ou d’une autre. La structure Apple ne prend elle-même forme qu’en avril 1976. Il faudra attendre le 3 janvier 1977 pour que l’entreprise Apple Computer voit le jour, cofondée par Steve Jobs, Ronald Wayne et Steve Wozniak.
L’Apple I, sorti en 1976, était essentiellement une machine artisanale qui ne s’est écoulée qu’à environ 200 exemplaires. L’Apple II, mis en vente un an plus tard, change la donne : production en série, 4 ko de mémoire vive, interpréteur BASIC intégré et processeur 6502 de MOS Technology.
Le succès est grand, porté notamment par un tarif de lancement doux de 1 300 dollars environ. L’écran de l’Apple II affichait 24 lignes par 40 colonnes de texte, avec des lettres uniquement en majuscules.
Notre dossier sur l'histoire de macOS :
- Histoire de macOS : de Lisa OS au System 7, l'héritage du PARC de Xerox
- Histoire de macOS : de la mort des systèmes Classic à la douloureuse révolution Mac OS X
- Histoire de macOS : du rapide Snow Leopard à Yosemite et son flat design
- Histoire de macOS : d'El Capitan à Catalina, l'influence toujours plus forte d'iOS
- Histoire de macOS : Big Sur, Apple Silicon et après ? (à venir)
La légendaire visite au PARC de Xerox
Deux ans plus tard, en 1979, un évènement connu fait la différence : Steve Jobs et plusieurs employés d’Apple visitent le Palo Alto Research Center (PARC) de Xerox. Le nom est inscrit dans la légende, puisqu’une grande partie des interactions humain-machine modernes proviennent de ce laboratoire. C’est tout particulièrement vrai pour la souris et les interfaces graphiques fondées sur le concept WIMP (Windows, Icons, Menus and Pointing device).
Jobs était loin d’être le premier à assister à une démonstration du fameux Alto chez Xerox. La machine intéressait plus ou moins son public. L’informatique personnelle était encore un concept nouveau, et l’approche de Xerox avait beau décrocher quelques mâchoires et provoquer la fascination, elle n’essaimait pas encore.
Jobs, lui, fut profondément marqué. Particulièrement par l’interface graphique, au point de rater les démonstrations suivantes sur le réseau et la programmation orientée objet (via Smalltalk). Suite à cette visite, un accord est trouvé : Xerox pourra acheter des actions Apple à tarif préférentiel contre l'utilisation de plusieurs technologies.
Crédits : Martin Pittenauer (CC BY-SA 2.5) - Vincent Lextrait (CC BY-SA 4.0)
En 1983, quatre ans plus tard, sort le Lisa (Local Integrated Software Architecture). La machine marque une vraie rupture, reprenant les concepts du PARC. Interface graphique, fenêtres, icônes, notion d’objets, souris : toutes les bases sont là. La configuration matérielle était en outre très loin devant les machines Apple produites jusqu'à lors.
Elle était ainsi la première à utiliser un processeur Motorola 68000 (5 MHz), épaulé par 1 Mo de mémoire vive et deux lecteurs de disquettes 5,25" de 871 ko. Elle est volontiers présentée comme un véritable studio de développement pour une autre machine à venir : le Macintosh. Le Lisa ne s’adresse en effet pas à tout le monde : avec un tarif de presque 10 000 dollars, il se place hors de portée de bien des bourses.
Ainsi, il a beau être remarqué pour sa puissance, son intégration et son système d’exploitation – Lisa OS – il se vend peu. Ce n'est pas un énorme problème pour l’entreprise, dont les ventes d’Apple II ont largement rempli les caisses.
Quand le premier Macintosh apparait en janvier 1984, un an à peine après le Lisa, la donne change. La machine est moins bien pourvue sur le plan matériel. Son processeur est aussi un Motorola 68000 (à 8 MHz), mais il n’embarque que 128 ko de mémoire vive. Moins véloce, le Macintosh (qui sera renommé plus tard Macintosh 128K) est aussi beaucoup moins cher : un quart du prix du Lisa, soit environ 2 500 dollars. Pour ce prix, il n’était cependant livré qu’avec un lecteur de disquettes 3,5" de 400 ko simple face.
Ce qui nous intéresse plus spécifiquement dans ce Macintosh, c’est son OS. Nommé très sobrement « System 0.97 », il est le premier représentant de la série qui changera plusieurs fois de noms jusqu’à devenir l’actuel macOS. D’ailleurs, dès cette époque, il est déjà livré avec le Finder 1.0 pour la manipulation des fichiers.
De System 1.0 à 3.0 et aux prémices du réseau domestique
La première version de System n’était que partiellement basée sur Lisa OS. On retrouve des limites propres aux premiers outils de cette époque, déjà vus dans Windows notamment : une conception monolithique, sans aucun multitâche. On ne pouvait donc exécuter qu’un programme à la fois.
Ce constat de départ va perdurer longtemps et va être l’un des plus gros handicaps du produit par la suite. Le système de fichiers qui accompagnait le premier System était lui aussi très limité. Appelé simplement Macintosh File System (MFS), il était de type « à plat », c’est-à-dire sans hiérarchie. Le Finder permettait un classement par dossiers, mais ces deniers n’étaient que virtuels, donc sans impact sur le système de fichiers.
Depuis un autre programme, cette organisation n’était pas visible. Une limitation que ne possédait plus la FAT16 de Microsoft, sortie elle aussi en 1984 (avec MS-DOS 3.0).
Souvenirs, souvenirs...
En avril 1985 sort la version 2.0. Le système de fichiers n’a pas encore évolué, mais le Finder (dont la version a fait un curieux bond à 4.1) permet la création de dossiers multiples imbriqués.
Cette mouture introduit également la commande Shut Down pour lancer une routine d’extinction de la machine, ainsi qu’un « MiniFinder » pour lancer plus rapidement les programmes. C’est aussi avec System 2.0 qu’arrive le raccourci Cmd + Maj + 3 pour capturer tout l’écran. Il est toujours présent.
Mais cette version est surtout celle d’AppleTalk, un lot de protocoles réseau conçus par l’entreprise afin de faciliter l’interconnexion des équipements. On trouve ici les premiers signes de cette volonté particulière de simplifier les étapes rébarbatives, puisque les équipements compatibles pouvaient se reconnaître.
Les adresses IP étaient alors distribuées dynamiquement. AppleTalk était notamment exploité par la première imprimante laser du constructeur, la LaserWriter, qui embarquait un interpréteur PostScript.
Quelques mois plus tard, en septembre 1985, sort la mise à jour 2.1 introduisant une importante nouveauté : le Hierarchical File System, ou HFS. Cette fois, le système de fichiers possède bien une hiérarchie (d’où le nom), mais uniquement en mémoire vive. Les disquettes de 400 ko et le démarrage du système restaient dans des blocs MFS.
HFS était un accompagnement pour le Hard Disk 20, premier disque dur d’Apple. Externe, il était commercialisé comme un onéreux complément (1 500 dollars) au Macintosh 512K, alors fraichement sorti (et qui embarquait 512 ko de RAM). L’adoption quelque mois plus tard du SCSI sur le Macintosh Plus le rendra vite dépassé.
Le System 3.0 apparait en janvier 1986 avec le nouveau modèle Plus. Cette fois, HFS est généralisé à l’intégralité du système, qui supporte d’ailleurs pour la première fois les disquettes de 800 ko (toujours en 3,5"). Le SCSI est donc de la partie, annonçant une évolution « SC » du Hard Disk 20 qui sortira quelque temps plus tard. Pour la première fois, la poubelle se gonfle pour indiquer que des données y sont stationnées.
C’est aussi avec System 3.0 qu’arrive AppleShare, qui est aux services réseau ce qu’AppleTalk est aux protocoles. Son rôle central est de servir des fichiers, via le protocole AFP (qui sera supporté pendant longtemps). Il évoluera au cours des années suivantes pour remplir d’autres missions, notamment serveur d’impression, web et email.
De System 4.0 à 6.0, premières incursions dans le multitâche
Les versions 4.0 et 4.1 de System vont accompagner respectivement les sorties des Macintosh SE et II. On y trouve plusieurs améliorations notables, comme le support des disques durs internes, des slots d’extensions, des écrans couleurs externes ou encore des processeurs Motorola 68020.
Ces versions prennent également en charge l’ADB (Apple Desktop Bus). Créé par Steve Wozniak, il avait pour mission de connecter les périphériques bas débit tels que les claviers et souris. Il sera utilisé jusqu’en 2005, spécifiquement pour la connexion du clavier et du trackpad dans les PowerBook et iBook. Puis remplacé par l’USB, qui offrait entre autres avantages la réinitialisation de la chaine de périphériques et donc le branchement à chaud.
En octobre 1987, System 5.0 apporte un important lot de nouveautés. La plus significative est MultiFinder, une extension système permettant le fonctionnement de plusieurs programmes en même temps. Le multitâche est alors coopératif. Contrairement au modèle préemptif qui explosera quelques années plus tard, ce n’est pas le système qui donne la main à chaque programme, mais ce dernier qui doit signaler à intervalles réguliers (ou quand il ne fait rien) qu’il laisse la main.
MultiFinder était optionnel et les utilisateurs pouvaient donc rester sur le modèle classique d’un programme à la fois. La perte potentielle d’efficacité était parfois rattrapée par le gain en fiabilité, car le multitâche coopératif provoquait facilement des blocages de la machine : il suffisait qu’une application ne gère pas correctement ses « await » pour que le CPU soit complètement accaparé.
Notez que System 5.0 est le premier à avoir bénéficié d’une sortie séparée. Pour 49 dollars, les clients pouvaient acheter les quatre disquettes du système et l’installer eux-mêmes sur leur machine, à condition qu’elle soit compatible (modèles Macintosh SE et II au moins). Les versions 5.0 et 5.1 sont également les dernières à afficher d’étranges écarts de nomenclature entre le système à proprement parler et le Finder. Pour System 5.0, les numéros de version étaient respectivement 4.2 et 6.0.
System 6.0, apparu en avril 1988, va rester un bon moment puisque sa dernière déclinaison (6.0.8L) ne sortira qu’en mars 1992, tout en profitant dans l’intervalle de nombreuses révisions correctives. System 6.0 apporte plusieurs prises en charge matérielles importantes, notamment le processeur Motorola 68030 et le lecteur de disquettes SuperDrive, nom maison donné à leur dernière évolution : le format 3,5" à 1,44 Mo que l’on connait.
L'OS accompagnera nombre de nouvelles machines qui seront commercialisées pendant ces années : les Macintosh IIx, IIcx, Portable, IIci, IIfx, LC, IIsi et Classic.
System 7.x : nombreuses transitions et support des PowerPC
System 7.0, sorti en mai 1991, est resté célèbre pour le nombre faramineux de transformations embarquées au fil de son cycle de vie. La version originale tranche déjà avec une mouture 6.0 qui jouait la stabilité. L’interface est largement rénovée, un accent particulier est mis sur la stabilité, de nouveaux programmes apparaissent, les processeurs Motorola 68040 sont supportés, de même – pour la première fois – que la mémoire virtuelle.
Parallèlement, le produit devient le tout premier système 32 bits d’Apple, tout du moins en partie. L’entreprise ne pouvait de toute façon plus faire autrement. L'évolution des puces Motorola rendait la mémoire adressable toujours plus importante, et donc le besoin des pointeurs 32 bits. Ce mode (exécuté par défaut) pouvait cependant être désactivé pour revenir à des flags 8 bits, la quasi-totalité des programmes n’ayant pas été mise à jour.
En dépit de ses améliorations sur la mémoire, System 7.0 n’a guère progressé sur le domaine du multitâche. Il n’a fait qu’entériner définitivement le modèle coopératif, l’activant par défaut. La gestion des extensions système a quand même été simplifiée au cours de la vie du produit. La version 7.0 les réunissait ainsi dans un dossier dédié, et la 7.5 introduisait un vrai gestionnaire pour une administration centralisée.
System 7.0 fournissait également pour la première fois les alias, largement inspirés des liens symboliques du monde Unix. Étaient aussi intronisés le langage AppleScript (pour l’automatisation des tâches), le support des polices TrueType, une version 32 bits de QuickDraw (responsable de la gestion des couleurs) ainsi qu’une poubelle dont le contenu était préservé d’un redémarrage à l’autre, et qui pouvait donc être vidée à la demande.
Sa première mise à jour 7.1, qui sort en août 1992, a surtout pour mission de corriger nombre de bugs, déplaçant au passage les polices dans un dossier dédié, ce qui simplifiait leur installation. System 7.1 est en outre la première version à supporter les nouveaux Mac basés sur des processeurs PowerPC. Ces derniers sont issus d’une alliance entre Apple, IBM et Motorola. Apple prépare donc les machines qui seront bientôt connues sous le nom de Power Macintosh, puis Power Mac. Ce support est cependant encore tâtonnant, avec soucis de stabilité à la clé.
Même constat pour System 7.5, qui introduit début 1995 bon nombre de nouvelles fonctionnalités grâce à l’acquisition de sharewares à succès. C’est particulièrement le cas du gestionnaire d’extensions, permettant de les activer/désactiver simplement.
Les problèmes seront à peu près résolus pour System 7.6, qui débarque en janvier 1997. Une version très particulière. À cette époque, Apple autorisait le clonage de ses machines. Préparant l’arrivée des Power Macintosh, l’entreprise souhaitait fournir un OS ayant une plus forte identité. System 7.6 est donc devenu Mac OS 7.6.
Les limites d’un modèle, l’aller-retour de Steve Jobs
En dépit d’une succession d'ordinateurs et de systèmes d’exploitation, les limites d’Apple sont apparues à cette époque. Des barrières essentiellement logicielles. Windows 95 était déjà sorti avec son multitâche préemptif, le PC explosait grâce à une tarification beaucoup plus agressive, et Apple ne parvenait pas à moderniser son système.
En outre, Steve Jobs avait déjà quitté l’entreprise depuis plusieurs années (1985), fondant NeXT. Il avait été mis à l’écart par le conseil d’administration sur fond de vives tensions provoquées par l’érosion continue des ventes. Au début des années 1990, consciente du danger, Apple initie donc un nouveau projet, alors vu comme le renouvellement technologique nécessaire de Mac OS.
Mémoire protégée, multitâche préemptif, utilisation d’un micronoyau, fonctions assurées par des serveurs, rénovation des API : le projet était énorme et devait catapulter les Mac dans l’ère moderne. Une alliance avec IBM, nommée Talligent, est même formée en 1992 pour accélérer le développement.
« Copland » est annoncé officiellement en mars 1995, plusieurs morceaux du système étant même en démonstration à la Worldwide Developers Conference (WWDC) suivante. Apple ira alors jusqu’à distribuer une version bêta. Malheureusement, Copland n’ira pas beaucoup plus loin, en dépit des années de travail accumulées.
Le PDG de l’époque, Gil Amelio, engage durant le même été Ellen Hancock, transfuge de chez National Semiconductor, pour reprendre en main le projet. Son jugement est sans appel : il est irrécupérable, faute d’une véritable supervision. Le code est divisé en îlots gérés par des équipes séparées, ne communiquant que trop peu.
Démarre alors une période un peu folle où de nombreuses pistes sont envisagées. Pour Amelio, il faut se résoudre à aller chercher un nouveau système d’exploitation ailleurs. Les choix les plus sérieusement envisagés sont alors Solaris de Sun, Windows NT de Microsoft puis, plus tard, le fameux BeOS. Une fusion avec Sun a même été discutée.
Pourtant, en décembre 1996, coup de théâtre : Apple annonce le rachat de NeXT et le retour de Steve Jobs dans l’équipe dans un rôle de conseiller. Une décision qui modifie définitivement le destin de l’entreprise.