Pour l'attribution des fréquences au cœur de la 5G – les 3,5 GHz – l'Arcep veut mettre en place un système hybride. Jusqu'à quatre opérateurs pourront acheter à « prix fixe » au moins 40 MHz, puis grimper jusqu'à 100 MHz avec des enchères classiques.
Ça y est ! L'Arcep est enfin dans la dernière ligne droite d'attribution des fréquences dans la bande des 3,5 GHz pour la 5G. Le régulateur a effet mis en ligne une consultation publique pour son « projet de modalités et conditions d’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences ».
Après des consultations à répétition...
Au cours des dernières années, le régulateur a pour rappel multiplié les consultations. Les dernières datent de janvier 2017 (de nouvelles fréquences pour le très haut débit dans les territoires, pour les entreprises, la 5G et l’innovation), de mai 2018 (libération de la bande 26 GHz), de juillet 2018 (utilisation future des bandes 26 GHz et 1,5 GHz dans la perspective des réseaux 5G) et d'octobre 2018 (attribution de nouvelles fréquences pour la 5G).
Un choix assumé par Sébastien Soriano (président de l'Arcep) qui nous expliquait il y a quelques mois qu'il était nécessaire de travailler sur les choix techniques pour libérer les fréquences pour la 5G. Par exemple, il fallait décider si les différents acteurs (anciens et nouveaux) impliqués sur la bande des 3,5 GHz travailleraient de manière synchronisée ou s'il fallait sacrifier des bandes de blocs pour limiter les risques d'interférences (bandes de gardes). C'est le premier choix qui a finalement remporté la mise.
Maintenant que toutes les variables techniques sont figées, il est temps de passer aux modalités d'attribution des fréquences. Pour le moment, 310 MHz répartis en 31 blocs de 10 MHz sont disponibles (de 3 490 à 3 800 MHz). Ils sont utilisables en duplexage temporel (TDD), précise l'Arcep.
Même s'il manque quelques variables d'ajustements, les opérateurs savent (sauf surprise) à quelle sauce ils vont être mangés et comment ils vont se battre.
Une procédure hybride, taillée pour les quatre opérateurs nationaux
Cette fois, le mécanisme d’attribution est mixte et ne repose pas uniquement sur de pures enchères financières : « La procédure comportera une première partie dans le cadre de laquelle jusqu’à quatre opérateurs peuvent obtenir des blocs de fréquences contre des engagements optionnels, avant que l’enchère, en deuxième partie, ne permette aux candidats d’obtenir des fréquences additionnelles ». Dans tous les cas, le régulateur ne veut pas qu'un même acteur dépasse 100 MHz dans la bande actuelle des 3,5 GHz.
Mais avant d'entrer dans le détail de la procédure, il est important de se pencher sur la phase de qualification des candidats. Une fois l'examen de recevabilité passé (dossier déposé dans les temps, rédigé en français et avec l'ensemble des documents demandés), il faut passer par la qualification pour devenir éligible.
Parmi les motifs de refus, « la sauvegarde de l’ordre public, les besoins de la défense nationale ou de la sécurité publique » et « l'incapacité technique ou financière du demandeur à faire face durablement aux obligations résultant des conditions d’exercice de son activité ».
Mais il est aussi précisé que « le candidat doit notamment fournir dans son dossier de candidature l’ensemble des informations permettant de démontrer sa capacité technique à satisfaire aux obligations résultant de l’utilisation des fréquences auxquelles il postule. En particulier, le candidat doit justifier qu’il peut s’appuyer sur un réseau mobile préexistant ».
Cette dernière phrase laisse peu de (voire aucune) place à d'autres que les quatre opérateurs nationaux. Pour rappel, Sébastien Soriano et Pierre-Jean Benghozi (membre du collège de l'Arcep) prônaient un discours d'ouverture en octobre dernier. Ils évoquaient une possible arrivée d'acteurs mutualisateurs « qui candidateraient sur des fréquences pour revendre ensuite de la capacité à tout le monde, y compris aux opérateurs, dans une logique proche de l'itinérance ».
« On peut imaginer un acteur neutre qui ne soit aucun des quatre grands opérateurs qui exploitent le réseau et les fréquences et qui ensuite revend de la capacité à tout le monde. Ce n'est pas impossible. On ouvre totalement cette possibilité », ajoutait le président de l'Arcep. Cette porte semble maintenant bien close.
Première phase d'attribution : au moins 40 MHz à prix fixe
Quoi qu'il en soit, la première étape de la phase d’attribution des fréquences dans les 3,5 GHz « vise à attribuer jusqu’à quatre blocs de [YYYY] MHz, constitués chacun de [yy] blocs de 10 MHz ». Actuellement, le régulateur annonce au moins 40 MHz, soit quatre blocs de 10 MHz.
Plusieurs questions de la consultation portent sur cette valeur : « Quelles sont les performances atteignables par un réseau mobile selon le niveau du plancher qui pourrait être fixé ? » et « quelles seraient les conséquences selon la taille des blocs ([YYYY] MHz) qui pourrait être fixée ? ».
Si « jusqu'à quatre blocs » de 40 MHz sont annoncés, ce n'est pas un hasard : nous avons quatre opérateurs de réseau en France (Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR). Un prix de réserve pour les blocs de « [YYYY] MHz » sera fixé par le gouvernement à la rentrée. Objectif, limiter l'envolée des prix afin que les opérateurs puissent garder une bonne capacité d'investissement dans les réseaux, sans pour autant brader les fréquences puisque le gouvernement compte bien sur cette manne financière pour son budget.
Ce n'est pas tout : pour être éligibles, les candidats devront aussi souscrire à huit engagements... « qui seront transformés en obligations contraignantes ». En clair, l'Arcep propose aux opérateurs d'acheter à un prix fixe et déterminé en avance 40 MHz de fréquences, en échange de quoi ils s'engagent de manière irrévocable à :
- La fourniture d’une offre fixe à partir de son réseau mobile
- La fourniture d’un accès fixe à très haut débit radio ou d’une offre de gros à très haut débit fixe
- La transparence sur les déploiements prévisionnels
- La transparence sur les pannes de réseau
- La fourniture de services aux « verticaux » de l’économie
- Faire droit aux demandes de raccordement à des systèmes DAS
- La mutualisation des petites cellules
- L'accueil des MVNO
« Dans le cas où 1, 2, 3 ou 4 candidats qualifiés auraient souscrit aux huit engagements décrits [...] chacun de ces candidats obtient un bloc de [YYYY] MHz ». Mais l'Arcep prévoit également le cas où les candidats éligibles seraient plus nombreux (reste à voir qui pourrait venir se greffer, comme expliqué) : « Dans le cas où 5 candidats qualifiés ou plus auraient souscrit aux huit engagements [...] les 4 premiers candidats qualifiés du classement établi en application de la procédure de classement ».
Cette dernière n'est rien d'autre qu'une enchère à un tour : les participants écrivent le montant maximum qu'ils sont prêts à payer. Un classement décroissant est alors établi et les quatre premiers remportent la mise, en payant le prix indiqué par le cinquième.
En plus de ces engagements « optionnels », l'attribution des licences est soumise à des obligations :
- « D'ouverture commerciale en 2020 dans la bande 3,4 - 3,8 GHz [...] a minima sur 50% de la surface d’une commune de plus de 150 000 habitants et sur 50% de la surface d’une autre zone d’un seul tenant couvrant au moins 150 000 habitants, situées dans des régions métropolitaines distinctes ». Le débit maximal théorique par utilisateur doit être au moins de 100 Mb/s par bloc de 10 MHz simplex, avec une latence de 5 ms maximum.
- « De déploiement d’un réseau fournissant un accès mobile dans la bande 3,4 - 3,8 GHz », comprenant notamment 3 000 sites au 31 décembre 2021, 8 000 sites fin 2024 et 12 000 sites fin 2025.
- « D'assurer l’augmentation des débits fournis par les réseaux mobiles », notamment avec « 240 Mb/s par secteur
depuis au moins 75% des sites » fin 2022, 85 % fin 2024 et 100 % fin 2030. L'Arcep rappelle que « les obligations associées aux fréquences précédemment attribuées pour la 4G prévoyaient des débits de 60 Mbit/s au niveau de chaque site ». - « De déploiement concomitantes entre les territoires » pour ne pas laisser de côté certaines zones... qui restent encore à déterminer. C'est d'ailleurs une des questions de la consultation : « Quel périmètre cible vous parait approprié ? Zone de déploiement prioritaire ? Zones permettant de cibler l’activité économique dans la zone de déploiement prioritaire ? "Territoires d’industrie" ? Autres ? ».
- « De couvrir les axes routiers », avec deux grands jalons : « en 2025, la couverture des axes de type autoroutier (soit 16 642 km), puis en 2027, la couverture des routes principales (soit 54 913 km). Ces obligations prévoient au moins des débits de 100 Mbit/s au niveau de chaque site ».
- « D'ouverture commerciale d’offres basées sur des services différenciés » avec « une solution permettant de gérer efficacement la coexistence simultanée de plusieurs services différents en performance ou en qualité de service sur un même réseau mobile, y compris le cas échéant sur une même zone géographique, par exemple par les mécanismes de « slicing » permis par un cœur de réseau 5G ».
- « De support d’IPV6 » sur le réseau mobile au plus tard le 31 décembre 2020. Il serait temps vu le retard actuel sur les mobiles.
- « De partage des réseaux dans les zones sous contraintes sur une partie de la bande de fréquences ».
Puis deux enchères pour le reste des blocs et la position
Une fois les blocs de [YYYY] MHz distribués, le reste des fréquences sera mis aux enchères, mais « seuls les candidats qualifiés à l’issue de la phase de qualification peuvent y participer ». Par exemple, si quatre opérateurs récupèrent 40 MHz au premier tour, il restera donc 150 MHz à allouer (310 - 160 MHz) aux enchères.
Là encore, le gouvernement fixera un prix de réserve pour un bloc de 10 MHz. Chaque opérateur qualifié pour le second tour indiquera combien il souhaite en acheter. Si l'ensemble est inférieur au total encore disponible, les enchères s'arrêteront. Dans le cas contraire, le montant par bloc de 10 MHz augmentera (l'Arcep définira les paliers) et le régulateur demandera de nouveau aux participants combien ils souhaitent en acquérir au nouveau tarif. Cette procédure est répétée jusqu'à que les demandes soient inférieures ou égales aux blocs de fréquences disponibles.
Enfin, le régulateur mettra en place des enchères de positionnement afin que les opérateurs puissent se battre à coups d'euros pour le droit de choisir la position dans la bande : début, milieu ou fin. L'Arcep choisira la configuration qui rapportera le plus d'argent.
Des licences pour 15 ans, des contrôles en 2023 et 2028
L'autorisation des licences 5G est valable pendant quinze ans à compter de leur délivrance, avec la possibilité de jouer les prolongations. Le gendarme chausse son képi pour préciser que « deux rendez-vous intermédiaires sont prévus à l’horizon 2023 et à l’horizon 2028 pour faire un point sur la mise en œuvre des obligations et sur les besoins, notamment concernant la couverture et la qualité de service des réseaux mobiles. Sur cette base, une adaptation des obligations pourra être décidée après accord avec le titulaire ».
Cette consultation est ouverte jusqu'au 4 septembre et, comme toujours, l'Arcep publiera « dans un souci de transparence l’intégralité des réponses qui lui auront été transmises, à l’exclusion des éléments d’information couverts par le secret des affaires ».
Ensuite, le régulateur « proposera au gouvernement un texte au cours des semaines suivantes, en vue de conduire l’attribution des fréquences à l’automne ». Il devra être validé pour l'exécutif avant d'être mis en place. La procédure est prévue pour cet automne, pour une attribution des fréquences début 2020.