Alors que le Parlement européen est plongé jusqu’au cou dans la réforme de la directive droit d’auteur, en France, la ministre de la Culture poursuit le chantier Hadopi. Selon les derniers propos de Françoise Nyssen, filtrage et liste noire figurent en bonne place du plan de bataille.
La loi Hadopi fêtera l’année prochaine ses dix ans d’existence. L’institution, mal-née, contestée, malmenée, avait adressé ses premières demandes d’identification en septembre 2010. Depuis, le torrent devenu fleuve a poursuivi sa route, malgré des critiques cinglantes.
Cette année, l'autorité a fêté ses dix millions d'avertissements et obtenu 101 contraventions selon les derniers relevés. Seulement, avec l’évolution des usages, la riposte graduée est considérée aujourd’hui comme dépassée. Alors que les internautes trouvent en quelques clics quantité de films en streaming, la Rue du Texel reste vissée sur un périmètre délimité : le peer-to-peer. Un peu comme ce gendarme surveillant l’autoroute, lorsque les automobilistes lui préfèrent les nationales, pied au plancher.
Face à une telle situation, les alternatives ne sont pas légion : statu quo, enterrement, réforme. Sans surprise, la ministre de la Culture a opté pour ce dernier choix, seul à être entendu par l’industrie culturelle. En réponse à une question parlementaire de Brigitte Kuster (LR, Paris) plaidant pour cette voie, elle a d’abord dressé un état des lieux peu reluisant.
Des actions judiciaires jugées trop longues
Outre une riposte graduée cantonnée au P2P, ignorant streaming et direct download, elle considère que « les actions judiciaires visant à faire fermer ou à bloquer l'accès aux sites pirates impliquent des procédures longues et coûteuses, dont l'efficacité est limitée par la réapparition rapide de sites-miroirs ».
Il faut déjà relativiser ces affirmations. Cette année, deux décisions du tribunal de grande instance de Paris ont considérablement allégé ces démarches. L’une a posé que l’actualisation de la liste des sites à déréférencer dans les moteurs pouvait avoir lieu sans intervention d’un juge. L’autre autorise le référé pour les actions en cessation (blocage et déréférencement). En quelques jours, une décision peut désormais être obtenue en justice, quand il fallait préalablement des mois (notre actualité).
Troisième souci ministériel : « Les initiatives reposant sur le droit souple portent leurs fruits, mais sont, par construction, subordonnées à la volonté de coopération des acteurs concernés » explique-t-elle, sans faire ouvertement référence à l’accord signé entre l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) et Google.
Dans sa besace, la ministre est donc revenue avec plus de détail sur un chantier déjà esquissé par ses soins, objet d’un groupe de travail interministériel.
Le filtrage des contenus, dans la lignée de l’article 13
Au détour de sa réponse, on apprend qu’un groupe de travail interministériel est piloté par le ministère de la Culture pour plancher sur la réforme déjà annoncée. Son objectif ? « L'élaboration d'une stratégie globale de lutte contre la contrefaçon sur Internet ». Le sujet devrait réunir le secrétariat d'État au Numérique, la Culture, mais aussi la Justice, l’idée étant d’une manière ou d’une autre de faire sauter l’intervention judiciaire.
Qu’en est-il exactement ? La ministre fait état de multiples pistes de réflexion. Première d’entre-elles, « la promotion et l'encadrement des technologies de reconnaissance des contenus, qui permettent de comparer automatiquement l'empreinte d'une œuvre avec celle des contenus mis en ligne par les internautes ». Cette petite phrase se résume en un trait : du filtrage.
Il permettra « d'éviter ainsi l'apparition ou la réapparition de contenus contrefaisants sur les plateformes qui hébergent des œuvres ». Éviter la réapparition d’un contenu c’est d’un, scruter l’ensemble des fichiers uploadés, de deux, bloquer ceux qui correspondent à une base de données renseignée par les ayants droit.
L’idée est en pleine phase avec la proposition de directive sur le droit d’auteur, au vote mercredi prochain au Parlement européen, dont l’article 13 prévoit, selon les versions des amendements, un tel déploiement technologique. Une ambition contestée par ses opposants puisque le filtrage s’accommode mal avec la dentelle des exceptions au droit d’auteur, comme le droit de citation et de parodie ou, plus largement, la liberté d’expression et de communication.
« Les mesures proposées devront permettre de répondre aux difficultés que certains titulaires de droits, dont les auteurs autonomes ou indépendants, peuvent rencontrer dans l'accès à ces outils techniques » ajoute Nyssen, qui veut se faire avocate des petits dans une réforme qui profitera avant tout aux grands. Elle évoque ces créateurs affiliés à aucune société de gestion collective, qui pourraient de ce fait se retrouver privés des joies du filtrage, faute d’être représentés par une telle structure.
Lumière sur les listes noires
La ministre annonce également « des mesures plus contraignantes à l'égard des sites de streaming illégaux sont envisagées ». Parmi elles, la constitution d'une « liste noire » par la Hadopi, ainsi que la « possibilité d'agir rapidement contre les sites dits « miroirs », qui font renaître des sites pirates qui ont fait l'objet d'une action en cessation ».
L’adverbe « rapidement » suggère que c’est la haute autorité elle-même qui serait chargée de dresser cette liste infamante, histoire d’automatiser les restrictions d’accès chez les intermédiaires techniques.
Cela tombe bien. L’intéressée a déjà fait savoir publiquement qu’elle se tenait prête à endosser cette mission, pour devenir une sorte de tiers de confiance chargé d’évaluer la proportionnalité des solutions proposées et garantir l’équilibre entre des intérêts divergents (ceux des ayants droit, des hébergeurs, des éditeurs de contenus).
Une riposte graduée plus « efficace », plus « pertinente »
Enfin, pour la réponse graduée précisément, « les réflexions en cours portent sur les moyens d'en améliorer la pertinence et l'efficacité, s'agissant de la pratique du pair-à-pair, à laquelle elle s'applique ».
Sur ce terrain, un rapport de deux conseillers d’État a émis plusieurs pistes comme un coup de rabot sur le nombre d’avertissements avant le passage à la phase judiciaire, voire l’instauration d’une amende infligée par la Hadopi elle-même. Contrairement à l’influent Nicolas Seydoux, qui affirmait en 2017 que les textes étaient déjà prêts, Nyssen n’évoque pas ouvertement ces modifications.
Elle préfère être encore au chevet des petits auteurs indépendants... L’idée, déjà proposée par la Hadopi elle-même, serait de les autoriser à saisir cette institution « pour demander la mise en œuvre de la procédure de réponse graduée à leur égard, en s'appuyant sur un constat d'huissier ».
Au-delà de l’opportunité stratégique et politique de cette réforme, reste une dernière question : quel véhicule législatif choisir ? Fenêtre rêvée, la future loi sur l’audiovisuel devait être présentée en fin d’année. Selon nos informations, le nouvel agenda table plutôt pour un examen en 2019.