Patrick Chaize et Hervé Maurey ne sont pas satisfaits de l'avancée du très haut débit en France. Dans un rapport, ils formulent 17 propositions pour un déploiement rapide du très haut débit, partout en France. Parmi ces recommandations, certaines sont déjà dans les plans du gouvernement, quand d'autres en semblent bien loin.
La commission du développement durable du Sénat est sceptique sur l'avancée du très haut débit. Les sénateurs Patrick Chaize et Hervé Maurey ont présenté leur rapport sur la couverture numérique des territoires, « pour éviter de nouvelles désillusions ». Cette publication suit de quelques jours le colloque de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'
Pour rappel, le gouvernement a mis en place le plan France Très Haut Débit (France THD) qui doit couvrir tous les Français avec des réseaux à très haut débit dans quelques années, dont au moins 50 % en 2017. Pour cela, les opérateurs privés doivent couvrir les zones denses, immédiatement rentables, quand les départements et régions doivent eux monter des réseaux d'initiative publique (RIP) dans les zones moins rentables. Coût total : 20 milliards d'euros, dont au moins 13 milliards dans les zones peu denses, couverts à hauteur de trois milliards d'euros par l'État.
Selon eux, quand l'État promet le très haut débit pour tous en 2022, dont 80 % en fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH), il se berce d'illusions. Pour arriver à ce document de 200 pages, que nous avons obtenu, les rapporteurs ont mené une vingtaine d'auditions en début d'année, avec les principaux acteurs publics, associations, industriels et opérateurs de ce chantier. La question-clé de la commission est l'égalité des territoires, que le plan du gouvernement serait loin de garantir.
Une couverture en fibre optique encore à construire
Selon les sénateurs, le rythme actuel de déploiement de la fibre optique serait très loin de suffire à la couverture de 80 % de la population en 2022. Comme le note chaque trimestre l'ARCEP dans son observatoire, la majorité des abonnements en très haut débit actuels le sont via les réseaux téléphoniques et câbles modernisés (VDSL2 et FTTLA), alors que le FTTH reste bien minoritaire. « Très haut débit et fibre optique de bout en bout sont donc encore loin d’être synonymes, et l’objectif d’une couverture à 80 % en FTTH est très fragile » explique le rapport.
De même, cette couverture en très haut débit se concentre aujourd'hui dans les zones denses, intéressantes commercialement pour les opérateurs. Les zones périurbaines et rurales pourraient (une nouvelle fois) être délaissées par les nouveaux réseaux numériques, craignent les rapporteurs du texte. « Fixé arbitrairement pour 2022, l’objectif de couverture totale du territoire en très haut débit apparaît donc très hypothétique, sinon totalement irréaliste » appuient-ils.
Pour eux, il y a « un manque d'État » dans le choix des technologies pour couvrir le territoire. Chaque projet de réseau public est validé par Bercy, qui le cofinance. Ce ne serait pas suffisant. Ils reprochent au gouvernement de laisser les zones immédiatement rentables aux opérateurs, en confiant celles plus complexes aux collectivités, isolées et au budget déjà contraint. Surtout, le gouvernement ne serait pas assez contraignant avec les opérateurs privés, laissés trop libres dans la couverture des zones denses. Enfin, seuls 34 millions d'euros ont été décaissés par l'État, sur trois milliards promis. Soit bien trop peu. « Les déploiements de nouvelle génération sont engagés mais les objectifs de 2022 ne seront pas atteints » résument-ils.
Sur le mobile, ils regrettent que les zones rurales en soient encore à réclamer une qualité de service correcte quand les villes sont de mieux en mieux couvertes en 4G, voire 4G+. Une inégalité de plus qu'il faudra résorber très rapidement, estiment les sénateurs. « Il y a un décalage entre les 89 dossiers déposés par les collectivités, plus de 10 milliards d’euros d’investissement et 34 millions de décaissés. On voit bien qu’il y a un problème. Il y a des choses qui bougent mais il faut trouver les moyens d’enlever tous les grains de sable qui empêchent d’avancer aussi vite qu’on le voudrait » nous expliquait Patrick Chaize au colloque de l'AVICCA, mardi.
Un nouveau pilotage et un rééquilibrage entre réseaux privés et publics
Le gouvernement a déjà pris des mesures concrètes pour régler certains de ces problèmes, comme le plan sur les zones blanches mobiles, qui doit couvrir plus de 250 centres-bourgs sans couverture d'ici fin 2016. Au colloque de l'AVICCA, mardi, Axelle Lemaire tenait d'ailleurs à rassurer les collectivités locales en multipliant les annonces en faveur des territoires et de mises en garde pour ceux qui ne joueraient pas le jeu, notamment auprès de l'Europe. Pour aller plus loin, les deux rapporteurs formulent 17 propositions pour améliorer la couverture numérique de tout le territoire, en exploitant tous les moyens dont dispose l'État.
Ils proposent d'abord de créer « un établissement public dédié au pilotage du très haut débit », avec plus de moyens que la mission actuelle à Bercy et « une gouvernance partagée entre État, collectivités territoriales et opérateurs ». Cela notamment pour éviter l'opacité actuelle du ministère de l'Économie sur certains dossiers, comme le blocage du plan France THD en Europe, qui inquiète collectivités et industriels.
Ils demandent également que les engagements des opérateurs privés soient contraignants. Jusqu'ici, le gouvernement a négocié avec les opérateurs afin qu'ils s'engagent sur des calendriers précis de déploiement en zones denses d'ici la fin de l'année. S'ils tiennent leurs promesses, ils pourraient bénéficier d'un surarmortissement de leurs investissements. Une carotte à laquelle les sénateurs préfèreraient un bâton. Il faudrait des « sanctions financières prises par le régulateur en cas d’inexécution ». Sénateurs et gouvernement se rejoignent sur un dernier point : si un opérateur privé ne respecte pas ses engagements, la collectivité pourra prendre la main et déployer son propre réseau.
Dans l'autre sens, ils demandent à soutenir les collectivités qui déploient un réseau. Un des problèmes actuels est que les réseaux déployés attirent peu les clients, car les grands opérateurs en sont généralement absents. C'est même un levier d'Orange dans sa lutte contre les réseaux publics en fibre. En dehors de soutiens financiers, les rapporteurs réclament de pouvoir certifier techniquement les réseaux publics. Les fournisseurs d'accès nationaux seraient ensuite obligés d'y proposer leurs offres.
Le gouvernement a, par contre, déjà répondu à une demande : les réseaux publics, souvent départementaux, pourront être mutualisés plus facilement. Le but est par exemple d'obtenir des réseaux régionaux, plus cohérents, plus simples à gérer et plus attirants pour les opérateurs.
Renforcer l'objectif fibre et instaurer un droit au haut débit
Selon le rapport, le gouvernement doit réaffirmer l'objectif de la fibre jusqu'à l'abonné, face à la montée en débit sur le réseau téléphonique (VDSL2), plus immédiat mais insuffisant pour les prochaines décennies. Cette montée en débit doit aussi être « sécurisée », notamment face à l'Union européenne, plaident les deux parlementaires. Pour rappel, la validation juridique du plan France THD est bloquée en Europe à cause de conditions trop favorables à Orange sur la modernisation de son réseau, comme nous le révélions il y a quelques semaines.
Il faut aussi mieux réguler l'offre de montée en débit de l'opérateur historique, estiment-ils. Dans l'autre sens, les collectivités doivent avoir un meilleur accès aux infrastructures pour déployer leurs réseaux. Le raccordement des immeubles doit lui aussi être simplifié. Sur ce sujet, Axelle Lemaire s'est engagée à permettre aux opérateurs d'installer la fibre dans un bâtiment dès lors qu'un habitant en fait la demande.
Enfin, il faut encourager la transition du vieux réseau cuivre vers celui en fibre, en expérimentant l'extinction de cet ancien réseau par exemple. Des mesures écrites (comme des calendriers d'extinction du cuivre au niveau d'un département) devraient aussi être ajoutées, suggère le rapport.
En attendant, pour les zones qui n'ont qu'un accès limité à l'ADSL, les sénateurs proposent de « définir un droit au haut débit de qualité pour assurer un accès supérieur à 3 Mb/s à l’ensemble de la population d’ici 2017 ». Cela inclut des incitations à déployer des réseaux hertziens, par exemple en ouvrant de nouvelles capacités pour le satellite (aujourd'hui saturé sur une large part de la France) et permettant l'usage de la 4G pour l'Internet fixe... Ce qui est déjà largement dans les plans de Bercy. Ils demandent également le raccordement rapide des sites stratégiques, avec un meilleur subventionnement.
« Viser une couverture intégrale de la population en 4G en 2022 »
Dernier sujet d'importance : la couverture mobile, qui est devenue une obsession des parlementaires et des collectivités, comme en témoigne la dernière audition de l'ARCEP et les discussions au colloque de l'AVICCA, cette semaine. L'objectif des deux sénateurs est simple : « assurer réellement la couverture mobile des territoires ».
Pour eux, il faut modifier les mesures des réseaux mobiles, pour mieux coller à la réalité du terrain, bien moins rose que celle des cartes de couverture. Le gouvernement et l'ARCEP se sont déjà engagés sur cette voie et, à défaut de vraiment améliorer les réseaux, ils comptent mettre en open data des cartes très précises de la couverture mobile, pour sortir du diptyque « couvert » ou « non couvert ».
Il faut aussi « viser une couverture intégrale de la population en 4G en 2022 » selon le rapport, pour au moins amener le très haut débit de cette manière dans les territoires isolés. Un objectif ambitieux qui mimique celui du gouvernement sur le fixe, pour lequel les sénateurs sont sceptiques. Il faudrait d'ailleurs envisager les réseaux fixes et mobiles comme un ensemble cohérent, plutôt que comme deux réseaux séparés. Ce pour quoi plaide déjà le président de l'ARCEP, Sébastien Soriano, notamment dans un entretien qu'il nous a accordé la semaine dernière.
Enfin, il faut sécuriser les promesses du gouvernement sur la couverture, via une série de mesures complètes : « identification exhaustive des sites, clef de répartition des aides aux collectivités, obligations précises des opérateurs sur les infrastructures mises à disposition, calendrier local de déploiement, contrôles et sanctions par le régulateur, association des élus locaux au suivi ». Autant de chantiers à ouvrir rapidement, alors que celui du très haut débit fixe reste, encore aujourd'hui, à sécuriser.