Big Brother Bercy : le gouvernement justifie la future collecte de masse

Big Brother Bercy : le gouvernement justifie la future collecte de masse

Bercy patron

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Marc Rees

Publié dans

Droit

16/10/2019 7 minutes
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Big Brother Bercy : le gouvernement justifie la future collecte de masse

Le projet de loi de finances permet, à titre expérimental, aux services fiscaux et aux douanes de collecter les informations postées sur les réseaux sociaux et les plateformes de vente. Objectif ? Lutter contre la fraude. Le gouvernement s’explique sur cette collecte de masse dans les documents annexés au « PLF ».

Comme révélé dans nos colonnes fin septembre, l’article 57 du projet de loi de finances va autoriser les services de Bercy à chaluter les données accessibles sur Facebook, LeBonCoin, Twitter, Instagram, eBay, et tous les autres sites similaires aux fins de lutte contre la fraude.

Une collecte de masse suivie par un traitement ciblé. Sont d’abord visées toutes les plateformes assurant « la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service » (article L111-7 2° du Code de la consommation).

Cette mesure avait été annoncée l’an passé. Dans le PLF pour 2020, cette collecte sera désormais encadrée par la loi et testée sur trois ans.

Un océan de données, un coût humain jugé disproportionné

Ce document annexé au projet de loi de finances pour 2020 est précieux puisqu'il y est rappelé que la direction générale des finances publiques développe depuis 2013 un traitement automatisé dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ». Du « datamining » (ou exploration de données) portant sur l’ensemble des informations provenant du fisc et des autres administrations. La direction générale des douanes et des droits indirects développe un système similaire depuis 2016.

« Dans les deux cas, ces traitements de données sont actuellement limités à l’exploitation de données déclarées à l’administration ou publiées par des acteurs institutionnels », détaille le document. « Ainsi, ni la DGFiP, ni la DGDDI ne mettent en œuvre de traitements automatisés sur des données rendues publiques par les utilisateurs ».

« Les plateformes permettent à des contribuables de proposer la vente de biens ou services sans faire connaître leur activité auprès des administrations ou en minorant leur déclaration de revenu ou de résultat. De même, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour promouvoir une activité lucrative non déclarée » expliquent encore ces annexes. « Or, l’administration est aujourd’hui largement démunie pour identifier ces fraudeurs, l'exploitation de ces informations ne pouvant être réalisée manuellement qu’à un coût humain disproportionné ».

Défaut de déclaration, fraude, commerce illicite…

La cible est la recherche d’infractions diverses au Code général des impôts ou prévues dans le Code des douanes : défaut de déclaration après réception d’une mise en demeure, activités occultes, inexactitudes ou omissions, fabrication, détention, vente ou transport illicites de tabac, infractions sur les alcools, contrebande, commerce de stupéfiants...

Les termes de l’article 57 sont toutefois tellement vastes qu'en amont, Bercy aura théoriquement le droit de faire une copie servile de l’ensemble des contenus accessibles publiquement sur les réseaux sociaux et les plateformes de vente.

Et l’administration ne voit dans cette collecte d’ampleur que des avantages. D’un côté, aucune obligation déclarative nouvelle, « ni pour les contribuables ni pour les opérateurs économiques ». De l’autre, une administration en capacité de détecter plus aisément les « comportements frauduleux ».

Le document cite plusieurs exemples : « les activités occultes ou illicites, les échanges de marchandises frappées de prohibitions (par exemple, les contrefaçons) ou encore le commerce du tabac sur internet pourraient être mieux ciblés en identifiant les comptes ouverts sur les réseaux sociaux ou les plateformes se prêtant à ce type d’activités ». Autres cas : des « activités exercées sous couvert d'une société dissoute » ou encore « d'éventuelles fausses domiciliations à l'étranger ».

Les informations aspirées par Bercy et les douanes

À cette fin, les services pourront collecter l’ensemble des informations (textes, dates, photos, vidéos). Seule la reconnaissance faciale sera interdite, non les autres traitements.

Des posts géolocalisés traduisant ainsi une présence en France plus de 6 mois par an permettront ensuite de territorialiser en France un contribuable qui ne s’y est pas rattaché. Les données collectées ne seront toutefois que des « indices », nous avait précisé la DGFiP l’an passé. En clair, elles ne permettraient pas de renverser la charge de la preuve sur les épaules du contribuable, mais de concentrer les attentions pour les futurs contrôles fiscaux. 

Les documents annexés détaillent justement le mode opératoire en aval de la collecte de masse. Les comptes qui correspondront à « des typologies de fraudes recherchées prioritairement » sortiront du lot pour être ensuite ciblés. « Ce travail de ciblage sera complété par des travaux d'identification des personnes titulaires de ces comptes et de corroboration des informations collectées réalisés par des agents des administrations fiscale et douanière, préalablement à l’engagement de toute procédure de contrôle. »

Les services disposent d’un droit de communication qui pourra donc être dirigé vers les personnes agissant par exemple sous pseudonyme, et ce afin de connaître leur véritable identité. 

Flou sur les coûts et le gain espéré

Le projet de loi est vague quand viennent les questions financières : « Les gains pour les finances publiques permis par la mise en œuvre de ce traitement de données expérimental (détection d'entreprises occultes, mise à jour de dissimulations de recettes) sont potentiellement importants, mais ne peuvent être chiffrés à ce jour ».

En clair, le gouvernement ne sait pas combien ce mécanisme va lui rapporter.

Sur les coûts, « la mise en œuvre du dispositif de collecte et de traitement des données librement accessibles des utilisateurs des opérateurs de plateformes sera réalisé, pour la DGFIP, par l'équipe chargé du projet CFVR ». Son coût est estimé à moins de 200 000 euros « pour les premières itérations d'analyse ». Rien n’est dit pour les suivantes.

Du côté des douanes, on sait seulement que l’expérimentation « s’inscrira dans les travaux en cours de développement des techniques de sciences de la donnée déjà financés par le programme 302 », un programme qui, dans les lois de finances, est relatif à la « facilitation et [la] sécurisation des échanges ».

Les critiques de la CNIL

La CNIL a été très critique, déjà sur la forme puisqu’elle a été saisie d’urgence fin août pour rendre un avis le 12 septembre. Ce mécanisme renverse en outre les méthodes de travail, expose-t-elle. Jusqu’à présent, les collectes d’informations personnelles étaient liées à l’existence de suspicions. Demain, ces administrations collecteront tout et un traitement algorithmique permettra de mettre en lumière certains cas avant de possibles contrôles. 

L’autorité craint notamment des atteintes à la liberté d’expression puisque des personnes se sachant sous cette surveillance vont sans doute modifier leur façon de s’exprimer et de partager des informations.

Le gouvernement retient en outre de cet avis que « si les renseignements obtenus sur les plateformes en ligne seront essentiellement des données relatives à la vente de biens ou services, la collecte automatisée de données sur les réseaux sociaux pourra, de façon incidente, inclure des données sensibles liées à la vie privée des personnes physiques tel que l’âge, le lieu de naissance, des données d'identification, ainsi que des commentaires intégrant éventuellement des opinions ».

Relevons pour notre part que l’article 40 du Code de procédure pénale oblige les fonctionnaires à dénoncer au procureur de la République tous les crimes et délits rencontrés à l'occasion de l'exercice de leur profession. Même lorsque ces infractions ne concernent ni le fisc ni les douanes.

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Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Un océan de données, un coût humain jugé disproportionné

Défaut de déclaration, fraude, commerce illicite…

Les informations aspirées par Bercy et les douanes

Flou sur les coûts et le gain espéré

Les critiques de la CNIL

Commentaires (23)


La France , pays des Droits de l’Homme. <img data-src=" />


Encore une belle boite de pandore hors de contrôle


Le sous-titre <img data-src=" />


Si Bercy ne gagne pas assez, ils sont en droit de revendre les données à des organismes de sondages ou de publicité ? <img data-src=" />


2089 : déclaration universelle des Datas de l’Homme. <img data-src=" />


Toujours intéressant de voir comment Bercy cherche à récupérer par mille moyens que ce soit des clopinettes sur des marchés ridicules …



… Mais laisse de côté l’évasion fiscale, pourtant les lois sont là mais pas le peu de moyen nécessaire.


Quelle idée !!! Voyons…. pas de ça chez nous… dans notre belle démocrature… et après, il y en a qui vont penser que Bercy va demander l’utilisation la création des backdoors présent dans facebook et autres….&nbsp;

&nbsp;<img data-src=" />




De même, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour promouvoir une activité lucrative non déclarée&nbsp;» expliquent encore ces annexes.





Je leur conseille de faire le tour des boulangeries de France et de Navarre, ils y trouveront à coup sûr des petites annonces de garde d’enfants, petits travaux en tous genres, aide aux devoirs,… bref plein d’activités qui passent aussi sous leurs radars <img data-src=" />



Et qu’ils en profitent pour faire fermer ces boulangeries, qui sont les plateformes complices de ces délits.


Pas mal la “démocrature” ;-)



En passant, si FB, LBC et autres sources du datalake que Bercy envisage de remplir… peuvent en être, c’est “tout simplement” par APIsation de la donnée donc y a pas de backdoor. Le service permet de partager la data.

Si il y avait backdoor ce serait illégal


Je voudrais comprendre comment le Trésor public compte rapprocher les données collectées avec le numéro fiscal de chaque contribuable.



Est-ce pour regrouper des données de faible pertinence concernant le même contribuable ?



Est-ce un rapprochement systématique ? Un traitement de données généralisé ou uniquement des données spécifiques retenues pour leur pertinence (en “oubliant” toutes les autres) ?


En fait, c’est un comme un droit de communication massive, un traitement généralisé de la donnée personnelle.



C’est beau. Dans 10 ans, on instaure Alicem sur toutes les plateformes et la communication avec Dieu ou Big Brother sera très bonne. De toute façon, je n’ai rien à cacher. Tout ça est un gag.








dylem29 a écrit :



La France , pays des Droits de l’Homme. <img data-src=" />





Non, comme dit Badinter, on est pas le pays des droits de l’homme, mais celui où on en parle le plus. ^^



C’est une question de langage….




  • si c’est “légal”, on appelle ça une API

  • si c’est “illégal”, on appelle çà un backdoor….

    <img data-src=" />


Ceux qui ont connu (ou connaissent, j’étais pas né) le projet SAFARI, mesure que l’on vient d’ouvrir la boite de pandore.



Si j’étais les représentants de la CNIL, sachant que cette commission a été créée en réaction à ce projet et contre lui, je remettrais symboliquement ma démission.








Shadowman_2k3 a écrit :



Toujours intéressant de voir comment Bercy cherche à récupérer par mille moyens que ce soit des clopinettes sur des marchés ridicules …



… Mais laisse de côté l’évasion fiscale, pourtant les lois sont là mais pas le peu de moyen nécessaire.





+1000



Entre l’évasion fiscale, les niches fiscales, les aides aux entreprises sans effet économique positif sur l’économie du pays, il y a de quoi rendre le budget positif pour plusieurs années d’affilée, de quoi répondre aux nombres réclamations de la justice, la santé et l’enseignement et de quoi réduire la dette publique…



&nbsp;En clair, si nous sommes dans la situation désastreuse actuelle, c’est que nous n’allons pas chercher l’argent là où il est, ne faisons pas les réductions de financement qu’il faut…

Enfin, plus précisément, c’est que notre président et son gouvernement ne veulent pas récupérer ces sommes comme il le faudrait.



Quand l’idéologie domine, la logique la plus simple est battue en brèche et on en vient à des situations totalement irrationnelles comme celle d’aujourd’hui.



&nbsp;



Alors les millions disparus de Macron? Bercy va les retrouver dans ses costards ou au Luxembourg? <img data-src=" />




js2082 a écrit :



Quand l’idéologie domine, la logique la plus simple est battue en brèche et on en vient à des situations totalement irrationnelles comme celle d’aujourd’hui.





La lecture de cet news m’a donné la sensation que le gouvernement - ou, plus exactement, Bercy - n’a pas du tout confiance dans les citoyens.



J’ai l’impression de voir les sbires du prince jean fouiller les maisons des villageois pour voir si ces derniers ne cacheraient pas leurs sous. Ils ne soucient bien peu de l’aspect pédagogique et de l’aspect sociétal (comme il a été dit, la fraude fiscale des entreprises et des élites n’est que peu dénoncée et médiatisée - ptet aussi car ce sont les même qui détiennent les journaux).



Il y a déjà les déclaration - pas toujours simple , et les contrôles humains “aléatoires”.

Voiloir faire dans l’espionnage de masse c’est aussi une révolution idéologique, qui considère tout contribuable comme potentiellement fraudeur. Et les personnes qui seront chargés de mettre ça en place seront dans une position morale (et personnelle si ça se sait) très compliquée, presque “traitre” , surtout après les gilets jaunes qui dénonçent entre autre le focus sur les quidam et le laxisme envers les élites.



Pour moi ça s’appelle monter les gens les un contre les autres, et c’est jamais positif dans une communauté.

&nbsp;


Mettons fin à cette pratique et faisons confiance au civisme&nbsp; fiscal français.


Bercy aurait du sous traiter ça directement via FB, leboncoins, ebay, …. comme ça personne n’aurait rien dit et ça aurait été plus rapide vu qu’elles le font déjà les traitement :)


Moi je dis : “dictocratie”


Ils ont penser à la quantité de kéké qui prennent des photos devant des voitures de luxe de locations ou dans la rue, avec de sacs gucci acheter à Saint-Ouen et autres… Comment ils vont trier ça eux.


Je pense que tu devrais envoyer un message à Bercy pour leur dire de faire attention à ce point. ils te remercieront sûrement.


Merci, Ô, génies des interwebz <img data-src=" />



(cette planche peut être sortie pour tout…)