Un mois après lui avoir posé les questions et publié l'article d'origine, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche nous a répondu. L'article a été mis à jour en conséquence.
Le ministère de l'Enseignement supérieur a officiellement communiqué sur l'ouverture des plateformes de visioconférence et de classes virtuelles mises en place suite à la crise du Covid-19. Ces solutions répondent à une mise en garde faite par la CNIL en 2021. Mais ces outils seront-ils réellement utilisés alors que Zoom, Teams, Google et Twitch sont largement diffusés dans les universités ?
Deux ans après le lancement du projet, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche annonce officiellement l'ouverture de sa plateforme de visioconférence et de classes virtuelles.
Enfin, « ses plateformes » devrions-nous dire, puisque, même si la Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) a communiqué sur le terme « plateforme » qui suppose une centralisation, ce sont bien plusieurs outils de visioconférence mis à disposition du personnel de l'Enseignement supérieur, avec des utilisations différentes pour chacun.
En effet, Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, a indiqué début avril aux présidents d'universités l'ouverture « d'un service national de classes virtuelles et de diffusion de contenus pédagogiques », explique Acteurs Publics.
Ambitieuse réponse aux inquiétudes de la CNIL
En 2021, la CNIL avait appelé « à des évolutions dans l’utilisation des outils collaboratifs étatsuniens pour l’enseignement supérieur et la recherche » suite à une saisie par la Conférence des présidents d’université et la Conférence des grandes écoles sur l’utilisation des « suites collaboratives pour l’éducation ». Cette demande s'inscrivait dans le prolongement de l'arrêt Schrems II et l'invalidation du Privacy Shield par la Cour de justice de l'Union européenne.
La CNIL constatait, à ce moment-là : « le recours à ces solutions met en lumière des problématiques de plus en plus prégnantes relatives au contrôle des flux de données au niveau international, à l’accès aux données par les autorités de pays tiers, mais aussi à l’autonomie et la souveraineté numérique de l’Union européenne ». L'Autorité proposait d'accompagner « les organismes concernés pour identifier les alternatives possibles ».
Le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche avait réagi la même année en donnant une enveloppe de 4,2 millions d'euros sur deux ans au groupement d’intérêt public (GIP) France Université Numérique (FUN), expliquions-nous l'année dernière.
Mais depuis, le projet a été remanié. Si le GIP FUN reste chargé de gérer l'outil de webinaire de l'enseignement supérieur français, à l'automne dernier, le ministère, prenant exemple sur celui de l'Éducation nationale, a décidé de passer finalement par un prestataire privé, Arawa, pour gérer le Big Blue Button de ses classes virtuelles.
Contacté pour plus de précisions sur le contrat passé avec Arawa concernant son montant et sa période, le ministère nous a répondu le 29 juin que « les moyens déployés seront adaptés aux besoins et la nature de la relation commerciale avec les prestataires est confidentielle ».
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Le projet ESUP-POD, un système de mise à disposition de vidéos très utilisé dans l'Enseignement supérieur et la recherche, créé à l'Université de Lille puis piloté par l'association d'universités ESUP, fait aussi partie des solutions soutenues officiellement par le ministère, présenté comme un « YouTube universitaire ».
Mais retard face aux pratiques déjà en place
Si ce genre de comparaisons (« YouTube universitaire », « Zoom de l’enseignement supérieur français », « Twitch de l'enseignement supérieur français » ...) avec les outils de diffusion de vidéo des leaders américains du secteur montre des ambitions très élevées, il est difficile de prévoir si les universitaires français (enseignants, bibliothécaires, ingénieurs, techniciens et étudiants réunis) vont se les approprier alors qu'ils ont passé la crise du Covid-19 et les années suivantes à s'adapter aux outils proposés par les entreprises américaines.
C'est ce que redoute Cédric Foll, directeur de l’infrastructure et du support à l’université de Lille, très impliqué sur ces questions et interrogé par nos soins : « c’est un système souverain avec un bon niveau de service. Néanmoins, les outils propriétaires américains (Zoom / Teams) ont un niveau de service supérieur et je pense que ces outils auront du mal à s'imposer si les utilisateurs ne sont pas contraints ».
La contrainte, le ministère ne semble pas prêt, pour l'instant, à la brandir puisqu'il a indiqué que l'utilisation de ces services ne serait pas « obligatoire ».
Il nous a répondu le 29 juin que « sans forcer les établissements dans leurs choix, l'objectif est d'offrir aux établissements une alternative technologique utilisable par tous les établissements de l’enseignement supérieur français qui leur permet de respecter les directives de la CNIL. »
Si des solutions sont maintenant disponibles, il n'est donc pas sûr que, dans leurs pratiques, les institutions soient en règle avec le cadre juridique européen depuis l'invalidation du Privacy Shield, tant que leurs personnels n'adoptent pas, dans leurs usages, une solution compatible. D'autant que certaines DSI universitaires, faute de moyens, ont déjà ouvert leurs portes aux GAFAM. Difficile désormais de les refermer alors que tout le monde a pris ses habitudes.