Vidéosurveillance : ce que les préfectures contrôlaient (ou pas)

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Jean-Marc Manach

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Droit

09/05/2023 11 minutes
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Vidéosurveillance : ce que les préfectures contrôlaient (ou pas)

Non content d'avoir modifié, par deux fois, les lois censées encadrer, et contrôler, la vidéosurveillance (parce que les préfectures et le ministère de l'Intérieur ne les respectaient pas), le gouvernement a aussi cessé de transmettre à la CNIL ses rapports relatifs aux commissions départementales de vidéoprotection depuis... 2014.

Adopté en 2012, l'article L251-7 du code de la sécurité intérieure prévoyait que « le Gouvernement transmet chaque année à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et à la Commission nationale de la vidéoprotection un rapport faisant état de l'activité des commissions départementales de vidéoprotection et des conditions d'application du présent titre ».

L'article a depuis été modifié, depuis la suppression, en 2018, de la Commission nationale de la vidéoprotection, dont le Gouvernement avait « justifié sa disparition en arguant de son caractère superfétatoire » (voir notre article).

Rebondissant sur le projet de loi visant à autoriser l'expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique, notre confrère Pierre Januel avait demandé les derniers rapports transmis à la CNIL, pour découvrir qu'elle n'en avait plus reçu depuis... 2014.

Les deux rapports que la CNIL lui a transmis, datés de 2013 et 2014, révèlent en outre de très nombreux dysfonctionnements et irrégularités, mais également un certain nombre de problèmes qui éclairent d'un nouveau jour les coulisses des commissions préfectorales censées encadrer, et contrôler, les caméras.  

Des caméras à visées électoralistes

Le rapport de 2013 expliquait que le nombre d'autorisations accordées était « passé de 28 041 en 2012 à 27 605 cette année, en légère baisse de 2 % », dont -17 % pour ce qui est des systèmes destinés à visionner la voie publique.

Il relevait également que c'était « la première fois depuis 2001 » qu’une baisse était constatée. Le rapport imputait cette diminution au « contexte politique local de l'année 2013 (fin des mandats municipaux des exécutifs locaux, fins des cycles d'investissement, début des campagnes électorales) », qui aurait pu inciter une partie des acteurs locaux à « reporter leurs investissements », laissant entendre que le déploiement de caméras pourrait donc aussi relever de promesses de campagnes électorales.

autorisations vidéosurveillance 2013autorisations vidéosurveillance 2013

Le rapport émettait également l'hypothèse que le taux d’équipement avait « atteint un plafond », faisant entrer la vidéoprotection « dans une nouvelle phase, non plus caractérisée par la forte hausse des équipements mais plutôt par une gestion et un renouvellement de ceux-ci ». 

« Il conviendra d’observer en 2014 si cette baisse est conjoncturelle ou révélatrice d’un retournement structurel », concluait-il.

Une baisse spectaculaire du nombre de caméras autorisées 

Le rapport de 2014 constatait pour sa part une « baisse spectaculaire du nombre de caméras autorisées », quand bien même le nombre de dossiers déposés en préfecture avait augmenté de 3,2 %, et le nombre d'autorisations de 4 % (contre +32 % en 2010, +26 % en 2011, +11 % en 2012 et -2 % en 2013).

autorisations vidéosurveillance 2014autorisations vidéosurveillance 2014

Il relevait en effet que le nombre de caméras avait, lui, chuté de 27 %, « soit 54 619 caméras en moins ». Alors que le nombre de caméras par système était passé de 6,3 à 11,4 en 2013, le rapport 2014 soulignait qu'il passait de 7,3 à 5,2 et ce, « après des années d'augmentation (même en 2013 où le nombre d'autorisations de systèmes de vidéoprotection avait diminué) » : 

« Ainsi, en 2014, deux fois moins de caméras opérant sur voie publique ont été autorisées, tandis que le nombre de caméras autorisées à filmer les lieux ou établissements ouverts au public est en baisse de 28 %. »

Il n'est pas possible d'obtenir le nombre de caméras autorisées

Une chute d'autant plus étonnante que le rapport 2013 soulignait que « sur les six dernières années, la hausse du nombre de caméras autorisées par an croît plus vite que le nombre d'autorisations accordées ».

Le nombre de caméras autorisées à visionner la voie publique était ainsi passé de 12 283 en 2012 à 18 491 en 2013, « soit une hausse de 50 % », dont 10 049 (soit 54 %) pour les seuls départements des Bouches-du-Rhône (13), de l’Hérault (34), des Hauts-de-Seine (92) et de Seine-Saint-Denis (93).

« Dans l'état actuel des statistiques disponibles, il n'est pas possible de produire un chiffre absolument fiable du nombre total de caméras autorisées pour lesquelles il existe une autorisation valide », déplorait cela dit le rapport, du fait des « limites du logiciel utilisé par les préfectures », ou des retards des pétitionnaires dans leurs demandes de renouvellement, notamment.

Confirmant l'hypothèse électoraliste formulée en 2013, le rapport 2014 relevait que « cependant, certaines communes, à la suite des élections, ont demandé à pouvoir implanter davantage de caméras ».

Le rapport de 2013 constatait par ailleurs que « 40 000 autorisations arrivées à échéance n'ont pas été renouvelées », notamment du fait de retards dans les demandes de renouvellement, et de « difficultés statistiques (des renouvellements comptabilisés comme de nouvelles autorisations) ».

« Il est également possible que des systèmes dont l’autorisation est devenue caduque soient toujours en fonctionnement », relevait le rapport, à mesure que « les préfectures consultées confirment l‘existence de régularisations tardives ». Il émettait en outre l'hypothèse que des personnalités publiques aient « démonté leurs systèmes ».

Des refus d'autorisation en hausse de 59 %

Le rapport 2013 constatait par ailleurs 965 refus d'autorisation, « en hausse de 59 % » : « cela correspond à un taux de refus de 3,38 %, qui croît de nouveau après plusieurs années de stagnation autour de 2 % », essentiellement du fait de dossiers incomplets.

Si près de la moitié des départements (45) ne dénombraient « aucun refus », 7 départements totalisaient « 70 % des refus enregistrés en 2013 », la préfecture des Bouches-du-Rhône, dont le taux de refus était de 27 %, représentant à elle seule « près d'un tiers des refus », sans que le rapport n'esquisse d'explications au sujet de ces surreprésentations.

caméras vidéosurveillance 2013 refuscaméras vidéosurveillance 2013 refus

« Cette année encore, les refus sont majoritairement motivés par des questions de forme », précisait le rapport, le pourcentage de dossiers incomplets passant par exemple de 46 à 73 %. Le rapport précisait cela dit que « le plus souvent ces dossiers sont régularisés par la suite et font l'objet d'une autorisation ».

Sur ces 965 refus, 75 (7,8 %) l'avaient été en raison d'une « finalité non conforme à la législation », 60 (6,2 %) pour « atteinte disproportionnée à la liberté individuelle ». Plus marginalement, 18 (1,9 %) avaient été motivés par l' « absence de risque d'agression, de vol ou de terrorisme », et 16 pour « visualisation par une personne non habilitée » ou « information du public insuffisante ».

caméras vidéosurveillance 2013 refus

En 2014, le nombre de refus chutait de 34 %, « représentant 635 dossiers à comparer aux 33 299 dossiers déposés en préfecture, soit 2,2 % », et s'expliquant, là encore, principalement par le caractère incomplet des dossiers (« bien que ces cas soient moins nombreux qu’en 2013, 272 cas contre 701 »).

123 refus (soit 19 %) l'avait été pour « finalité non conforme à la législation », et 77 (12 %) pour « atteinte disproportionnée à la liberté individuelle ».

caméras vidéosurveillance 2014 refuscaméras vidéosurveillance 2014 refus

Le rapport relevait par ailleurs que les préfectures détectaient également des cas de systèmes « dont la finalité est détournée : par exemple, la surveillance du personnel peut être un motif caché de la mise en place de caméras ». 

Il soulignait en outre que « quatre départements (Jura, Vosges, Loire et Indre-et-Loire) concentrent 30 % des refus à eux seuls », sans préciser pourquoi, et sans non plus expliquer ce pourquoi les Bouches-du-Rhône aurait cessé de figurer en tête des départements refusant le déploiement de caméras.

La démarche pédagogique des préfectures...

Ces taux et motifs de refus révélaient par ailleurs, en creux, la politique d'accompagnement des préfectures qui, plutôt que de se contenter de vérifier la conformité des dossiers qui lui étaient présentés, aidaient aussi et surtout les demandeurs à les préparer, comme le saluait le rapport 2013 : 

« Ce taux de refus qui reste malgré tout faible s’explique par la démarche pédagogique des préfectures, permettant au demandeur d’améliorer son dossier et d’éviter un refus. »

Une politique de nouveau saluée dans le rapport 2014, qui soulignait là encore que « les préfectures jouent souvent à cette occasion un rôle de conseil auprès des pétitionnaires » : 

« Le taux de refus doit donc être relativisé. Il pourrait être envisagé de supprimer l’onglet "dossier incomplet", étant donné que certains des dossiers figurant dans ces statistiques ne sont, en fin de compte, pas rejetés. »

... qui explique le peu de contentieux, majoritairement gracieux

« Comme chaque année le contentieux est très faible, révélant là encore, l’approche pédagogique des préfectures », se félicitait le rapport 2013. Les refus d’autorisation n'avaient en effet donné lieu qu'à 35 recours, « dont une très large majorité de recours gracieux (32), en hausse par rapport à 2012 (21 recours gracieux) », consistant à réclamer un simple réexamen du dossier. 

21 de ces 32 recours gracieux (soit 66 %) avaient connu une issue favorable, contre 8 des 21 recours de l'année d'avant (soit 38 %). Le rapport ne dénombrait par ailleurs que 3 recours contentieux, contre seulement 2 en 2012, « chiffre correspondant à la moyenne des dix dernières années ».

caméras vidéosurveillance 2014 recours

Le rapport 2014 relevait là encore que les recours gracieux et contentieux restaient « exceptionnels, ce qui s’explique tant par le faible taux de refus des préfets aux demandes d’installation de systèmes que par la pédagogie des agents des préfectures » : 

« La part des recours ayant abouti à une suite favorable est en légère baisse, représentant 46 % des recours. 37 % des recours ont d’ores et déjà connu une suite défavorable alors que les 17 % restants sont encore en cours d’instruction. Le contentieux reste marginal. »

+317 % de plaintes en trois ans seulement

Le rapport 2013 soulignait en outre que « le contentieux a l’initiative de tiers demeure particulièrement rare », mais également qu'il était « plus fréquent dans le cadre du lieu de travail, dont les autorisations relèvent de la CNIL », et non des commissions départementales.

Ces recours intervenaient essentiellement sur fonds de conflit entre employeurs et salariés, les preuves apportées par le biais de systèmes vidéo étant « régulièrement contestées au motif que l’installation ne serait pas légale ».

Si le nombre de plaintes adressées aux préfets restait « faible au regard du nombre de systèmes de vidéoprotection en fonctionnement », le rapport n'en constatait pas moins « une augmentation très significative depuis 2 ans: de 23 en 2011, le nombre de plaintes est passé à 46 en 2012 (23 plaintes supplémentaires, soit une hausse de 100 %) puis 71 en 2013 (25 plaintes supplémentaires, soit une hausse 54 %) ». 

caméras vidéosurveillance 2013 plaintescaméras vidéosurveillance 2014 plaintes

Une tendance confirmée en 2014, avec 96 plaintes enregistrées, soit +317 % en trois ans seulement, alors que le nombre de plaintes oscillait jusqu'alors aux alentours d'une vingtaine par an. Là encore, le rapport ne fournissait pas d'explications permettant d'appréhender cette explosion.

Le rapport 2013 n'en soulignait pas moins que « la hausse des plaintes liées aux systèmes de vidéoprotection appelle à une vigilance particulière à l’avenir ». Le rapport 2014, qui relevait que « la préfecture de police concentre à elle seule le quart des plaintes », appelait de son côté à « une vigilance renforcée ». 

Or, la CNIL n'ayant plus reçu, depuis, de rapport synthétisant les travaux des commissions départementales, il nous est impossible de savoir ce qu'il en est depuis en matière de plaintes, non plus qu'au sujet de la « vigilance particulière [puis] renforcée » dont il était alors question.

Tout juste apprend-on que ces plaintes se répartissaient en « deux grandes catégories » : celles émanant de salariés dénonçant la surveillance dont ils feraient l’objet de la part de leurs employeurs (plaintes qui relevaient donc de la CNIL, et non des commissions départementales), d'une part.

D'autre part, et « essentiellement », celles émanant de particuliers estimant « être filmés par d‘autres particuliers (caméra dont l’angle de vue déborde sur les propriétés attenantes et/ou sur la voie publique) », sur fonds de querelles de voisinage, ou qui estimaient que certaines caméras de voie publique filmaient l’intérieur de leur immeuble d’habitation.

Nous reviendrons, dans un second article, sur les nombreux dysfonctionnements et irrégularités répertoriés dans ces rapports.

Écrit par Jean-Marc Manach

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Des caméras à visées électoralistes

Une baisse spectaculaire du nombre de caméras autorisées 

Il n'est pas possible d'obtenir le nombre de caméras autorisées

Des refus d'autorisation en hausse de 59 %

La démarche pédagogique des préfectures...

... qui explique le peu de contentieux, majoritairement gracieux

+317 % de plaintes en trois ans seulement

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Commentaires (7)


Donc il manque 4 années de rapport. Ca en dit long sur la confiance qu’on peut avoir dans les garde-fous prévus dans les lois liberticides votées ces dernières années.


Si le but de tout présenter en pourcentages et même en “évolution de pourcentages” c’était de faire peur, alors c’est très réussi. J’ai peur. J’ai très peur pour notre démocratie.



Prix spécial du jury pour le “+417 % de plaintes en trois ans seulement”, car le compteur est passé de 23 à 96. C’est du génie.


Merci pour ces articles qui tranchent avec l’opinion des gens avec qui je vis.


Voyons, c’est qu’ils n’ont rien à se reprocher, EUX.


Prochaine étape, imposer la vidéosurveillance algorithmique.



C’est magique : on ne contrôle plus rien, donc les contrôles sont inutiles (la commission est “superfétatoire”, le mot fait plus savant).


Je ne tombe pas sur les mêmes pourcentages d’évolution.
Entre 2011 et 2012, la valeur double (23=>46) soit 100% d’augmentation.
Entre 2012 et 2013, 46=>71 soit +54%.
Et enfin de 2011 à 2014, 23=>96 soit 317%



La formule : (Vfinale - Vinitiale) / Vinitiale * 100


anéfé (si je puis me permettre), c’est corrigé, merci !