Le gouvernement a, par deux fois, modifié la législation parce que les préfectures, et le ministère de l'Intérieur, ne respectaient pas les lois censées encadrer, et contrôler, la vidéosurveillance. Le récent rapport parlementaire appelant à encadrer la reconnaissance faciale réclame à ce titre un renforcement du contrôle des caméras.
L'épais rapport des députés Philippe Gosselin (LR, par ailleurs ex-commissaire de la CNIL, de 2008 à 2022) et Philippe Latombe (qui a, lui, repris le siège de M. Gosselin à la CNIL en août 2022) ne se contente pas d'appeler à légiférer au sujet de la reconnaissance faciale, « pour anticiper les besoins des années à venir » (voire notre actualité).
Il pointe également les lacunes, en matière de contrôle, de la part des préfectures et du ministère de l'Intérieur. Un comble, à mesure que les préfets, seuls hauts fonctionnaires de l'État « dont le rôle et l'existence sont définis par la Constitution », rappelle le ministère de l'Intérieur, ont « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » :
« À ce titre, les préfets sont responsables de la mise en œuvre de l'ensemble des politiques publiques. Ils incarnent ainsi la permanence et la présence de l’État sur tout le territoire et en toutes circonstances, garants de l'intérêt général et des grands principes du service public. »
Et ce, alors que le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, tout en écartant le recours à la reconnaissance faciale, autorise l'expérimentation de la « vidéosurveillance algorithmique » (VSA), en prévision de sa possible généralisation.
- Après la vidéo-surveillance algorithmique, les députés vont vers la reconnaissance faciale
- Les JO 2024 constitueront « un tournant » pour la surveillance algorithmique de l'espace public
Le pilotage de la vidéoprotection apparaît perfectible
« Le pilotage de la vidéoprotection et de l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité apparaît aujourd’hui perfectible », euphémisent les députés dans leur rapport consacré, non pas tant aux deux technologies susmentionnées, mais aux « enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ».
La loi de 1995 ayant légalisé les caméras de vidéosurveillance avait en effet conditionné leur déploiement à une autorisation accordée par des commissions départementales « chargées, d’une part, d’émettre un avis préalable à l’installation des systèmes de vidéoprotection autorisée par le préfet, et d’autre part, d’exercer un contrôle sur le fonctionnement de ces derniers ».
Composées d'un magistrat honoraire, d'un maire, d'un représentant désigné par la ou les chambres de commerce et d’industrie et d'une personnalité qualifiée choisie en raison de sa compétence par l’autorité préfectorale, elles sont chargées de rendre leur avis aux préfets (qui ne sont pas, à l'instar des avis de la CNIL, tenus de les suivre), mais également de recueillir et traiter les saisines portant sur « toute difficulté tenant au fonctionnement d'un système de vidéosurveillance ».
Or, relèvent les députés, « conçues comme des garde-fous destinés à vérifier le respect des exigences légales et règlementaires auxquelles sont assujettis les systèmes de vidéoprotection, les commissions départementales font l’objet de plusieurs critiques » :
« S’il est abusif de les assimiler à des "coquilles vides", vos rapporteurs considèrent néanmoins que le potentiel de ces organes de proximité est aujourd’hui insuffisamment exploité, mettant en relief les nécessaires progrès qui restent à accomplir. »
Un défaut de pilotage reconnu par le ministère de l’Intérieur
« Premièrement », soulignent les rapporteurs, les auditions et déplacements réalisés par leur mission d’information ont « fait état d’un défaut global de reddition des comptes quant à l’activité réelle des commissions départementales », rendant impossible le fait de pouvoir bénéficier d'une « vue d'ensemble cohérente de leur activité » :
« Ces zones d’ombre traduisent un défaut de pilotage que le ministère de l’Intérieur et des outre-mer admet lui-même : l’article 6 du projet de loi relatif aux JOP 2024 abroge ainsi l’article L. 251-7 du CSI [code de la sécurité intérieure, ndlr], qui prévoit la remise à la CNIL d’un rapport annuel portant sur l’activité des commissions départementales. Cette obligation d’information est restée lettre morte depuis 2013, ce qui justifie, selon le Gouvernement, d’en tirer les conséquences dans la loi. »
Plutôt que d'obliger les préfets à respecter la loi, le ministère de l'Intérieur a demandé au Parlement de changer la loi, et casser ce qui était censé servir de thermomètre.
Les rapporteurs, en l'espèce, « tirent des conclusions opposées à celle du Gouvernement », et appellent à « maintenir l’obligation de publication d’un rapport annuel d’activité », de ces commissions départementales, faisant « notamment » état du nombre d’avis rendus en amont de l’installation des caméras, mais également des suites données à leurs avis, ainsi que des « contrôles diligentés sur le fonctionnement de ces systèmes » :
« Il convient plutôt de respecter les prescriptions légales applicables, et non de changer celles-ci sous prétexte qu’elles seraient méconnues en pratique. Ce bilan annuel serait d’autant plus utile qu’il permettrait de faire la lumière sur la réalité du fonctionnement de ces commissions départementales, les éventuelles disparités territoriales qui caractérisent leur action, le respect de leurs avis et la portée des contrôles qu’elles réalisent chaque année. »
De multiples difficultés pointées du doigt dès 2008
« Deuxièmement », poursuivent les rapporteurs, « le rôle exact qu’exercent les commissions départementales soulève plusieurs interrogations », ainsi que de « multiples difficultés », qu'un rapport d’information de la commission des Lois du Sénat, intitulé « La vidéosurveillance : pour un nouvel encadrement juridique », avait déjà pointé du doigt « dès 2008 » :
« La non-permanence de ces commissions, leur petite taille et leur composition en font des organes mal outillés pour développer une expertise technique pointue et pour vérifier la nécessité de chacun des systèmes. Selon la Ligue des droits de l’homme, les membres des commissions départementales se déplaceraient très rarement sur le terrain pour procéder aux vérifications nécessaires. »
Le rapport de 2008 qualifiait ainsi le bilan de leur activité consultative de « mitigé », et celui de leur activité de contrôle d' « assez maigre », à mesure que « 11 % des contrôles opérés en 2007 avaient donné lieu à la constatation d’une infraction, contre 22 % en 2006 ».
Le rapport de 2023 s'étonne, en outre, que « les derniers chiffres disponibles remontent à 2012 : 589 contrôles ont été opérés cette année-là, contre 584 l’année précédente ». La délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS) du ministère de l'Intérieur a cela dit communiqué aux rapporteurs, « à titre illustratif, les volumes d’activité de certaines commissions départementales » :
« Les résultats font apparaître d’étonnantes disparités : par exemple, si la commission départementale de la Dordogne a diligenté 56 investigations en 2022, les commissions départementales du Val d’Oise et de Seine Saint Denis n’en effectuent qu’une dizaine chaque année. »
Une opacité statistique et informationnelle institutionnalisée
Les rapporteurs n'en déplorent pas moins ce qu'ils qualifient d' « opacité statistique et informationnelle [qui] empêche d’établir une analyse claire et précise des divergences susceptibles d’exister entre les commissions départementales, indépendamment de leur volume d’activité. »
La DPSIS reconnait en effet que « les contrôles a posteriori ne font pas l’objet de recensements spécifiques par les préfectures, rendant presque impossible toute remontée statistique exhaustive. »
Les membres de la commission départementale de vidéoprotection des Alpes-Maritimes ont également évoqué « plusieurs problèmes concrets » lors de leur déplacement à Nice, la ville la plus vidéosurveillée. Ils ont en effet découvert des « cas de régularisation a posteriori de l’installation de caméras », et constaté « l’absence de registre mis à jour énumérant les systèmes de vidéoprotection en cours d’utilisation », ce qui « fragilise l’exercice des prérogatives de contrôle de la commission ».
« En outre, les commissions départementales ne sont pas rendues destinataires de l’autorisation ou du refus d’autorisation délivré par le préfet à la suite de l’avis qu’elles ont rendu », relèvent les rapporteurs : « Elles n’ont donc pas les moyens d’évaluer avec acuité le suivi de leurs décisions par les services de l’État. »
Ils recommandent dès lors de « renforcer le rôle des commissions départementales de vidéoprotection en publiant les avis qu’elles prononcent dans le cadre de la procédure d’installation des caméras et en les rendant destinataires de la décision d’autorisation ou de refus prise par le préfet à la suite de leurs avis ».
Une base de données centralisée des caméras
« Troisièmement », les rapporteurs se sont « interrogés sur l’opportunité de ressusciter un organe consultatif national chargé de la vidéoprotection ».
Créée en 2007 afin de « donner son avis au ministre de l'Intérieur sur les évolutions techniques et les principes d'emploi des systèmes concourant à la vidéosurveillance », la Commission nationale de la vidéoprotection avait été « élevée au rang législatif » en 2011, explique les rapporteurs.
Cette année-là, la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2, celle-là même qui avait remplacé le terme « vidéosurveillance » par celui de « vidéoprotection »), lui avait en effet confié pour mission d'émettre des « recommandations destinées au ministre de l'Intérieur en ce qui concerne les caractéristiques techniques, le fonctionnement ou l'emploi des systèmes de vidéoprotection », mais aussi et surtout d'exercer « une mission de conseil et d'évaluation de l'efficacité de la vidéoprotection » :
« La Commission nationale de la vidéoprotection remet chaque année au Parlement un rapport public rendant compte de son activité de conseil et d'évaluation de l'efficacité de la vidéoprotection et comprenant les recommandations destinées au ministre de l'Intérieur en ce qui concerne les caractéristiques techniques, le fonctionnement ou l'emploi des systèmes de vidéoprotection. »
Or, ladite commission, présidée par Alain Bauer, ne s'était plus réunie depuis 2015, avant d'être supprimée en 2018, le Gouvernement ayant « justifié sa disparition en arguant de son caractère superfétatoire ».
Non content de modifier la loi, parce que les commissions départementales et les préfectures ne la respectait pas, le ministère de l'Intérieur a également fait disparaître la commission chargée de l'aider à évaluer l'efficacité des caméras, et donc doublement cassé leur thermomètre.
Si les rapporteurs ne plaident par pour sa résurrection, ils soulignent que « l’absence de registres précis et exhaustifs présentant l’emplacement de toutes les caméras de vidéoprotection déployées sur le territoire national demeure problématique ».
Ils considèrent à ce titre que « le manque d’information quant au nombre et à la localisation des caméras installées dans chaque département pourrait être comblé par la mise en place d’une base de données centralisée » :
« Cette cartographie nationale permettrait de mieux objectiver le déploiement des systèmes de vidéoprotection, ainsi que leur impact sur la lutte contre l’insécurité, au regard des statistiques de délinquance et de criminalité déclinées à l’échelle territoriale. »
Nous reviendrons, prochainement, sur les derniers rapports relatifs à l'activité des commissions départementales de vidéoprotection à avoir été transmis à la CNIL.