Tribune et loi contre les dérives des influenceurs : imbroglio chez les créateurs de contenu

Tribune et loi contre les dérives des influenceurs : imbroglio chez les créateurs de contenu

Toujours lire avant de signer

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Mathilde Saliou

Publié dans

Internet

28/03/2023 7 minutes
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Tribune et loi contre les dérives des influenceurs : imbroglio chez les créateurs de contenu

Le 26 mars, le JDD publiait une tribune signée par 150 influenceurs s'opposant au projet de loi actuellement discuté à l'Assemblée Nationale et censé réguler leur secteur. Deux jours plus tard, des dizaines d'entre eux sont revenus sur leur signature. Retour sur deux jours d'embrouillamini.

Dimanche 26 mars, le Journal du Dimanche (JDD) publiait une tribune signée de 150 influenceurs et créatrices de contenu français. Parmi les signataires, des noms comme Squeezie (17,9 millions d’abonnés sur YouTube), Cyprien (14,4 millions), Natoo (5,16 millions) ou EnjoyPhoenix (3,67 millions, toujours sur YouTube).

Le texte demande aux députés de ne pas « casser le modèle » que différents influenceurs avaient construit à cause de « dérives d’une minorité ». De fait, la tribune faisait référence à la proposition de loi qui est discutée à partir d’aujourd’hui à l’Assemblée nationale et qui vise à lutter « contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ».

Quelques heures après la publication, pourtant, surprise : Squeezie, Lucas Hauchard à la ville, tweete un message dans lequel il annonce rétracter sa signature. Plus précisément, il indique : « J'ai fait l'erreur de donner mon accord pour que mon nom apparaisse dans une tribune très maladroite, que je n'ai même pas lue avant publication ». 

Comme lui, Cyprien, Natoo et une vingtaine d’autres, recensés par le journaliste Vincent Manilève, ont fait retirer leur signature. La tribune est toujours en ligne sur le JDD, mais avec un changement entre 11h38 et 13h10. De « Régulation des influenceurs : 150 créateurs de contenu lancent un appel aux députés », le titre est désormais « Régulation des influenceurs : plus de 100 créateurs de contenu lancent un appel aux députés ». Il est également précisé que « certains noms ont été retirés de la liste initiale des signataires ». 

Le projet de loi

Mais revenons en arrière. Créateurs de contenus et influenceurs sont sous le feu des projecteurs depuis plusieurs mois. En novembre, le député Europe Écologie-Les Verts Aurélien Taché déposait ainsi une proposition de loi visant à « encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet ». En cause, les multiples affaires d’escroqueries et de promotion de produits dangereux qui ont secoué l'actualité du secteur.

En janvier, c’est le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui ouvrait une séance de consultation publique sur les métiers en question, dans le but de les encadrer, de veiller à leur propriété intellectuelle, mais aussi de protéger les consommateurs. 

Pour finir, c’est une proposition transpartisane PS-Renaissance, portée par le député socialiste Arthur Delaporte et le marcheur Stéphane Vojetta, qui est discutée à l’Assemblée du 28 au 30 mars. Parmi les buts du texte : limiter les arnaques et la promotion de produits dangereux sur tous les réseaux avec lesquels travaillent les influenceurs tout en sensibilisant le public aux risques d’escroquerie.

Par ailleurs, le 24 mars, Bruno Le Maire a rendu public son plan d’action contre les dérives de l’influence. Son programme comporte notamment le souhait d’astreindre les quelque 150 000 influenceurs français qui vivent de la promotion aux mêmes règles publicitaires que celles imposées aux médias traditionnels.

C’est dans ce contexte que l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (UMICC), une fédération professionnelle fondée mi-janvier 2023 par les « sept principales agences d’influence marketing », a contacté une série de créateurs et créatrices de contenus pour co-signer la tribune parue dans le JDD. 

Une rétractation en désordre

Parmi les éléments reprochés a posteriori au texte, Squeezie souligne le fait qu’elle « semble juste essayer de limiter la casse sur les influenceurs malintentionnés » et l’absence de distinction faite parmi les signataires, donc certaines sont « à l’origine même du problème (des gens qui ont mis en avant du casino, de la chirurgie esthétique, des escroqueries, etc…).

Le plus gros youtubeur français déclare même ne pas être « impacté par ces lois », n’avoir « rien à perdre » avec cette réforme, et se « [réjouir] que ces arnaqueurs soient enfin sanctionnés ».

Pourquoi, dans ce cas, l’avoir signée au départ ? Peut-être par défaut de reconnaissance de la responsabilité qui incombe aux influenceurs lorsqu’ils fédèrent de larges communautés, suggère la streameuse Nat’Ali. De concert avec d’autres créateurs, Squeezie explique s’être vu présenter la tribune « comme un moyen de nous défendre devant des lois trop extrêmes, qui auraient pu pénaliser à tort les honnêtes créateurs de contenu ». Surtout, il admet ne pas l’avoir lue et le regrette publiquement.

Sur France Inter, l’influenceur Seb (5,91 millions d’abonnés sur YouTube) a tenu le même discours.  Après avoir regretté de passer pour un idiot en admettant que c’était sa faute – il aurait fallu, dit-il en substance, lire la tribune pour de bon avant d’accepter de la signer –, il déclare important la volonté de la proposition de loi d’établir une différence entre « créateurs de contenu et influenceurs de Dubaï », ou, comme le disent d’autres, entre influenceurs et « influvoleurs ».

Autre créateur en plein mea culpa : le vulgarisateur scientifique Dr Nozman (4,44 millions d’abonnés). Celui-ci explique s’être entendu décrire le projet de loi comme « hyperrestrictif pour nous les créateurs, qu’un contrôle abusif serait imposé ». Après enquête, il estime finalement que la plupart des éléments proposés sont « nécessaires pour avancer dans la bonne direction ».

Les agences de créateurs inquiètes 

Cette question des explications succinctes fournies aux différents signataires via une boucle WhatsApp semble traduire une stratégie relativement offensive des agences de contenus qui ont voulu publier cette tribune via l’UMICC. Elles ne seraient pas les seules : dans le monde des crypto, où l’influence est importante, mais où les arnaques ont aussi largement cours, on s’inquiète aussi de la proposition de loi dans la mesure où celle-ci restreindra certainement les possibilités de faire la publicité d’investissements à risque.

Le cas de la tribune parue dans le JDD pose toutefois question dans la mesure où des créateurs comme Gotaga, Cyprien ou Henry Tran ont carrément nié avoir signé. Plus précisément, le dernier explique : « on m’a demandé mon accord de principe d’appuyer un texte dans l’éventualité où des sanctions juridiques pénaliseraient sans distinction les arnaques du web et les créateurs de contenu ». S’il l'a donné, c’était « en pensant qu’on m’enverrait un document plus complet (…) à lire et à signer ».

Dans un communiqué – lui aussi diffusé sur Twitter –, l’UMICC déclare que l’objectif du texte était de « raconter ce qu’est le métier de créateur et de soutenir l’initiative de régulation du secteur de l’influence par les pouvoirs publics ». « Nous soutenons cette loi » est-il précisé plus loin, en gras. Aucun commentaire n’est formulé sur la manière de mettre en place cette tribune et l’obtention des signatures.

Selon le JDD, le texte de l'UMICC a été transmis soit aux influenceurs en direct, soit à leurs agences, à la suite de quoi les créateurs avaient quelques heures pour donner leur réponse. L'imbroglio serait donc dû à la rapidité du processus.

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Écrit par Mathilde Saliou

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Introduction

Le projet de loi

Une rétractation en désordre

Les agences de créateurs inquiètes 

Commentaires (5)


Autre aspect de cette loi qui n’est pas évoquée dans cette tribune, mais dans une autre*, visant directement le risque d’atteinte à la liberté d’expression.



* la tribune publiée le 2503 dans le JDD par le YouTuber/chroniqueur Jean Massiet, en parallèle d’un commentaire vidéo de celui-ci.


Moi qui pensait qu’une tribune était co-rédigée par les premiers signataires avant de collecter des signatures supplémentaires. Ça donne l’impression que l’Umicc a rédigé un texte et a simplement appelé différentes personnalités pour y apposer leur nom à la manière du télémarketing qui pose des questions fermées pour obtenir des “oui” facilement.



(reply:2126752:consommateurnumérique)




Pareil. Naïfs que nous sommes… :oops:


Le lobbying dans toute sa splendeur.
Un agenda beaucoup trop court pour permettre une réflexion, voir carrément, des arguments baisés voir carrément un consentement par défaut.
Suivis d’un retournement de veste de l’UMICC qui sentant le vent tourner soutiens bien évidement le projet.



Du grand art.


Procédure accélérée même pour les tribunes.