L’intégrité scientifique et l’éthique à l’épreuve de la pandémie de Covid-19

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L’intégrité scientifique et l’éthique à l’épreuve de la pandémie de Covid-19
Crédits : PeopleImages/iStock

CovETHOS est une étude participative financée par l’Agence nationale de la recherche. Elle étudie « l’impact de la situation exceptionnelle créée par la pandémie de la Covid-19 sur l’intégrité scientifique, l’éthique de la recherche et du soin ». Pour Michel Dubois, sociologue et directeur de recherche au CNRS, « on a trop longtemps considéré que l’intégrité scientifique allait de soi ».

 

L’année dernière, le Comité d’éthique du CNRS (COMETS) proposait une longue analyse – assortie de recommandations – sur les risques et le principe de précaution dans la science. Quelques mois plus tard, le COMETS revenait sur la délicate (et importante) question de la communication scientifique en situation de crise sanitaire, et dénonçait au passage de nombreuses dérives de certains scientifiques et médias. 

Aujourd’hui c’est au tour du GEMASS (Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne) de publier une longue enquête – baptisée  CovETHOS – sur « l’intégrité scientifique et l’éthique de la recherche à l’épreuve de la crise Covid-19 ». Ce rapport fait suite à un questionnaire adressé à un échantillon du personnel du CNRS. 

Le GEMASS précise que « la passation du questionnaire a été réalisée par l’IFOP selon les principes scientifiques et déontologiques de l’enquête par sondage ». 10 758 personnes ont été interrogées, pour un taux de participation de 18,8 %, soit un total de 2 132 réponses. Cette « recherche participative » est financée par l’Agence nationale de la recherche. Quels enseignements peut-on en tirer ? Une certitude : « le contexte de crise sanitaire a exacerbé les enjeux d’intégrité scientifique », explique le sociologue Michel Dubois, co-responsable du projet CovETHOS. 

Responsabilité sociale des scientifiques

La première partie du rapport traite de « la responsabilité sociale des scientifiques » ; plus particulièrement avec une comparaison entre 2007 (avec une étude conduite au CNRS par le politiste Daniel Boy) et 2022. Première différence de taille : le « "désir de rendre service à la société" augmente là où le "désir d’être le meilleur, la compétition avec les autres chercheurs" diminue de façon spectaculaire ». Un constat surement en rapport avec le fait que le « lien science – société » inquiéte de plus en plus les chercheurs. Autre évolution importante sur 15 ans : « les enquêtés expriment une acceptabilité croissante de la contestation des innovations technologiques ».

Concernant les problèmes de nature éthique, morale ou politique, 40 % des sondés indiquent y avoir été « rarement, un peu ou souvent » confrontés. Et lorsque les scientifiques sont confrontés à ce genre de problématiques, ils se rapprochent de plus en plus de leurs collègues afin de prendre des décisions collégiales. Les domaines où les scientifiques se disent le plus préoccupés par ce genre de sujet sont : « l’Institut des sciences biologiques, l’Institut écologie et environnement ou encore l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes ».

L’intégrité scientifique… une question de point de vue ? 

Sur la question de l’intégrité scientifique, le constat est sans appel ou presque : « Deux tiers des répondants considèrent que la crise Covid-19 leur a permis de prendre conscience de l’importance des règles et des valeurs de l’intégrité scientifique ». Ils ne sont pour autant qu’un tiers à estimer que leurs connaissances en la matière sont suffisantes. Néanmoins, 80 % considèrent que « les règles et valeurs de l’intégrité scientifiques sont, dans l’ensemble, respectées dans leur domaine de recherche ».

Le rapport dresse un constat peu glorieux de l’intégrité scientifique sur certains points :

« 14 % des enquêtés déclarent ne pas tenir compte de certaines observations ou de résultats jugés intuitivement comme non pertinents, 11 % modifient la méthodologie ou l’orientation d’un projet de recherche pour répondre aux pressions d’un financeur, 6 % n’explicitent pas les détails de méthodologie et protocole dans des publications ou des projets, 2 % évitent de présenter des données qui pourraient contredire leurs hypothèses, et 0,4 % de la population interrogée déclarent utiliser les idées ou les travaux d’autrui sans les nommer ».

Mais un autre point abordé par le rapport est à prendre en compte : « si le plagiat est exceptionnel pour soi-même, 20 % des scientifiques interrogés considèrent que leurs collègues sont capables d’agir souvent de la sorte ». Les pourcentages cités en exemple dans le paragraphe précédent sur l’intégrité scientifique pourraient donc être bien supérieurs… et pourraient dépendre du point de vue de la personne interrogée. Une problématique que l’on retrouve dans tous les domaines : en fonction du référentiel les résultats sont parfois bien différents. 

« Sans être alarmiste, l’objectif de l’intégrité scientifique comme « culture partagée » reste un défi à relever […] Par-delà le caractère très exceptionnel des fraudes (falsification, fabrication, plagiat), il existe un ensemble de comportements discutables – la fameuse "zone grise" – dont la fréquence est relativement élevée », ajoute Michel Dubois dans une interview maison au CNRS.

Prépublications et évaluations post-publication : oui, mais attention

Il est ensuite question des prépublications et des évaluations post-publication. Pour 80 % des sondés, il faut les prendre avec des pincettes. L’évaluation par les pairs « n’est certes pas un système parfait, mais qu’il demeure en l’état, selon la formule consacrée, "le moins mauvais des systèmes" ». Nous avons déjà consacré un dossier à ce sujet et à l’importance des relectures. 

Pour la quasi-totalité des personnes interrogées, « la prépublication et l’évaluation post-publication représentent des innovations de science ouverte légitimes ». Cela permet en effet de donner accès aux résultats de recherche au plus grand nombre, mais il faut faire attention à ne pas prendre pour argent comptant toutes les (pré)publications. Pourtant, « 4 enquêtés sur 10 déclarent ne pas attendre les résultats d’une évaluation par les pairs pour utiliser les résultats présentés dans une prépublication ».

La déontologie face à la réalité de la communication

Comme l’a relevé le COMETS, la prise de parole publique par les scientifiques était pour le moins chaotique durant la crise sanitaire, avec de nombreuses dérives. Selon le rapport du GEMASS, « en situation d’urgence sanitaire, 7 enquêtés sur 10 privilégient la prudence en matière de communication scientifique vers le grand public ». Autre chiffre intéressant : 50 % des chercheurs pensent que « les querelles médiatiques d’experts qui ont eu lieu depuis le début de la pandémie risquent de fragiliser l’image de la communauté scientifique auprès du grand public ».

C’est l’occasion de rappeler une nouvelle fois la loi de Brandolini, aussi appelée principe d’asymétrie des idioties : « la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des foutaises est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ».

Pour 80 % des sondés, les « scientifiques qui parlent dans les médias le font parce qu’ils pensent avoir une responsabilité vis-à-vis de la société »… mais cela ne répond pas à la question de la légitimité à le faire. Les médias ont aussi une part de responsabilité en n’hésitant pas pour certains a user de superlatifs pour présenter les personnes interviewées.

En septembre 2021, le CNRS rappelait d’ailleurs à l’ordre les chercheurs sur les questions de déontologie. Une communication faite peu de temps après que Laurent Mucchielli (sociologue et directeur de recherche) avait appelé à suspendre la campagne de vaccination, alors que ce n’était pas dans ses domaines de compétences. 

Les réseaux sociaux

Le rapport dresse un rapide portrait des réseaux sociaux. Alors qu’ils « jouent un rôle croissant dans la diffusion des informations, y compris scientifiques, 8 scientifiques sur 10 doutent de la possibilité de réguler les réseaux sociaux et de limiter les risques de désinformation ». Les réseaux eux-mêmes tentent de prendre diverses mesures, sans parvenir pour le moment à supprimer la diffusion à grande échelle de fake news.

Pour 6 chercheurs sur 10, les « réseaux sociaux sont "de nouvelles opportunités pour la communication scientifique" ». « Twitter est sans doute une opportunité pour de nouvelles formes de communication scientifique, mais c’est aussi un miroir toujours déformant, et parfois grimaçant », ajoute Michel Dubois.

Sur la création d’une agence nationale dédiée à la vérification des informations scientifiques qui circulent sur les réseaux sociaux, le bilan est plus partagé : « 1 enquêté sur 2 est favorable » à sa création.

Le sous-financement de la recherche en France

Enfin, le rapport du GEMASS parle finances : 90 % des enquêtés « déclarent être d’accord avec l’idée selon laquelle la pandémie aurait contribué à révéler l’état de sous financement de la recherche en France ». 

Au final, ce « rapport se veut avant tout descriptif », précise Michel Dubois. Il préconise de prendre davantage en considération la diversité des métiers de la recherche : « Selon que vous êtes chercheur, ingénieur de recherche, d’études, ou encore enseignant-chercheur, selon que vous êtes en sciences naturelles, formelles ou encore en sciences humaines et sociales, vous n’êtes pas nécessairement confronté aux mêmes interrogations et aux mêmes difficultés ». Une piste serait donc de proposer des formations spécifiques. 

Le sociologue conclut avec un point important : « L’activité scientifique, comme nous le rappellent nos répondants, est avant tout affaire d’imagination et de créativité et il est capital de leur laisser suffisamment de liberté et d’autonomie pour exercer cette créativité ».

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