Pendant la crise sanitaire, les nombreuses dérives de la communication scientifique

Connaissez-vous le principe d’asymétrie des idioties ?
Pendant la crise sanitaire, les nombreuses dérives de la communication scientifique
Crédits : SilviaJansen/iStock

La Covid-19 a bouleversé nos vies de manière indélébile. Cette crise a entrainé de profonds changements dans notre société, notamment sur la communication scientifique, que ce soit auprès du public ou des décideurs (politiques). Il y a eu de nombreux ratés à tous les niveaux... et de la « science spectacle ».

Quelques mois après avoir mis en ligne son long et très détaillé avis sur le principe de précaution, le Comité d'éthique du CNRS (COMETS) est récemment revenu sur la délicate (et importante) question de la communication scientifique en situation de crise sanitaire. Cela fait maintenant un peu moins de deux ans que la Covid-19 est entrée de force dans nos vies, donnant suffisamment de matière pour un premier retour sur ce sujet.

Un rappel important pour commencer : le COMETS est « une instance de réflexion » visant à apporter des éclaircissements sur des questions éthiques et sociétales, sans s’intéresser à des cas particuliers. « Ce n’est ni un comité opérationnel d’éthique chargé de donner une accréditation à des projets, ni une instance de déontologie traitant des infractions aux règles d’intégrité scientifique ».

Dès le début s’installe un « grand malaise »

Durant le premier confinement en mars 2020, le comité se réunissait en visioconférence, comme beaucoup. À cette époque, ces membres évoquaient déjà « le grand malaise qu’ils éprouvaient face au traitement public des informations scientifiques »… et ce n’était que le début.  D’un côté ils se félicitaient de voir des chercheurs invités en masse dans les médias, mais « d’un autre côté, la parole des scientifiques se trouvait en butte à des controverses publiques, à des menaces, voire à des attaques virulentes conduites par toutes sortes d’acteurs étrangers à la science, qu’il s’agisse de prétendus experts, de personnalités charismatiques en quête de gloire ou de polémistes ».

Le COMETS reconnait volontiers que son rapport est loin d’être parfait, mais précise qu’il a néanmoins le mérite de dresser « un panorama vaste des questions posées par la communication scientifique ». Il est le fruit de 16 « longues et éprouvantes réunions » et d’une demi-douzaine de plénières ; il a été rédigé entre juin 2020 et août 2021. Les événements récents ne sont donc pas forcément pris en compte pour le moment.

Pour mettre en perspective le déluge de travaux qui ont été menés, le COMETS rappelle que « 272 000 publications et 42 000 prépublications » ont été répertoriées pour l’année 2020 dans la base de données Dimensions. À défaut de pouvoir analyser avec le recul suffisant une telle abondance de littérature, le comité d’éthique propose dès à présent de « porter un éclairage sur ses forces et faiblesses ».

Notre dossier sur la communication scientifique pendant la crise sanitaire :

Le malaise de certains « face au traitement médiatique »

Avant d’entrer dans le détail, le constat global est amer :

« Si certains médias se sont attachés à communiquer des informations de qualité s’appuyant sur la preuve scientifique, d’autres médias ont privilégié une « communication spectacle » volontiers polémique qui a participé de la défiance de certains citoyens envers la science et les scientifiques. La communauté scientifique a aussi éprouvé un malaise face au traitement médiatique de certaines informations, où étaient mis sur le même plan des résultats de recherche fiables, des observations empiriques, des conclusions hâtives tirées de ces observations et de simples opinions ».

De manière générale, la communication scientifique passe par une publication dans des revues spécialisées. Les travaux sont alors validés par les pairs avant que les résultats n’aient vocation à être communiqués hors de la sphère scientifique « pour informer le public et accompagner, éventuellement, la décision politique ».

Comme nous avons déjà eu l’occasion de le rappeler, publier un article sur arXiv ne signifie pas qu’il est passé par ce processus. Il s’agit d’une plateforme d’archives ouvertes de prépublications (préprint) électroniques où les chercheurs peuvent mettre leurs travaux à disposition.

La relecture par les pairs permet de vérifier que les travaux ont été réalisés dans les règles de l’art. Un travail parfois long et fastidieux qui nécessite des connaissances poussées. Citons par exemple la conjecture de Poincaré, résolue en bout de course par le Russe Grigori Perelman : « Il met sept ans pour rédiger une démonstration pleine d’ellipses et particulièrement difficile à appréhender pour ses relecteurs. Au moins quatre groupes s’attellent à la vérification, qui dure également sept ans ». 

Plus de prépublications, moins de prudence

La Covid-19 a propulsé les prépublications dans un autre monde, aussi bien en nombre qu’en visibilité : « on recensait au début de l’année 2021 plus de 10 000 articles en lien avec le COVID-19 déposés sur le serveur medRxiv, créé en 2019 et dédié aux prépublications médicales, et près de 3000 prépublications sur celui de bioRxiv ».

Face à ce raz de marée, des dérives ont sans surprise été constatées : « Des résultats ont été communiqués au public par les médias, qui ont omis de signaler, tout au moins au début de la crise sanitaire, que les prépublications ne font pas l’objet d’une validation par les pairs ».

Twitter est notamment pointé du doigt comme « relais à des prépublications dont certaines ont été partagées plus de 10 000 fois, contribuant aussi à la propagation d’informations délibérément fausses ». Un exemple : des similitudes entre les séquences du SARS-CoV-2 et du VIH, ce qui est évidemment faux.

Le COMETS indique que « certains réseaux académiques » ont également entretenu une confusion entre publication et prépublication ; alors qu’un monde sépare les deux. Certes il n’y a rien de nouveau pour qui suit l’actualité scientifique de ces dernières années, mais la situation s’est largement dégradée pendant la crise, sur des sujets sanitaires qui plus est.

Prendre des vessies pour des lanternes

Il n’en reste pas moins que les prépublications sont utiles – elles permettent notamment d’ouvrir la science et le dialogue – mais sont parfois « "mal" utilisées par des médias, par des politiques ou même par des scientifiques peu scrupuleux ! ». Pour rappel, n’importe qui ou presque peut poster des articles en prépublications, sans aucune vérification. La crise sanitaire a bouleversé le schéma classique de communication et de nombreuses prépublications ont été reprises pour argent comptant, sans aucune vérification supplémentaire.

Le COMETS rappelle à juste titre que « le succès d’une communication se mesure à sa capacité d’informer de manière rigoureuse, honnête et objective de façon à ce que chacun soit en mesure de se faire sa propre opinion ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans le contexte de la crise, « ces objectifs n’ont été qu’imparfaitement atteints. Les raisons en sont multiples ».

Dans le viseur du comité, certains médias qui ont détourné la communication scientifique comme un « outil de marketing », des « acteurs de la recherche peu respectueux des principes d’intégrité scientifique et qui se sont servis de ces médias pour faire passer des messages à la finalité discutable », tandis que d’autres qui entretenaient une confusion entre leur expression à titre personnel et à celui de l’institution dont ils dépendent, etc.

Sur ce dernier point, le CNRS est récemment sorti du bois pour un ferme rappel à l’ordre après plusieurs déclarations controversées de certains de ces chercheurs. On pense notamment à Laurent Mucchielli (sociologue et directeur de recherche) qui appelait à suspendre la campagne de vaccination.

« Science spectacle » vs principe d’asymétrie des idioties

Le constat du COMETS sur la presse est double : « Les médias "lents", presse ou certains magazines télévisés, ont offert une communication informative, mais qui n’a touché qu’un public restreint », contrairement aux « médias "rapides", voire "ultra-rapides" comme les chaînes d’information en continu, [qui] ont touché une plus large audience et souvent privilégié la "science spectacle" ».

Le Comité regrette que des médias aient ainsi « diffusé des informations anxiogènes de manière répétitive pratiquement 24 heures sur 24, leur donnant un écho considérable et mêlant des faits scientifiquement établis à de simples conjectures, voire à des rumeurs sans les contextualiser et les questionner ».

Comme nous avons eu à mainte reprise l’occasion de le vérifier sur de nombreux sujets (ondes, 5G, Linky…) « tenter de contrer une information absurde par une argumentation rationnelle est un processus très coûteux ». C’est l’occasion de rappeler la loi de Brandolini (ou principe d’asymétrie des idioties) : « la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des foutaises est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire »… et encore, un ordre de grandeur est certainement sous-évalué dans certains cas. 

À cela s’ajoutent des débats scientifiques parfois « faussement contradictoires » et des chercheurs de bonne foi « pris au piège » quand ils font part de connaissances « avec leur part de doute et d’incertitude », tandis que d’autres tiennent des propos « délibérément provocateurs et peu scrupuleux, voire irresponsables ».

C’est presque un corolaire de la loi de Brandolini.

Prestigieux grand éminent chercheur… ou l’art des superlatifs

Le COMETS charge aussi les médias qui ont utilisé à profusion des termes comme « grand professeur », « scientifique prestigieux » ou encore « chercheur éminent », donnant au public le sentiment d’être face à « des individus singuliers porteurs de la "vérité scientifique" ».

Ce rapport est l’occasion aussi de rappeler que « la vérité s’exprime collectivement et non par la voix d’un seul, fût-il couronné de prix prestigieux, ou signataire d’un grand nombre de publications ». Cette problématique se pose aussi dans le cas de la communication des scientifiques au politique. La crise sanitaire a indiscutablement rapproché les deux mondes, « mais pour que la parole du scientifique puisse faire autorité auprès des politiques, il est essentiel que ces derniers soient mieux formés au raisonnement et à la démarche scientifique »… et vice-versa ? 

De plus, il faut pouvoir dire et savoir entendre que « la réalité scientifique passe parfois par les mots terribles à prononcer en politique : je ne sais pas ». C’est également valable pour de la communication envers le grand public… ce qui mène à des échanges compliqués lorsque ceux qui ne savent pas affirment haut et fort des inepties face à des connaisseurs qui prendront toutes les précautions d’usage.

Le COMETS salue la forte mobilisation de toute la communauté scientifique, mais en même temps il ne « peut ignorer les dérives […] dont certaines ont eu un impact au-delà de la communauté scientifique ». Deux exemples sont mis en avant : « Les rétractations de deux études majeures parues dans des revues médicales internationalement reconnues, The Lancet et le New England Journal of Medicine (NEJM) », il s’agit rien de moins que de deux des plus grandes revues médicales.

Dans les deux cas, des données provenant de la société Surgisphere étaient utilisées par des équipes de recherches, dans lesquelles se trouvait le docteur Mandeep Mehra (il est l’auteur principal des deux publications en question). Il a lui-même demandé le retrait dans The Lancet et s’est par la suite confondu en excuses. Il faut dire que des centaines de chercheurs s’étaient rapidement mobilisés pour dénoncer les études.

Il n’en reste pas moins que de « multiples dysfonctionnements » ont accompagné ces publications, mettant « en cause tant les auteurs de la publication que l’éditeur et les relecteurs ». Le COMETS soulève plusieurs points, notamment que « les auteurs de la publication ne se soient pas préoccupés du non-accès aux données brutes est révélateur de la course à la publication, particulièrement exacerbée par la crise ».

L’éditeur de la revue The Lancet, Richard Horton, le reconnaît d’ailleurs lui-même : « personne … ne connaissait le statut exact des données, et qu’il n’y a pas de données vérifiées ou validées de façon indépendante pour appuyer ce qu’avance l’article ». Des chercheurs ont demandé que soit généralisé l’accès aux commentaires des relecteurs, une pratique encore trop rare dans ce milieu. D'autres questions ont été soulevées par cette affaire, d’un point de vue éthique cette fois-ci sur « la marchandisation des données de la recherche par des sociétés privées ».

Dans la suite de notre dossier, nous reviendrons sur les écarts à la déontologie et à l’intégrité.

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !