Au cours des 18 derniers mois, de nombreux scientifiques se sont relayés dans les médias pour parler du virus SARS-CoV-2 (Covid-19). Problème, cela ne s’est pas toujours fait dans les règles de l’art, avec des conflits d’intérêt, des manquements à la déontologie, du cyberharcèlement et du « populisme scientifique ».
Dans son dernier rapport, le Comité d'éthique du CNRS (COMETS) a dressé un portrait au vitriol de la communication scientifique pendant la crise sanitaire. Médias, chercheurs et publications sont visés.
Suite à l’apparition du virus et face à son évolution rapide, une course contre la montre a été lancée. Il fallait communiquer les résultats de recherche au plus vite, les éditeurs de revues scientifiques se sont « adaptés » tant bien que mal. Par exemple, L’EASE (European association of scientific editors) « a reconnu la nécessité de réduire le délai de la communication d’informations. Certains éditeurs ont accepté la publication de résultats préliminaires et ont admis que leur évaluation soit faite par l’éditeur lui-même ou par un seul expert »… ce qui n’a pas été sans conséquence sur la rigueur scientifique qui doit normalement toujours être de mise.
Le COMETS explique que, face à l’urgence de trouver des solutions thérapeutiques, certains acteurs de la recherche et du monde médical « ont soutenu que l’intuition ou le "bon sens", médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement ». Spoiler : ce n’était pas (du tout) le cas ni une bonne idée.
Notre dossier sur la communication scientifique pendant la crise sanitaire :
- Pendant la crise sanitaire, les nombreuses dérives de la communication scientifique
- « Populisme scientifique » : la virulente charge du comité d’éthique du CNRS
De nombreux écarts à l’intégrité, la déontologie et l’éthique
Ces personnes « ont déclaré être les tenants d’une "éthique du traitement" qui serait opposée à une "éthique de la recherche" ». « Ce discours a servi la promotion, par Didier Raoult et son équipe de l’IHU de Marseille, du traitement de la COVID-19 par un antipaludéen connu de longue date, l’hydroxychloroquine (HCQ) ».
Le Comité d’éthique ne mache pas ses mots : « Largement ouvert au public, dans des conditions peu respectueuses des règles de déontologie médicale, le traitement a fait l’objet d’un emballement médiatique et politique alors même que son efficacité sur la COVID-19 ne reposait que sur une étude clinique contestable ».
Les dérives autour de cette étude – publiée dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents – ont alerté la communauté scientifique. La liste des problèmes est édifiante : « accepté 24 heures après sa soumission, l’article a eu, dès sa parution, un énorme impact international ; il a été critiqué sur sa méthodologie (élimination de cas, biais statistiques, absence de preuves robustes,) et suscité des commentaires sur le processus de validation par les pairs, l’un des signataires, Jean-Marc Rolain, étant aussi l’éditeur en chef de cette revue ».
Suite à cette vague de contestation, l’article a été ré-évalué après sa publication : « L’expertise, rendue publique par la revue, a recommandé le retrait de l’article, ce qui n’a pas été fait, son éditeur en chef [qui est pour rappel un des signataires de l’article, ndlr] l’ayant seulement "ouvert à la discussion" ». Le COMETS déplore cette décision « qui remet en cause le jugement par les pairs et va à l’encontre des critiques unanimes de ces derniers ».
Si encore il s’agissait d’un cas isolé… mais c’est loin d’être le cas : « Près de 40 % des articles publiés dans l’International Journal of Antimicrobial Agents depuis sa création en 2013 ont été co-signés par son éditeur en chef, Jean-Marc Rolain, et un, voire plusieurs, membres de l’IHU de Marseille dont Didier Raoult ».
Vous en voulez encore ? Conflits d’intérêt et cyberharcèlement…
Pour le Comité, « de tels conflits d’intérêt jettent la suspicion sur la validité de leurs travaux et sont d’autant plus critiquables que cette autopromotion contribue à l’avancement de carrière des auteurs et au financement de leur recherche, tous deux conditionnés par le nombre de leurs publications ».
Cette histoire « oblige à un questionnement sur la responsabilité des auteurs face à l’énorme impact de leurs résultats en termes de soins ». « On peut s’inquiéter de ce que cette étude si peu probante ait pu susciter une telle adhésion du public. Il a été impossible par la suite d’en corriger les effets », ajoute le rapport. Là encore, un parallèle peut être fait avec la 5G et les compteurs Linky, pour ne citer que ces deux exemples.
De nouvelles études ont évidemment été menées sur l’hydroxychloroquine, avec des réactions parfois vives et inquiétantes envers les chercheurs : « À la suite de la publication de l’une d’entre elles qui ne confirmait pas l’efficacité clinique de l’HCQ, ses auteurs ont subi une violente campagne de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à des menaces de mort ».
Le COMETS n’y va pas par quatre chemins : « Ces comportements, exacerbés par les nouveaux médiateurs de l’information que sont internet et les réseaux sociaux, sont totalement inadmissibles et nous les dénonçons avec la plus grande vigueur ». Le Comité s’inquiète aussi « des tentatives de judiciarisation du débat scientifique à des fins d’intimidation ». Il rappelle que l’intégrité scientifique doit toujours être présente, peu importe le domaine : « médecine qui cherche » ou « médecine qui soigne ».
Alors que voilà le « populisme scientifique »
Revenant une nouvelle fois sur le cas de Didier Raoult, le COMETS parle du concept de « populisme scientifique », en analogie avec le populisme politique. Il s’agit d’une « approche politique tendant à opposer le peuple aux élites politiques, économiques ou médiatiques » avec le « sentiment que le peuple est exclu de l'exercice d'un pouvoir par ailleurs coupé des réalités, même dans une démocratie représentative », indique Wikipédia.
Le populisme scientifique donne ainsi « l’illusion de pouvoir accéder au "savoir" sans passer par les instances de validation du fait scientifique » :
« Dans le contexte de la crise sanitaire, le soutien sans partage d’une partie de la population au traitement à l’HCQ préconisé par Didier Raoult revêt certains traits du populisme scientifique : méfiance à l’égard de ceux qui s’expriment mais ne fournissent pas de clefs immédiates aux questions posées ; préférence pour les solutions simples et rassurantes ; défiance vis-à-vis des élites supposées ignorantes des réalités de terrain ; opposition de communautés régionales éloignées du centre de gravité parisien de prise des décisions ; rejet des affirmations des scientifiques jugés compromis par leur proximité avec l’instance politique qu’ils conseillent ; enfin une forme de fascination exercée par une « personnalité forte » qui s’affirme par ses défis contre la représentativité académique ».
Deux exemples sont mis en avant. Début avril 2020 une pétition en ligne – lancée par Philippe Douste-Blazy, ancien ministre et professeur de santé publique, et Christian Perronne, professeur de médecine – demandant au gouvernement d’accélérer les procédures de mise à disposition du traitement à l’hydroxychloroquine. Quelques jours plus tard, le Parisien mettait en ligne un sondage sur « la croyance » du public en l’efficacité de l’HCQ.
Pour le COMETS, « on ne peut que s’inquiéter que le choix d’un traitement puisse être décidé par l’opinion publique sur la base d’une pétition ou d’un sondage et que des décisions politiques puissent être prises en se fondant sur des croyances ou des arguments irrationnels, faisant uniquement appel à la peur ou l’émotion ». Étienne Klein, directeur de recherche au CEA, était déjà monté au créneau l’année dernière sur ce sujet, et il a récemment récidivé, suite à un sondage du Figaro sur une troisième dose de vaccin cette fois-ci :
Je trouve qu’on devrait aussi faire un sondage à propos de la violation de la symétrie CP dans le modèle standard de la physique des particules et l’existence du neutrino de Majorana. Cela permettrait d’éclairer utilement la réflexion des physiciens théoriciens. https://t.co/4A44yMxOW1
— Etienne KLEIN (@EtienneKlein) August 2, 2021
La nécessité de disposer d’une culture scientifique
Dans sa conclusion, le COMETS salue la mobilisation scientifique, mais elle est entachée par des dérives :
« Le caractère anxiogène de la crise sanitaire a contribué à la défiance envers la science de certains citoyens qui, faute de connaissances scientifiques pour décider de leurs choix, ont privilégié des attitudes irrationnelles alimentées par les réseaux sociaux dont l’emprise a façonné l’opinion publique sans respect de véracité et au détriment d’un débat démocratique »
À qui la faute ? Les torts sont répartis ; il n’y a pas un seul fautif. Comme nous l’avons détaillé dans la première partie de notre dossier, certains médias et scientifiques ont leur part de responsabilité.
Ce ne sont pas les seuls : « Indubitablement, si les esprits avaient été mieux préparés par une éducation à la démarche scientifique, à sa rigueur, et à la notion de preuve, la communication aurait été facilitée ». Pour le Comité, « La culture scientifique figure parmi les grands enjeux de la démocratie ».
13 recommandations pour essayer d’améliorer les choses
Pour finir, le COMETS propose une liste de 13 recommandations. Il y est notamment question d’améliorer la « science ouverte » et de rappeler « l’importance de rendre accessibles [les] données à chaque fois que cela est possible ». Le Comité veut aussi « faire cesser le parasitage de la science par les revues prédatrices ».
Le CNRS devrait aussi alerter les chercheurs « que les articles publiés dans ces revues ne seraient pas pris en compte dans leur évaluation et que les APC [Article Processing Charges, ndlr] de ces revues ne seraient pas payées avec les crédits qui leur sont alloués ». Dernier point concernant la communication à destination de la communauté scientifique : généraliser l’accès aux commentaires des re-lecteurs.
Concernant la communication vers le public, les chercheurs devraient toujours préciser à quel titre ils prennent la parole : spécialiste du sujet, représentant d’un organisme de recherche ou simple citoyen engagé. Ils doivent aussi faire la différence entre les connaissances validées par des méthodes scientifiques et de simples hypothèses de travail. Le COMETS rappelle « qu’un chercheur qui accorde une interview ou participe à un débat dans les médias peut exiger un droit de réponse, si ses propos ont été déformés ou tronqués lors de la retransmission ».
Lors du travail préparatoire à la rédaction de certains articles, nous avons déjà fait face à des inquiétudes de chercheurs, qui craignent justement une déformation de leurs propos à l'occasion d'interviews. Afin d’améliorer la communication entre les scientifiques et les journalistes, le COMETS propose que les services de communication des institutions incitent les scientifiques à faire partie des experts mis en relation avec les médias.
Il souhaite aussi une plus proche collaboration avec l’AJSPI (association des journalistes scientifiques de la presse d’information), qui pourrait passer par des « échanges » : des chercheurs pourraient prendre place dans des organes de presse et des journalistes dans des laboratoires.
Enfin, COMETS souhaite « encourager les chercheurs à participer à des formations sur la médiation scientifique » et mettre en place « une stratégie de lutte contre la désinformation à l’usage non seulement de l’organisme, mais des médias ». Un colloque interdisciplinaire sur la communication scientifique pourrait aussi être mis en place.
Il faudrait aussi que les médias ne jouent plus de la surenchère (ou mieux du sensationnel, ou pire du putaclic) à la moindre occasion lors d’une découverte scientifique, ce qui encore aujourd’hui est trop souvent le cas. La « peopolisation » dont nous parlions dans un édito de 2018 est toujours d’actualité en 2021.