Le 11 janvier 2021, l’association catholique intégriste avait demandé au président du CSA de mettre en œuvre les nouveaux outils à sa disposition contre les sites pornographiques accessibles aux mineurs. Le 19 mai dernier, le Conseil d’État a néanmoins renvoyé Civitas au prieuré.
L’expression de « contenus pornographiques » est suffisamment floue pour susciter les actions de tout poil. En 2021, l’association Stop au Porno avait déjà attaqué le gouvernement pour le site JeProtegeMonEnfant.gouv.fr, site de prévention et d’information accusé d’être trop explicite, en raison de liens vers des contenus « propres à heurter la sensibilité de nombreux jeunes tant ils sont détaillés et hypersexualisés ».
L’an dernier, l’association Civitas pointait pour sa part les sites xvideos.com, pornhub.com, xnxx.com, xhamster.com, tukif.com, jacquieetmicheltv2.net, jacquieetmichel.net et jacquieetmicheltv.net. Elle réclamait du CSA (devenue ARCOM début 2022) à user de ses nouveaux pouvoirs afin d’exiger un contrôle d’âge ou, à défaut, de lancer une procédure de blocage.
Le 19 mai dernier, le Conseil d’État a toutefois rejeté ses conclusions considérant qu’il n’y avait pas lieu à statuer. Et pour cause, la juridiction rappelle que depuis, le 13 décembre 2021, le président de l’autorité a finalement mis en demeure les éditeurs des cinq premiers sites pour qu’ils se mettent en conformité avec leurs nouvelles obligations. Quant à Jacquie et Michel, l’éditeur a été tenu d'établir que le procédé de contrôle d’âge mis en place répond effectivement à ces obligations.
L'ARCOM réclame un blocage DNS des principaux sites X
Ces nouvelles contraintes résultent de l'article 227-24 du Code pénal : elles consistent pour les sites pornos à empêcher l'accès des mineurs à leurs contenus, en optant pour une solution autre qu’un simple disclaimer d’âge.
Ces messages déclaratifs placardés sur la page de garde des sites X ne sont plus suffisants pour s’assurer que le visiteur d’un tel site est bien majeur. La réforme a été engagée par le groupe LREM, avec la loi du 30 juillet 2020 contre les violences conjugales et son décret d’application en octobre dernier.
N’ayant pas répondu de manière satisfaisante à l’injonction du président du CSA (devenu ARCOM depuis le 1er janvier), les sites xvideos, pornhub, xnxx, xhamster et tukif font désormais l’objet d’une procédure de blocage audiencée ce 24 mai par le président du tribunal judiciaire de Paris.
Cette procédure est une première dans l’histoire de l’ARCOM. Hybride, elle fait donc jouer tour à tour une procédure administrative suivie par cette phase judiciaire. Cette dernière étape réunit les fournisseurs d’accès, assignés en mars dernier.
Orange, Free et Free Mobile, Bouygues Télécom, Colt, SFR et Outre Mer Télécom comparaissent depuis 9h30 au tribunal judiciaire de Paris. Selon nos informations, des sites X pourraient intervenir dans le dossier pour défendre leurs intérêts.
Dans l’assignation que Next INpact a pu lire, le président de l’ARCOM souhaite pour sa part que les FAI bloquent l’accès à fr.pornhub.com, tukif.com, fr.xhamster.com, xnxx.com, et xvideos.com dans un délai de 5 jours à compter de la signification de la décision. Toujours selon nos informations, l’ARCOM réclame un blocage par nom de domaine (ou DNS) à partir du territoire français.
Le respect du contradictoire, inévitable
La procédure intervient après l’échec en appel d’e-Enfance et la Voix de l’enfant pas plus tard que la semaine dernière. Les deux associations tentaient de faire bloquer une série de sites X, en utilisant cette fois d’autres voies que le dispositif ARCOM : la loi sur la confiance dans l’économie numérique et le droit des procédures de référé.
Dans la décision diffusée dans nos colonnes, la cour d’appel de Paris a considéré qu’en vertu de la LCEN, les associations auraient d’abord dû contacter l’hébergeur, l’éditeur des sites ou l’auteur des contenus X. Sur le terrain du référé, elles auraient là encore dû attraire dans la procédure les sociétés et éditeurs des sites litigieux afin de permettre au juge de mener un contrôle de proportionnalité :
« Faute d’avoir attrait ou d’avoir tenté d’attraire les responsables des contenus dans la procédure, pourtant identifiables [...] ni même de justifier de l’impossibilité d’agir contre eux, les associations appelantes ne permettent pas au juge des référés de vérifier que le blocage des sites est la seule mesure possible, ce alors que les propriétaires ou éditrices des contenus n’ont pas été en mesure de faire valoir leurs observations, de prendre les éventuelles mesures correctives ou de proposer des solutions alternatives, ni même de présenter les conditions de fonctionnement de leurs sites s’agissant de l’accès des mineurs »
Dans le volet ARCOM, y aurait-il place à cet examen de proportionnalité ? Dans la phase administrative, les sites épinglés ont certes pu fournir leurs observations, mais celles-ci n’ont pas du tout convaincu le président de l’autorité.
L’économie générale de leurs retours, résume l’assignation, « consiste à prétendre qu’elles seraient placées dans une situation d’insécurité juridique liée à l’absence de "lignes directrices" éditées par l’ARCOM concernant les modalités techniques satisfaisantes de restriction d’accès à un public mineur ».
Ces fameuses lignes directrices sont celles appelées par le décret d’application de la procédure de blocage spécifique. L’ARCOM a été invitée à se pencher sur « la fiabilité des procédés techniques permettant de s'assurer que les utilisateurs souhaitant accéder à un contenu pornographique d'un [site] sont majeurs ». En clair : donner un éclairage sur les solutions qui pourraient remplacer les disclaimer d’âge. Seulement, ces lignes ne sont pas obligatoires et ne conditionnent pas la mise en œuvre de ces procédures.
En somme, les sites pornos sont placés dans une situation ô combien compliquée : ils doivent utiliser un autre procédé que la simple déclaration d’âge pour s’assurer de la majorité des visiteurs, tout en respectant les règles du RGPD, sous l’œil de la CNIL qui a déjà rappelé la sensibilité des données en jeu.