Le gouvernement a publié ce matin, au Journal officiel, le décret faisant du président du CSA l’un des gendarmes du blocage des sites pornos. Un texte attendu depuis plus d’un an et donc diffusé le jour même où le tribunal judiciaire rend son ordonnance de blocage de plusieurs sites X.
Un sens du timing à faire rougir un horloger suisse. Deux procédures de blocage des sites pour adultes sont aujourd’hui disponibles pour les associations de défense de l’enfance, notamment.
L’une, non spécifique, s’appuie sur la responsabilité des intermédiaires techniques, encadrée par la LCEN ou loi sur la confiance pour l’économie numérique de 2004 . C’est cette procédure qui a été initiée à la demande de la Voix de l’Enfant et e-Enfance contre neuf sites :
- fr.pornhub.com
- mrsexe.com
- iciporno.com
- tukif.com
- xnxx.com
- fr.xhamster.com
- xvideos.com
- youporn.com
- fr.redtube.com
Cette première procédure permet de saisir le président du tribunal judiciaire, pour qu’il prescrive en urgence aux FAI, aux hébergeurs toutes les mesures nécessaires permettant de « prévenir un dommage » ou « faire cesser un dommage » occasionné par un site.
Le trouble manifestement illicite est ainsi constitué par une infraction au Code pénal (article 227-24). Soit le fait de publier des contenus violents ou pornographiques, dès lors qu’ils sont susceptibles d’être vus par un mineur. Les partisans de ce texte estiment en effet que cette exposition génèrerait des effets néfastes chez les mineurs, dans leur apprentissage de la sexualité.
Depuis des années, les sites X s’abritaient derrière une déclaration d’âge, pour tenter d’échapper à de telles législations. Dans le cadre d’un plan de bataille lancé par l’Élysée contre le porno, une loi de juillet 2020 contre les violences conjugales a cependant fait préciser dans le Code pénal que ces simples déclarations d’âge n’étaient pas des boucliers juridiques suffisants pour échapper à ces foudres.
Et c’est très précisément aujourd’hui que Fabrice Vert, vice-président du tribunal judiciaire de Paris, dira si oui ou non les FAI doivent bloquer ces neuf importants sites pornos, qui tous se satisfont encore et toujours d’une déclaration d’âge placardée sur leur page d’accueil.
Le dossier est suivi et accompagné de près par le ministère de la Justice, selon Me Laurent Bayon, avocat des deux associations.
L'arrivée du président du CSA, sur la scène du blocage des sites X
La seconde procédure est celle visée par le décret publié aujourd’hui au Journal officiel. La loi de 2020 n’a pas seulement « démagnétisé » juridiquement les déclarations d’âge placées à l’entrée des sites pornos. Elle a aussi prévu une procédure spécifique devant le président du CSA pour bloquer ces mêmes sites.
Cette voie permet à quiconque de saisir le président du CSA pour qu’il constate lui aussi qu’un site X est susceptible d’être vu par un mineur. Le cas échéant, l’autorité contacte le site qui se voit mis en demeure de trouver une solution, voire d’adresser ses observations dans les 15 jours.
À défaut de réponse satisfaisante, le président du CSA peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris pour qu’il ordonne aux FAI le blocage d’accès du site, et aux moteurs leur déréférencement.
Trois associations, Open, l’UNAF et la COFRAD avaient déjà saisi le président du CSA pour demander le blocage de Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et JacquieetMichel.
La procédure était cependant tombée en raison d’un double bug : la France avait omis d’alerter la Commission européenne de cette législation venant impacter le commerce électronique dans l’Union. Et surtout elle avait été lancée sans décret d’application.
Cet oubli a été donc corrigé ce matin au Journal officiel. On retrouve peu ou prou la logique déjà décrite dans nos colonnes en avril dernier.
Le président du CSA constatera l'accessibilité des contenus pornos
Ainsi pour apprécier de l’accessibilité du site aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel devra tenir compte « du niveau de fiabilité du procédé technique mis en place par cette personne afin de s'assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs ».
En clair, les sites pornos doivent imaginer une solution pour s’assurer de l’âge des internautes, puisque comme l’a précisé la députée LREM Bérangère Couillard dans un rapport parlementaire, il « revient aux éditeurs de sites de s’assurer que leurs contenus ne sont pas susceptibles d’être consultés par des mineurs », sachant qu’ils disposent de « la liberté des moyens (…) pour ce faire ».
Lignes directrices rédigées avec l'aide de l'Arcep et de la CNIL
En somme, à eux de se débrouiller pour mettre en place les moyens utiles pour deviner l’âge d’un internaute derrière une IP. Une obligation pour le moins complexe à mettre en œuvre, le secteur touchant à l’intime, il n’est pas dit que tous les internautes acceptent de fournir leur pièce d’identité, d’autant que n’importe quel fichier peut être manipulé pour mentir sur la date de naissance…
Le texte autorise aussi le CSA à rédiger des lignes directrices concernant la fiabilité de ces outils de vérification d’âge. Dans ces travaux, le décret prévient désormais que le CSA pourra consulter à la fois l’Arcep et la CNIL pour l’ébauche de ces lignes.
Le trafic de sites pornos bientôt redirigés au CSA
Comme le projet ausculté dans nos colonnes en avril dernier, le texte prévoit toujours que les visiteurs des sites bloqués suivant la procédure CSA devront être redirigés « vers une page d'information du Conseil supérieur de l'audiovisuel indiquant les motifs de la mesure de blocage ».
En somme, le CSA devra pouvoir absorber le trafic, très important, des sites bloqués afin d’expliquer à tous les internautes les raisons de ce blocage. Ou comment organiser le plus légalement possible l’équivalent d’une vague de DDoS sur les épaules d’infrastructures bientôt asphyxiées.
« Un peu comme si on détournait une ligne TGV à fort trafic par les petits chemins de campagne un 31 juillet. On crée un bouchon, car l’infrastructure de report n’est pas dimensionnée », commente en ce sens Me Alexandre Archambault. Le « meilleur moyen de faire tomber un réseau avec du trafic parasite », puisqu’il « va y avoir un problème de trafic et de redimensionnement à l’arrivée », d’autant qu’avec le basculement des sites pornos en HTTPS, le navigateur devrait générer une page d’erreur.
Autre souci, à l’instar de la « main rouge » affichée en lieu et place des sites pédopornographiques et terroristes (dont la mise en oeuvre n'a pas été sans problème), la « main rose » du CSA devrait drainer dans son sillage des données à caractère personnel des visiteurs des sites X. La CNIL, curieusement, n’a pas été saisie pour avis pour le décret publié ce matin au J.O., alors qu'elle avait examiné ce texte de son côté.