Le gouvernement, via JeProtegemonenfant.gouv.fr, est attaqué au Conseil d’État par l’association Stop au Porno. Celle-ci épingle plusieurs de ses liens qui seraient, à ses yeux, en contradiction avec l’objectif même du site.
Une étape de plus dans la série consacrée à la lutte contre le porno en ligne ? La semaine dernière, en collaboration étroite avec la Chancellerie, e-Enfance et La Voix de l’Enfant ont été audiencées au tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre d’un référé.
Leur objectif ? Que les FAI bloquent l’accès à neuf gros sites X, dont YouPorn, PornHub, xHamster ou encore xVideos. L’une et l’autre reprochent à ces sites d’être « accessibles » aux mineurs, et donc en infraction avec l’article 227-24 du Code pénal.
Certes, tous s’abritent derrière un « disclaimer », mais ce bouclier n’est plus efficace depuis une loi votée l’an passé. L’ordonnance de référé sera rendue le 8 octobre prochain. On verra alors si Free, Orange, Bouygues Télécom ou encore SFR et Colt se retrouvent astreints à couper le robinet d'accès.
C’est armée de ce même texte du Code pénal que l’association Stop au Porno a demandé à Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance, de faire le ménage sur le site JeProtegeMonEnfant.gouv.fr. Faute de réaction du gouvernement, l'association a décidé de passer à l'attaque devant la haute juridiction administrative.
Fait notable, ce site fut lancé en février dernier afin justement de lutter « contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques en ligne », mais aussi « sensibiliser les parents », « faciliter le recours aux dispositifs de contrôle parental » ou encore assurer « le dialogue parents/enfants sur l’éducation à la sexualité et la pornographie en centralisant des ressources sur ce sujet ».
Pour l’association anti-porno, cependant, des contenus ou, plus exactement, certains des liens proposés, « sont propres à heurter la sensibilité de nombreux jeunes tant ils sont détaillés et hypersexualisés ».
Selon Santé Public France, la conso du porno par les ados « n'est pas si grave »
Elle lui reproche notamment de faire la promotion du site OnSexprime.fr où était affirmé que « la consommation de pornographie est très élevée dans la population, chez les ados comme chez les adultes, chez les garçons comme chez les filles. Est-ce si grave ? Pas vraiment. »
« Le site onsexprime.fr déclare donc que le fait de commettre ou plutôt de laisser commettre un délit pénal n’est "pas vraiment grave" » sursaute Stop au Porno, qui se souvient que l’article 227-24 précité pose que rendre accessible aux mineurs un contenu pornographique est puni de trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Et ce, que le mineur ait 12, 14 ou 17 ans et 364 jours.
« Sans aller jusqu’à évoquer la question des risques d’addiction à la pornographie, le site pourrait rappeler la loi concernant l’accès à la pornographie pour les mineurs », plaide de son côté le secrétariat général de l’Enseignement catholique.
Si l'on résume, d’une main, ce site édité par Santé publique France, un établissement public, indiquait que l’exposition au porno n’est finalement pas vraiment grave, quand, dans le même temps, le gouvernement dénonce cette exposition en aiguisant la procédure de blocage en cours pour protéger tous les mineurs. Sans même agir à l'encontre des sites pornos concernés directement.
Si l'on utilise l'imparfait c'est que la page épinglée a changé depuis cette procédure lancée le 21 juin dernier, avec disparition du passage litigieux, sans doute lors de la dernière mise à jour datée de juillet 2021 :
Page d'origine / Page nettoyée
On retrouve néanmoins la version antérieure sur Archive.org. En outre, dans les commentaires, toujours en ligne, des discussions mentionnent toujours un bout de la fameuse phrase qui vient à contre-courant de la politique du ministère et de la Chancellerie.
Crédits : onsexprime.fr
Relevons pour notre part que d'autres passages entiers ont également disparu ces dernières semaines. Exit par exemple celui qui évoquait les pratiques extrêmes dans le porno hétéro ou gay, des pratiques aux « incidences sur le corps : comme le SM, ou le "fist" (pénétration vaginale ou anale avec la main entière, parfois au-delà du poignet, mais aussi de gadgets et ustensiles), par exemple. »
Des contenus jugés très crus
Les critiques de Stop au Porno ne s’arrêtent pas là : « La plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr renvoie également les mineurs vers des contenus très crus, comme Sexy Soucis, un programme web de France Télévisions ».
Or, à ses yeux, « les contenus de Sexy Soucis, recommandés par jeprotegemonenfant.gouv.fr, expliquent comment faire preuve d’initiative dans les rapports sexuels, comment réagir si son partenaire sexuel n’a pas d’orgasme, etc. Tous ces contenus diffusent et promeuvent des normes sexuelles relevant, en principe, de la sphère privée ».
La procédure se place aussi dans le sillage d’un arrêt du Conseil d’État du 15 octobre 2014 rendu à la demande d'associations catholiques. La juridiction annulait alors la décision du ministre de l’Éducation nationale de relayer la campagne de communication de la Ligne Azur, dispositif d'information et de soutien contre l'homophobie et pour la prévention du comportement suicidaire.
Dans cette campagne, écrit le Conseil d'Etat, « le site internet de "Ligne Azur" présentait, l'usage de drogues comme susceptible de "faire tomber les inhibitions" et comme "purement associé à des moments festifs" sans mentionner l'illégalité de cette pratique, et définissait la pédophilie comme une "attirance sexuelle pour les enfants", sans faire état du caractère pénalement répréhensible des atteintes ou agressions sexuelles sur mineurs ».
Le même document « renvoyait, en outre, à une brochure intitulée "Tomber la culotte", laquelle incitait à la pratique de l'insémination artificielle par sperme frais », interdite par le droit en vigueur. La juridiction sanctionnait alors une « atteinte au principe de neutralité du service public de l'Éducation nationale ».