L’Arcep a publié récemment les résultats de sa première enquête annuelle « Pour un numérique soutenable » portant sur les quatre principaux opérateurs. L’Autorité note quelques améliorations, mais surtout des pistes de travail. Elle met également en garde contre la poudre aux yeux de certains chiffres.
En janvier 2021, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) annonçait qu’une enquête annuelle aurait désormais lieu pour surveiller, via onze points de contrôle, l’évolution de l’empreinte écologique du numérique en France. Un grand chantier, et pour cause : « sans renoncer aux possibilités d’échanges et d’innovation », il fallait que le numérique prenne « part à la stratégie bas carbone ».
L’Arcep se donnait alors trois grands objectifs : améliorer la capacité de pilotage de l’empreinte environnementale du numérique par les pouvoirs publics, intégrer l’enjeu environnemental dans les actions de régulation de l’Arcep, et renforcer les incitations des acteurs économiques, acteurs privés, publics et consommateurs. L’Autorité souhaitant établir des constats clairs qui se voudraient autant d’outils d’aide à la prise de décision, sans matraquer le numérique ni le glorifier.
En plus d’indicateurs désormais annuels, elle veut faire passer les entreprises concernées d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. Les pistes d’améliorations sont nombreuses et touchent aussi bien les services et les terminaux que tout acteur de la chaine – même si les terminaux sont dans le collimateur, tout particulièrement l’obsolescence logicielle.
L’Autorité compte informer plus finement les utilisateurs. Elle juge l’information actuelle très insuffisante sur les questions écologiques et proposait par exemple de « transposer ce qui existe sur la qualité de service et la couverture à la question de l’écologie ».
Au vu des points soulevés dans cette première enquête, le travail ne fait que commencer. Quatre catégories d’indicateurs ont été intégrées : l’énergie consommée, les émissions de gaz à effet de serre, les ventes de téléphones portables et les téléphones collectés en vue d’un recyclage ou d’un reconditionnement.
Gaz à effet de serre : attention aux illusions d’optique
Le rapport commence par une bonne nouvelle : les quatre principaux opérateurs – Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR – ont émis en 2020 un total de 362 000 tonnes de gaz à effet de serre, soit un recul de 4 % par rapport à l’année dernière et un recul pour la deuxième fois consécutive. On s’en doute cependant, le diable se cache dans les détails.
L’Arcep distingue trois briques – appelées scopes – dans ces émissions. Le scope 1 représente les émissions de gaz générées directement par l’entreprise, le 2 celles générées indirectement, et le 3 les émissions indirectes associées, par exemple tout ce qui touche aux équipements achetés par l’entreprise pour mener à bien ses activités. Le scope 3 n’est pour l’instant pas présent dans les résultats car non obligatoire, d’autant qu’il engendrerait, selon l’Arcep, un double comptage de certaines émissions de gaz.

Comme on le remarque sur le graphique, les émissions directes sont en baisse continue, tandis que les indirectes augmentent. L’Arcep explique cette situation par une contraction des émissions directes liées à une optimisation progressive sur tout ce qui était le plus évident, notamment les flottes de véhicules des entreprises ou encore l’efficacité énergétique des bâtiments.
Dans le même temps, le scope 2 augmente en moyenne de 5 % par an. Il s’agit de la consommation engendrée par l’utilisation proprement dite des réseaux. Elle entraine les émissions indirectes : les utilisateurs consomment des quantités croissantes de données, les équipements et réseaux doivent suivre.
L’ensemble baisse car les réductions sur les émissions directes sont plus importantes que la croissance des émissions indirectes. Cependant, l’Arcep rappelle deux points. D’une part, la baisse du scope 1, si elle avait déjà commencé, a été nettement accélérée par la crise sanitaire due au Covid-19. Les émissions directes avaient en effet augmenté en 2018 de 5 %, avant de diminuer de 4 % en 2019. En 2020, on peut parler de chute : -19 %
D’autre part, elle ne pourra pas indéfiniment se poursuivre à ce rythme. Le scope 2 représente désormais deux tiers des émissions des gaz à effet de serre et, à ce rythme, pourrait créer un rebond de la consommation et donc une nouvelle augmentation des émissions.
Celles-ci « progressent depuis 2018, à la fois en raison du déploiement des réseaux, notamment mobiles, et de l’augmentation des usages, qui constituent des facteurs d’augmentation de la consommation électrique », souligne l’Arcep. Car si le contexte sanitaire a participé à une chute rapide du premier scope, il a alimenté dans le même temps le second.
Entre 2017 et 2020, la consommation de données mobiles a ainsi été multipliée par 3, portée par la consommation électrique de l’ensemble de l’infrastructure.
Au sein du numérique, de grandes disparités selon les usages
3 800 GWh. C’est le chiffre atteint par la consommation électrique des réseaux numériques en France en 2020. Elle continue sur une augmentation régulière de 5 % environ par an, sauf en 2018 où elle avait grimpé de 10 %.
Sur l’ensemble de cette infrastructure, 85 % de la consommation provient des réseaux fixes et mobiles. Sur cette part, 58 % de la consommation provient de la boucle locale mobile, contre 27 % pour les boucles fixes. Les cœurs de réseaux et les réseaux de collecte – raccordés aux backbones permettant l’interconnexion aux boucles locales pour collecter et acheminer le trafic – représentent les 15 % restants.

Il existe donc des différences conséquentes selon les usages. La consommation des réseaux mobiles est actuellement plus du double de celle des réseaux fixes ; d’où l’intérêt de passer en Wi-Fi lorsque cela est possible (si vous n’avez pas une 4G box évidemment). Même au sein de ces derniers, il existe deux cas très différents : la consommation d’un accès cuivre est d’un peu plus de 35 kWh environ par abonnement en 2020, contre seulement 10 kWh pour un accès fibre
Des chiffres plus que doublés – respectivement 16 et 5 kWh – par rapport à ce que l'Arcep indiquait dans son bilan 2019 sur l’empreinte carbone du numérique. Interrogée, l'Arcep nous indique que les informations précédentes n'étaient que « partielles ». C'est le changement intervenu dans ses pouvoirs en 2021 qui a permis d'obtenir des informations plus substantielles.
« La substitution des abonnements sur les réseaux cuivre en RTC et DSL par les abonnements en fibre optique conduit à une baisse significative de la consommation énergétique par abonnement sur des réseaux d’accès fixe, recul qui devrait se poursuivre dans les années à venir », conclut l’Arcep. Mais cela peut entrainer un surcoût pour les clients puisque la fibre est parfois plus chère que le xDSL
Les terminaux au coeur des problématiques environnementales
Voici la problématique centrale du rapport : les ventes de terminaux, la collecte de ceux déjà utilisés et la revente en reconditionné. Les terminaux représentent à eux seuls 79 % de l’empreinte carbone du numérique. On ne parle d’ailleurs pas que de téléphones, puisque tout appareil capable d’accéder à Internet compte : tablettes, téléviseurs, ordinateurs…
« Les terminaux constituent donc un enjeu majeur de l’analyse de l’empreinte environnementale du numérique, l’accroissement de la durée d’utilisation de ces équipements sont un levier potentiel de réduction de l’impact du numérique », signale ainsi l’Arcep. Et la marge d’amélioration est énorme.
38 % des téléphones vendus en France le sont par les opérateurs. Cette part grimpe à 80 % dans les entreprises. Ils représentent donc un levier important pour faire évoluer la situation. Tout du moins en théorie.
Pour donner la mesure du problème, l’Arcep relève qu’à peine 2 % des téléphones vendus par les quatre principaux opérateurs sont reconditionnés, soit 155 000 en 2020. Or, non seulement la proportion est très faible, mais les ventes de reconditionnés en France ont atteint 21,4 millions d’unités sur la même période. Les opérateurs ont donc de sérieux efforts à faire dans ce domaine, car ils sont à la traine face à des entreprises spécialisées comme BackMarket, ne représentant que 6 % des ventes de reconditionnés.
La collecte des terminaux a même reculé en 2020 avec 870 000 unités, contre 1 113 000 en 2019 et 1 029 000 en 2018. Une chute de 21,9 % engendrée par la crise sanitaire et les confinements successifs, selon l’Arcep. Sur l’ensemble collecté, 710 000 unités ont été reconditionnées, les 160 000 restantes ayant été intégrées à une filière de recyclage.

Pour l’Autorité, les opérateurs ne sont pas vraiment en cause à ce sujet, même si la communication pourrait changer la donne. Une majorité d’utilisateurs gardent en effet leurs anciens appareils à la maison. Nous avons tous un tiroir ou un placard avec un ou plusieurs anciens téléphones, pourtant fonctionnels.
Malheureusement, l’aspect fonctionnel de l’appareil n’est pas le seul à prendre en compte, loin de là.
Durée de vie des smartphones : le sujet qui fâche
Pour faire progresser le reconditionné en France, il faut malheureusement se faire croiser plusieurs vecteurs d’améliorations. La durée de vie des smartphones doit augmenter et, pour ce faire, il faut majoritairement influer sur deux paramètres : la disponibilité des pièces détachées et le support logiciel.
C’est tout particulièrement ce dernier qui mériterait toutes les attentions. Dans ce domaine, Apple est en tête avec une moyenne de cinq à six ans pour ses téléphones. Mais même ainsi, la durée n’est pas à la hauteur des autres terminaux.
Dans le monde Android, c’est bien pire : en moyenne, les constructeurs ne s’engagent que deux ans pour les mises à jour majeures et une année supplémentaire pour celles de sécurité. C’est loin d’être suffisant, participant à la perception du smartphone comme d’un appareil « jetable », que l’on change pour un modèle plus à la mode ou parce que les mises à jour s’arrêtent, tout simplement. Et continuer à l’utiliser après cet arrêt est un trop grand danger, les failles restant ouvertes aux quatre vents. À se demander ce qu’il faut applaudir quand un constructeur annonce en grande pompe que le support logiciel passe à trois ans. Même Google donne le mauvais exemple.
Un allongement significatif du support logiciel serait accompagné, idéalement, par une meilleure disponibilité des pièces détachées, au moins des batteries. La durée de vie de ces dernières est limitée chimiquement, une conséquence de la technologie actuelle.
S’il suffisait de faire changer la batterie tous les deux à trois ans pour que l’appareil fonctionne six, sept ou même huit ans, une étape importante serait franchie. À condition que les mises à jour logicielles suivent.
Les prochaines éditions de l’enquête seront plus complètes
Cette première édition vient poser des chiffres bienvenus sur un sujet dont l’importance croissante est en phase avec les enjeux environnementaux. La pression va s’accentuer, et elle proviendra en partie de l’Arcep.
L’Autorité précise en effet que les prochains éditions de l’enquête seront plus riches. Ses pouvoirs ayant été renforcés l’année dernière, elle va « progressivement étendre sa collecte de données, jusqu’à présent limitée aux seuls opérateurs télécoms, à d’autres acteurs du numérique comme les fabricants de terminaux ou les opérateurs de centres de données ».
La plateforme « Pour un numérique soutenable » devrait également accueillir un plus grand nombre d’acteurs. Pour rappel, elle invite associations, institutions, opérateurs, entreprises du numérique et personnalités à s’y pencher pour obtenir autant de contributions que possible. Comme on l’a vu, la marge de progression est conséquente, et il est probable qu’un cadre juridique plus strict soit nécessaire pour forcer la main des entreprises, en particulier sur le support logiciel.
Un cadre qui évolue déjà cependant, comme on l’a vu avec l’indice de réparabilité, loin d'être parfait. Il évoluera encore, notamment en Europe avec une série d’armes en cours d’affutage pour renforcer la protection des consommateurs. Si entre temps le même cadre n’émet pas de signaux contraires supplémentaires, comme ce fut le cas avec la redevance copie privée appliquée aux téléphones reconditionnés.