Livres : les députés face au pari de la future loi anti-Amazon

Viser l'ogre, frapper le petit-Poucet
Droit 9 min
Livres : les députés face au pari de la future loi anti-Amazon
Crédits : ollo/iStock

Un pari. Voilà comment le rapport de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale décrit la disposition centrale du projet de loi, celle de l’instauration d’un prix plancher pour la livraison des livres. Le texte sera examiné demain en séance devant les députés. 

Si le texte est taillé, ciselé contre le géant Amazon, sans équivalent sur le marché de la vente électronique de livres, les rapporteurs caressent l’idée d’un « scénario optimiste ». Celui où « certaines librairies de taille moyenne parviendront à s’aligner sur ce tarif minimum et pourront ainsi devenir aussi compétitives que les entreprises qui pratiquent aujourd’hui la quasi-gratuité ».

Les députés savent néanmoins que « pour gagner des parts de marché, il leur sera toutefois nécessaire, en parallèle, d’agir sur d’autres leviers : l’organisation du réseau, la praticité des outils de commande, leur visibilité, la disponibilité des titres en « cliqué-retiré », la rapidité et la qualité de la livraison, la prescription en ligne via les réseaux sociaux notamment, etc. »

En clair, n’est pas Amazon qui veut et l’autre face de ce pari est funeste : celle où les petits libraires seront incapables de rivaliser avec le géant, qui lui n’aura aucune difficulté à absorber la pierre angulaire du texte, à savoir la fixation d’un tarif minimal pour les frais attachés aux livraisons de livres.

Le cœur de cette disposition est aux premières loges de la proposition de loi « visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs », déjà adoptée par le Sénat en juin dernier.

Le bilan mitigé des précédents textes

Trois piliers législatifs en la matière. L’inévitable loi de 1981 sur le prix du livre oblige les détaillants à pratiquer un prix de vente du neuf compris entre 95 et 100 % du tarif éditeur. La mesure a été étendue aux livres numériques en mai 2011. Face à la marée Amazon, la loi du 8 juillet 2014 a resserré plusieurs boulons

« Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur. Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit ».

Cette loi de 2014 a ainsi interdit cette décote de 5 % sur le prix du livre vendu à distance tout en interdisant la livraison à titre gratuit. « Depuis la loi du 8 juillet 2014 relative aux conditions de vente à distance des livres, nous ne sommes plus autorisés à vous offrir ni les 5% de remise sur les livres, ni la livraison gratuite » résumait Amazon dans une FAQ dédiée

Amazon comme d’autres n’ont pas tardé à réagir. Le jour de l’entrée en vigueur de la loi, ils ont facturé les frais de port à… 1 centime pour les clients non-membres du programme payant Prime... un montant effectivement « supérieur à zéro ». Un texte à l’efficacité très relative où « les librairies indépendantes de taille moins importante ne peuvent offrir de tels tarifs de livraison et sont contraintes de répercuter entièrement ou presque le tarif de l’opérateur postal », dixit le rapport de la commission des affaires culturelles.

Pour s’en convaincre, un petit tableau comparatif où on voit qu’Amazon, cible du texte de 2014, s’en sort bien, avec des tarifs bien moindres que Leslibraires.fr ou LaLibrairie.com.

comparaison livre
Crédits : Assemblée nationale

Le bilan de l’application ? « Mitigé » note la commission, très poliment, non sans relever que « son objectif peut être considéré comme atteint en ce que l’acheteur a toujours intérêt à se rendre dans un point de vente physique où, même sans décote, il s’acquittera d’un montant obligatoirement moins élevé, fût-il d’un centime ».

Cependant, les petites librairies demeurent en situation de faiblesse. « Aussi une évolution législative apparaît-elle nécessaire pour aller au bout de la démarche législative débutée en 2014 ».

Un tarif minimal pour les livraisons de livres

Dans ses rouages, le texte vient non seulement interdire la gratuité des frais de port, directement ou indirectement, sauf lorsque le livre « est retiré dans un commerce de vente au détail de livres ».

Il prévoit aussi que les ministères de la Culture et de l’Économie fixent par arrêté le montant minimal de facturation de ces envois. En somme, les vendeurs en ligne pourront choisir librement le tarif d’expédition, sans jamais être sous ce minimum. L’arrêté devra tenir compte « des tarifs proposés par les prestataires de services postaux sur le marché de la vente au détail de livres et de l’impératif de maintien sur le territoire d’un réseau dense de détaillants ». En clair, il devra être suffisamment dissuasif pour inciter les personnes à se rendre chez un libraire plutôt que d’acheter en quelques clics.

Autre mesure, plébiscitée par les éditeurs et qui fut très discutée lors des débats autour de la charte sur le prix unique du livre en 2018 : les sites qui vendront « simultanément des livres neufs et des livres d’occasion », qu’ils soient des cybervendeurs ou des places de marché, devront s’assurer « que le prix de vente des livres est communiqué en distinguant, à tout moment et quel qu’en soit le mode de consultation, l’offre de livres neufs et l’offre de livres d’occasion ».

En somme, il faudra bien distinguer dans les rayons, ces deux produits, afin que l’affichage du prix des livres ne laisse pas penser au public « qu’un livre neuf puisse être vendu à un prix différent de celui qui a été fixé par l’éditeur ou l’importateur ». C’est un décret qui en détaillera les modalités d’application. Selon Géraldine Bannier, rapporteure, « celui-ci devrait, en tout état de cause, conduire à encadrer plus fermement la pratique des prix barrés et prohiber la mention "comme neuf", à laquelle peuvent aisément être substitués d’autres termes non équivoques, tels que "en parfait état" ».

Les débats en 2018 furent tels, qu’aucun accord n’avait été trouvé avec les acteurs du e-commerce. Le rapport de la Commission des lois relève qu’aujourd’hui, « sur Amazon.fr, si le prix unique du livre neuf vendu par l’entreprise apparaît clairement, les mentions relatives aux offres de tiers entretiennent la confusion, puisqu’est indiqué le prix le plus bas pratiqué par des vendeurs tiers – en occasion, donc inférieur au prix fixé par l’éditeur pour le livre neuf – assorti de l’indication commune "offres de produits d’occasion et neufs". Sur d’autres sites, comme Leslibraires.fr, il règne une confusion plus grande encore ; les livres d’occasion ne sont pas systématiquement signalés comme tels sur la page de recherche ». Seuls des acteurs comme la FNAC ou Chapitre ont fait une distinction qui satisfait la commission. Et celle-ci de publier une nouvelle comparaison, exemple à l’appui :

comparaison livre
Crédits : Assemblée nationale

Le projet de loi, qui comprend d’autres dispositions importantes notamment sur le dépôt légal, sera débattu demain à l’Assemblée nationale.

Concours Lépine d'amendements 

23 amendements ont été répertoriés, à l’heure où nous rédigeons ces lignes. L’un veut étendre l’arrêté sur le prix minimal à tous les « supports papiers » culturels afin d’y intégrer les partitions de musique et les livres d’occasion.

Selon le député Jean-Marc Zulesi (LREM), « en effet, le risque est grand que les plateformes concernées par une obligation du montant minimal de la livraison pour un livre neuf reportent leurs activités sur la vente d'autres œuvres papier comme les partitions de musique ou les livres d’occasion ». Il admet que son amendement est « issu d’un travail avec les libraires de la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône ».

D’autres députés LREM souhaitent le même régime s’agissant des systèmes d’abonnement ou de fidélisation. « Cet amendement d’appel vise à préciser que les dispositifs d’abonnement ou de fidélisation mis en place par les plateformes de vente en ligne ne peuvent permettre de contourner l’application du montant minimal de tarification ». En somme, l’idée est sans doute d’apporter un éclairage sur les ventes de livres à destination des abonnés Prime. Devront-ils payer en sus les frais d’expédition ?

Évidemment, quand on imagine un régime taillé contre Amazon, le risque est grand de taper sur des petits. L’amendement 20 de deux députés MoDem veut assurer la gratuité du portage de livres « lorsqu’il est effectué directement par un commerce de vente au détail de livres dans sa commune d’implantation ou, si le commerce est implanté dans une commune de moins de 10 000 habitants, dans un rayon de vingt kilomètres autour de son lieu d’implantation. »

Sa cible ? « En zone rurale, nombre de librairies effectuent un portage gratuit des commandes aux personnes âgées ou ayant des difficultés à se déplacer. Ces actions participent à la conservation du lien social, à la lutte contre l'isolement, et à l'accès à la culture. Les dispositions de l'article premier obligeraient les libraires à facturer cette prestation ». 

Jean-Marc Zulesi voudrait aussi réserver le cas de l’auto-édition, qui serait exempte de la nouvelle tarification. 

Dans l’amendement 21, ces deux mêmes députés, Blandine Brocard et Bruno Millienne, entendent soumettre à autorisation l’implantation dans un centre commercial d’une librairie, alors que sont implantées d’autres acteurs identiques dans les communes proches.

Dans le camp de la France Insoumise, l’idée retenue est tout simplement de soumettre à autorisation commerciale « les entrepôts de stockage de livres neufs du e-commerce », d’une surface supérieure à 1 000 m2. Le groupe a déposé un autre amendement, plusieurs fois tenté par le passé, afin de créer un nouveau critère de rattachement à notre fiscalité : la présence numérique significative en France, où « si une entreprise numérique a une activité suffisamment importante en France (plus de 100 000 utilisateurs français et plus de 3 000 contrats conclus avec des acteurs français) alors ses revenus tirés de son activité française doivent être déclarés au fisc français ». 

Dans ce nouvel amendement, LFI veut instituer au profit de l’État, « une contribution exceptionnelle ». Elle concernerait « les grandes entreprises de la vente à distance proposant notamment des livres neufs », dont le chiffre d'affaires serait égal ou supérieur à 750 millions d'euros. « Une taxe exceptionnelle sur les profiteurs de crise », dixit l’exposé des motifs, qui note qu’ « Amazon a augmenté de 40% ses ventes au deuxième trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019 ».

L'idée serait de taxer à 50 % « le surplus de bénéfices réels réalisés pendant la crise, au regard du résultat sur la même période l'année précédente ». Là encore un texte réchauffé, tout comme cet amendement qui veut taxer les œuvres durant 70 ans après le décès des auteurs afin de financer « un domaine public commun ». 

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