Le lobbying des ayants droit a porté. Le gouvernement a déposé un amendement pour valider le barème de la redevance copie privée (RCP) sur les biens reconditionnés.
C’est le 10 juin prochain que les députés examineront en séance la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Sensibilisé à la cause des ayants droit, le gouvernement a décidé d’aller à l’encontre de l’objet de cette loi, appuyant la récente délibération de la Commission copie privée visant à frapper les produits reconditionnés. Avant de nous plonger dans cet amendement et ses coulisses, petit retour magnéto.
Le 1er juin, l’instance chargée d’établir assiette et taux de la redevance adoptait un barème spécifique à ces produits en seconde vie. Les tarifs grimpent jusqu’à 9,10 euros pour une tablette avec 128 Go de stockage remise sur pied, et 8,40 euros pour un smartphone de même capacité. Soit -40 % et -35 % du neuf (14 euros en crête pour l’un et l’autre de ces segments).
Ce barème a été publié au sein du Journal officiel le 6 juin. Ils entreront en vigueur le 1er juillet prochain.
Une adoption qui n’est pas une surprise : les ayants droit tiennent en effet les leviers de cette commission abritée par le ministère de la Culture. Si elle est théoriquement paritaire, 12 redevables face à 12 bénéficiaires, sa composition est déséquilibrée puisque les 12 redevables sont divisés en deux clans, d’un côté 6 consommateurs, de l’autre 6 industriels, qui ne parlent pas de la même voix, contrairement aux sociétés de gestion collective.
Ce barème a été adopté par 15 voix « pour », celles des 12 ayants droit, outre celles du président et de deux associations de consommateur. L’une, l’Adeic, était autrefois très critique à l’égard de la Commission. Elle se plaignait à cette occasion d’un manque de subventions au profit du monde associatif. L’autre, l’Indecosa-CGT, est représenté par un certain Franck Lavanture. Celui-ci nous avait indiqué avoir été autrefois « dans les organismes sociaux de l’action culturelle ». On retrouve d’ailleurs ce nom dans les rangs du SYNPTAC-CGT, le Syndicat National des Professionnels du Théâtre et des Activités Culturelles.
Les 6 industriels se sont tous abstenus. Plus qu’un acquiescement du bout des lèvres, il faut y voir une forme d’opposition silencieuse… Et pour cause, plusieurs nous ont confié leur crainte de voir le barème du neuf exploser un peu plus, si les barèmes sur les reconditionnés n’étaient pas adoptés.
Les reconditionneurs, eux, n’ont pas eu voix au chapitre, et pour cause s’ils ont été rapidement auditionnés, ils ne disposent pas de représentants autour de la table. Et pourquoi devraient-ils d’ailleurs disposer d’un droit de vote alors qu’ils ont été mis dans la boucle de la redevance copie privée seulement suite à une vague d’assignations en justice à compter de fin 2020 par Copie France, le collecteur de la dîme culturelle.
Du Sénat à l’Assemblée nationale
Le psychodrame s’est poursuivi en parallèle au Parlement. En janvier 2021, au Sénat, Patrick Chaize a d’abord fait adopter un amendement visant à interdire cette redevance sur le dos des produits reconditionnés. La RCP, écrit-il au sein de l’article 14 Bis B, « n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération ».
À l’Assemblée nationale, cette disposition a été confirmée en commission du Développement durable. Mieux, le député LREM Eric Bothorel a profité de la fenêtre pour faire passer un autre amendement réclamant cette fois du gouvernement un rapport sur les rouages brumeux de la Commission copie privée, non sans argumenter :
« Face à l’élargissement régulier de l’assiette de la RCP et du manque de transparence du fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée, il est légitime que le Parlement se saisisse de cette question et demande au Gouvernement un rapport sur ce sujet. »
Il n’en fallait pas moins pour que les industries culturelles sortent l’artillerie lourde, avec comme grosse Bertha une pétition de « 1 661 artistes », dixit le JDD, mais où l'on trouve pêle-mêle des directeurs, des administrateurs, une juriste, ou le directeur général de la SCAM, société de gestion collective qui perçoit une partie de la redevance…
En appui de cette pétition, les doigts culturels se sont pointés sur Back Market, « écrasant leader en France de la vente de produits électroniques reconditionnés qui capte 85% de ce marché », mais sans préciser que la redevance ne frappera pas cette place de marché, mais les vendeurs qui passent par elle, dont cette antenne d’Emmaüs.
L’amendement du gouvernement
C’est donc dans ce contexte que le gouvernement a déposé un amendement riche de deux alinéas :
« Pour les supports d’enregistrement d’occasion ou ceux intégrés dans un appareil d’occasion au sens de l’article L. 321‑1 du code du commerce qui font l’objet d’une mise en circulation après avoir subi des tests portant sur leurs fonctionnalités et établissant qu’ils répondent aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre ainsi que, le cas échéant, avoir été l’objet d’une ou plusieurs interventions afin de leur restituer leurs fonctionnalités initiales, notamment leurs capacités d’enregistrement, la rémunération due doit être spécifique et différenciée de celle établie pour les supports d’enregistrements neufs de même nature. Pour établir le montant de la rémunération, la commission, définie à l’article L. 311‑5 du présent code, tient compte des différences des capacités d’enregistrement des supports, des usages ainsi que de la durée d’utilisation des appareils.
« Le montant de la rémunération fixée pour les supports visés à l’alinéa précédent ne pourra être modifié avant le 31 décembre 2022. »
Cette disposition s’intéresse aux barèmes des biens reconditionnés, en surface pour les encadrer mais avant tout, pour autoriser cette perception. Déjà, ces barèmes pourront concerner aussi bien les supports d’occasion que ceux intégrés dans un matériel. Ce champ embrasse celui des smartphones et des tablettes, mais est en réalité beaucoup plus vaste. Avec une telle approche, c’est tous les biens neufs aujourd’hui soumis à redevance qui pourront faire l’objet d’un barème spécifique lors d’une vente d’un bien ou d’un support reconditionné.
Pour définir le « bien d’occasion », le gouvernement s’appuie en premier lieu sur le Code de commerce, à savoir « les biens qui, à un stade quelconque de la production ou de la distribution, sont entrés en la possession d'une personne pour son usage propre, par l'effet de tout acte à titre onéreux ou à titre gratuit, ou ont subi des altérations qui ne permettent pas leur mise en vente comme neufs ». En clair, même les dons pourraient faire l’objet d’un tel assujettissement.
Une deuxième condition est exigée : lors de leur mise en circulation, ces biens d’occasion devront « avoir subi des tests portant sur leurs fonctionnalités et établissant qu’ils répondent aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre ». Le cas échéant, ils pourront avoir été placés entre les mains d’un technicien pour restaurer « leurs fonctionnalités initiales, notamment leurs capacités d’enregistrement ». La définition reprend celle adoptée en Commission copie privée.
Une fois ces biens identifiés, le gouvernement prévient que la redevance due devra faire l’objet d’un barème spécifique, différent de celui du neuf et établi en tenant compte notamment des usages et de la durée d’utilisation.
Relevons enfin que le dernier alinéa sacralise les barèmes adoptés par la Commission jusqu’au 31 décembre 2022.
Pendant un an et demi, Emmaüs devra donc payer la redevance copie privée, pour chacun des téléphones reconditionnés extrait de son économie circulaire, selon le tarif publié au Journal officiel. Au-delà, les barèmes pourront rester stables, mais une nouvelle délibération devra être prise.
En motivation de son amendement, le gouvernement assure que les études d’usage réalisées en avril 2021 ont fait état « d’usages différenciés entre un appareil neuf et un appareil reconditionné : une durée moyenne de détention moindre du support reconditionné et un léger différentiel d’usage ». Et « ces raisons ont conduit la commission copie privée à adopter le 1er juin un barème spécifique pour les produits reconditionnés avec une décote de 35% sur les tablettes et de 40% sur les smartphones ». Sauf que ni le gouvernement, ni les ayants droit, ni la Commission n’ont publié ces résultats. Next INpact corrige le tir, en vous dévoilant ces résultats.
L'étude d'usages que n'a pas diffusé la Commission Copie privée
L’étude d’usages est assez particulière puisque pressés par le temps, les ayants droit n’ont pas souhaité réaliser une pleine et entière analyse des pratiques de copies sur les smartphones et tablettes reconditionnées. Ils se sont limités à un questionnaire où en substance il a été demandé à 1 760 détenteurs de smartphones et 300 possesseurs de tablettes elles aussi reconditionnées s’ils copiaient plus ou moins que sur leur ancien appareil.
L’étude prend soin de relever en premier lieu que « les possesseurs d’appareils reconditionnés sont bien plus jeunes que la moyenne nationale. Davantage de femmes ont un smartphone reconditionné ». Ce sont donc ces catégories de personnes qui seront appelées à payer plus que les plus âgés ou les hommes.
Autre enseignement, plus de la majorité sont « CSP- » ou inactifs. La redevance va donc davantage frapper les plus pauvres, comme l’a anticipé l’UFC Que Choisir lorsqu’elle a relevé que l’effet inflationniste de la RCP serait plus violent pour les consommateurs modestes, frappant les appareils indépendamment du prix de vente, mais selon le seul critère de la capacité. Elle a d'ailleurs décidé d'attaquer ce barème devant les juridictions administratives.
Des échantillons ridiculement faibles
« L’utilisation qui est réalisée avec un appareil reconditionné est globalement similaire à celle que les consommateurs auraient avec un appareil neuf » affirme l’étude financée par et pour les ayants droit.
64 % des personnes interrogées affirment utiliser le téléphone reconditionné de la même manière, 26 % de manière assez similaire. Ces chiffres sont respectivement de 59 % et 25 % sur les tablettes. Cependant, page 5 on découvre que si sur le marché des smartphones, 962 utilisateurs disposaient déjà d’un tel équipement préalablement, sur les 300 utilisateurs de tablettes, c'était le cas de 144 individus.
Ce sont donc les pratiques de 144 personnes qui servent d’appui au gouvernement pour soutenir l’assujettissement des iPad et autres modèles d’occasion dans toute la France. D’ailleurs, quand il leur est demandé quelle était la capacité de leur ancienne tablette, 5 % de 144 répondent entre 257 Go et 512 Go, soit un peu plus de 7 personnes. 1 % de cette cohorte avait une tablette supérieure à 1 To… des échantillons totalement ridicules !
Surtout, rappelons que les études d’usages sur les smartphones et les tablettes réalisées en 2017 que nous avions obtenues via procédure CADA, la Commission Copie privée ayant trainé des pieds pour assurer instinctivement la nécessaire transparence. 86 occurrences « base faible » ponctuaient l’étude dédiée aux téléphones, 94 expressions « base faible » entachaient l’étude consacrée cette fois aux tablettes.
Conclusion : lorsqu’en 2021, les ayants droit ont demandé aux quelques amateurs de reconditionné s’ils copiaient autant, plus ou moins qu’avec leur ancien équipement, ils se sont servis d’un sentiment d’équivalence pour déterminer un barème de -35 % et -40% par rapport à celui du neuf, qui lui-même avait été calculé sur des bases très incertaines. C’est sur cette construction marécageuse que les députés sont appelés à se prononcer le 10 juin.