« La 5G fait peur et suscite contre elle une mobilisation inédite »

Des anti-Linky se transforment en anti-Linky-5G
Mobilité 12 min
« La 5G fait peur et suscite contre elle une mobilisation inédite »
Crédits : Brosko/iStock

Alors que certains promettent monts et merveilles avec la 5G et veulent la déployer au plus vite, d’autres freinent des quatre fers au nom du principe de précaution. Les réseaux sociaux et YouTube font office de « chambre d’écho » à cette controverse, déjà vue sur les antennes-relais et les compteurs communicants. 

Dans son rapport très attendu sur la 5G, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) est évidemment revenue longuement sur l’exposition aux ondes et les risques sanitaires éventuels. Mais elle a également consacré une partie non négligeable – une quarantaine de pages tout de même – à la « controverse publique associée » au déploiement de cette 5G.

Alors que l’on ne l’attendait pas spécialement sur ce sujet, elle ouvre son rapport par cette problématique, après l’introduction et les présentations d’usages. L'Agence précise que cette partie de son rapport est « purement descriptive », mais elle n’en reste pas moins intéressante à analyser. Cela a néanmoins fait réagir certains opposants, comme Marc Arazi pour qui cette controverse n’a pas sa place dans ce document.

Pour l'ANSES, la principale raison à la levée de boucliers serait que « la 5G n’est pas une technologie mobile comme les autres. C’est un assemblage d’évolutions techniques et d’évolutions d’usages qui prêtent à controverse ». 

Notre dossier sur le rapport de l’ANSES sur la 5G :

Téléphonie mobile : des standards en constante évolution

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques rappels salutaires (et techniques) pour bien comprendre le fonctionnement de cette nouvelle génération de réseau de téléphonie mobile, connue sous le nom de New Radio.

Indépendamment des fréquences, il existe la 5G Non Standalone (NSA) s’appuyant sur un cœur de réseau 4G – ce que l’on a actuellement chez tous les opérateurs en France – et la 5G Standalone (SA) qui arrivera d'ici quelques années. Il s'agit d'une suite logique dans le développement des standards de téléphonie mobile établis au niveau international par la 3GPP, chaque nouvelle version (release) étant développée sur plusieurs années, à un rythme d'une nouvelle tous les 1 à 2 ans. On parle ainsi de 5G à partir de la release 15, qui est actuellement déployée.

La release 16 a récemment été finalisée. Les travaux sont en cours pour la release 17, qui doit arriver au terme de sa conception d'ici 2022. La release 18 suivra. On ne devrait pas parler de 6G avant la release 21 attendue à l'horizon 2030, chaque grand saut se faisant tous les dix ans environ.

3GPP Release Calendrier
Crédits : 3G4G

Fréquence et génération ne sont pas toujours liées

L'une des nouveautés de la 5G est qu'elle permet d'émettre sur la bande des 3,5 GHz. C'est ce qui a donné lieu aux enchères à la fin de l'année dernière afin de répartir les blocs entre opérateurs. D'ici quelques années, elle fera de même dans les 26 GHz, afin de proposer des débits bien plus élevés, mais sur des distances plus courtes.

Comme pour les générations de téléphonie mobile précédente, ces derniers pratiquent également le refarming, c’est-à-dire de la réutilisation des bandes de fréquences et d'antennes existantes. Free Mobile le fait sur les 700 MHz, les autres opérateurs sur le 2 100 MHz. Toujours dans l’idée de partager le spectre, citons également le DSS (Dynamic Spectrum Sharing) qui permet d’émettre 4G et 5G sur une même bande de fréquence.

Comme nous l’expliquions dans la précédente partie de notre dossier, la 5G utilise le TDD pour diffuser les signaux. Ainsi, upload et download se partagent du temps sur les mêmes fréquences. Auparavant il s'agissait de FDD : upload et download étaient sur des fréquences différentes. 

Le rapport rappelle que, dès 2013, « le déploiement de la 5G a été fortement encouragé par les institutions européennes, notamment via la création et le financement […] d’un partenariat public-privé dédié à la recherche sur la thématique (5G Public Private Partnership) », avec 700 millions d’euros à la clé. Malgré cela, la France n'était pas en avance dans la course à la 5G, comme le montre cette carte faisant le point en août 2020 :

ANSES 5G

Ainsi, « à l’exception de deux sites exclusivement 5G, à la date du 1er mars 2021, tous les 21 714 sites 5G autorisés par l’ANFR […] sont des sites utilisant déjà les technologies 2G, 3G et 4G ».

Controverse « sociotechnique », critique étatique, désaccord public

L’ANSES entre ensuite dans le vif du sujet : depuis les premières annonces – en France et à l’étranger –, « la 5G est au cœur d’une controverse sociotechnique, au sens d’un désaccord public qui prend place dans plusieurs arènes, en particulier médiatiques, et qui porte autour de ses qualités, de ses impacts et de sa régulation ».

Pour la plupart, ces acteurs s’opposent au déploiement de la 5G « en raison des incertitudes scientifiques et techniques entourant les effets sanitaires ». Certains attendaient avec impatience ce rapport de l’Agence… qui arrive finalement à la conclusion qu’il manque pour le moment des études sur les bandes 3,5 GHz et 26 GHz.

Pour l’ANSES, le malaise est plus profond et prend racine dans d’anciennes problématiques : « cette controverse relance le débat sur la nocivité des ondes électromagnétiques ». Un rapport interministériel rappelait à juste titre que le sujet revient de manière récurrente sur le devant de la scène « à chaque innovation technique, comme pour les appareils à micro-ondes ménagers et, depuis les années 1990, les dispositifs de téléphonie 2G à 5G ».

Grande différence de la 5G par rapport aux précédentes générations de réseau (dont la 4G lancée il y a presque 10 ans maintenant) : les réseaux sociaux ont servi de caisse de résonance, notamment aux fausses informations, qui sont ainsi bien plus nombreuses et populaires, appuyant parfois des thèses assez délirantes.

L’ANSES s’essaye à explication qui va bien au-delà de la question des risques sanitaires : « la controverse dépasse la façon binaire de poser le débat – en matière d’existence ou d’absence de risques – et l’inscrit plutôt dans une contestation pluridimensionnelle, portant sur les différents enjeux de la nouvelle infrastructure technique et ayant comme fil rouge la critique du processus étatique de prise de décision ».

Des antennes-relais à la 5G

L'Agence est ainsi remontée jusqu’en 1998, quand les prémices de la controverse concernaient les « premières oppositions collectives contre l’installation des antennes-relais de téléphonie mobile » sont apparues. Concernant la 5G cela daterait du 13 septembre 2017 : « Ce jour-ci, 180 scientifiques et médecins de 37 pays lancent une pétition transnationale – 5G Appeal – pour alerter la Commission européenne ».

2018 est une année de « latence » et d’expérimentations en France : « La 5G n’est pas, jusque-là, objet de controverses en France, et ni les ministères concernés, ni l’Arcep, ni l’Anses ou la ANFR, ne sont aux prises avec un réel débat contradictoire et public, sur les risques ». Bref, la 5G avance seule alors que la contestation était plutôt orientée sur les compteurs communicants du type Linky.

Mais les choses changent rapidement l’année suivante selon le rapport : « La 5G devient l’objet de mobilisations à partir de janvier 2019 ». La publicisation commence quelques mois plus tard : « c’est peu avant l’été 2019 que le sujet de la controverse 5G monte en généralité, venant à être inscrit à l’agenda de quotidiens nationaux ».

Le 25 janvier 2020, est proclamée la première « Journée mondiale de protestation contre la 5G ». Ironie du calendrier, l’ANSES publie son rapport préliminaire deux jours plus tard. Les conclusions sanitaires étaient dans la veine de ce rapport final : nous manquons pour le moment d’études sur les 3,5 GHz.

Des « anti-Linky » aux « anti-Linky-5G »

Selon l’Agence, « deux associations couvrant le territoire national se distinguent nettement quant au niveau de médiatisation de leurs prises de position et actions contre le déploiement de la 5G : Robin des Toits et Priartem-Électrosensibles de France. À celles-ci s’y ajoute Alerte Phonegate, issue d’une scission avec Priartem en 2018 ».

Aujourd’hui, il y aurait une certaine « stabilité de l’environnement de la controverse 5G en matière d’acteurs », notamment concernant les collectifs informels (à l’échelle locale) : « nombre de ces collectifs ne sont pas nouveaux et prennent forme dans les territoires où existent des groupes déjà mobilisés, parfois de longue date, sur la première génération d’antennes-relais, la cause des personnes électrohypersensibles et, particulièrement, les compteurs Linky ». Ainsi, des collectifs « anti-Linky deviennent très souvent des collectifs anti-Linky-5G ».

Deux nouveaux acteurs entrent alors dans la partie : « le ministère de la Transition écologique et l’association Agir pour l’Environnement ». Le premier s’associe avec le ministère de la Santé lorsque les deux ministres (Élisabeth Borne et Olivier Véran) « adressent une lettre au Premier ministre pour lui demander "d'attendre l'évaluation de l'Anses avant le déploiement de la 5G" ». Durant cette période, Agir pour l’Environnement s’associe à Priartem.

Les pages 37 à 39 du rapport dressent une liste des « formes de mobilisation » contre la 5G, que ce soit en France ou à l’étranger. L’ANSES présente YouTube comme une « chambre d’écho » sur la question sanitaire. Elle affirme aussi que l’activité qui s’y déroule laisse « bien transparaitre le fait qu’il y a une controverse sur la 5G et ses risques sur la santé, bien plus active que ne le laisse penser une lecture rapide de la presse sur la période, ou même une consultation d’autres réseaux sociaux ».

Le rapport ajoute que les principaux acteurs de la controverse sont absents de la plateforme, comme si « l’activité discursive sur YouTube était détachée des lieux habituels de la controverse, et désencastrée des relations sociales entre acteurs institutionnels ou associatifs connus de celle-ci ». Une partie du rapport parle du lien fait par certains entre 5G et Covid-19, alors que les deux sont évidemment sans aucun rapport ; inutile de s’y attarder.

« La 5G n’est pas une technologie comme les autres. C’est un assemblage d’évolutions techniques (antennes, supports, modes de transmission des données …, bandes de fréquence) et d’évolutions d’usages qui prêtent à la controverse », affirme l’Agence en guise de conclusion. « La 5G fait peur et suscite contre elle une mobilisation inédite », ajoute-t-elle. Les promoteurs de la 5G la présente ainsi comme « autant d’avancées sur le plan technique, économique et sociétal », tandis que pour les détracteurs se sont « autant de sources de préoccupation sur le plan sanitaire, environnemental, social et politique ». Deux visions qui s'opposent, laissant peu de place au compromis.

Dans tous les cas, de nombreuses préoccupations et interrogations sont formulées par certains à l’égard des ondes utilisées par la 5G, mais les réponses ne sont pas forcément simples à trouver et surtout à comprendre. Les réponses ne sont ainsi pas simples à apporter, comme l’expliquait l’ancien président de l’Arcep (Sébastien Soriano) il y a tout juste un an : « on a fait une réunion de tous les intervenants sur ce dossier il y a quelques semaines, pour qu’on se mette effectivement à réfléchir à une stratégie de communication ».

« Si ce sont les pouvoirs publics traditionnels qui arrivent en mode "Grosse Bertha" de dire : "ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de problème avec la 5G, dormez braves gens", ça aura l’effet exactement inverse que celui recherché », ajoutait-il. Le rapport mi-figue mi-raisin de l’ANSES ne va pas aider et risque de conforter chacun dans sa position…

L’ANSES publie une liste des questions les plus courantes sur la 5G, une piste de réflexion pour les pouvoirs publics qui pourraient essayer d’y apporter des réponses simples et factuelles (l’ANSES en apporte dans son rapport) :

  • Qu’impliquent les nouvelles antennes pour l’exposition des personnes ?
  • La population sera-t-elle exposée à un rayonnement plus intense avec les téléphones mobiles 5G ?
  • C’est quoi les ondes millimétriques ? Sont-elles risquées pour la santé ?
  • Quid de la superposition/accumulation de radiofréquences ?
  • Pourquoi les limites d’exposition sont-elles différentes entre pays ?
  • Ne faudrait-il pas réviser les normes sur les valeurs limites ?
  • Est-ce que l’exposition aux champs électromagnétiques diminue les défenses immunitaires ?
  • Quels sont les effets de l’exposition des enfants et des femmes enceintes à la 5G ?
  • Quid de l’exposition chronique ?
  • Les études sur les risques : où sont les preuves ?
  • Pourquoi n’y a-t-il pas d’études sur les nouvelles ondes ? Quelles devraient être les conditions de production de ces études ?
  • Pourquoi n’y a-t-il pas de consensus scientifique sur le danger des ondes électromagnétiques ?

Et dans le reste du monde ?

Enfin, l’Agence liste les positions institutionnelles de plusieurs autorités internationales concernant les risques sanitaires liés à la 5G. Elle reprend tout d’abord une citation de l’OMS :

« À ce jour, et après de nombreuses recherches réalisées, aucun effet néfaste sur la santé n'a été lié de manière causale à l'exposition aux technologies sans fil. Les conclusions liées à la santé sont tirées d'études réalisées sur l'ensemble du spectre radioélectrique, mais, jusqu'à présent, seules quelques études ont été menées aux fréquences qui seront utilisées par la 5G. »

De son côté, la Commission européenne « n’a pas encore réalisé d’étude sur les risques potentiels pour la santé de la technologie 5G ». Elle ajoute que « les preuves scientifiques actuelles n'ont pas permis d’associer l’exposition aux champs électromagnétiques (CEM) en dessous des limites recommandées par la recommandation du Conseil n° 1999/519/EC3 avec des effets néfastes sur la santé », mais reconnait qu’il « est nécessaire d'actualiser constamment les connaissances scientifiques ».

Même son de cloche avec la FDA aux États-Unis : « il n’y a pas à ce jour de preuve scientifique solide ou crédible de problèmes de santé causés par l’exposition à l’énergie radiofréquence émise par les téléphones mobiles […] Bien que de nombreuses spécificités de la 5G restent mal définies, on sait que les téléphones mobiles 5G utiliseront des fréquences couvertes par les directives d'exposition actuelles de la FCC (300 kHz-100 GHz), et les conclusions tirées sur la base du corpus actuel de preuves scientifiques couvrent ces fréquences ».

On pourrait également citer l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne… mais toutes les conclusions vont dans le même sens : pas de risque en dessous des seuils recommandés. Certains pays appellent néanmoins à la prudence concernant les fréquences hautes dans les 26/28 GHz. Par contre, la plupart des pays « émettent des recommandations de recherche, en particulier sur les effets biologiques ».

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