Le gouvernement a notifié à la Commission européenne une série de textes pour répondre à une difficulté majeure et détailler la responsabilité pénale en matière de véhicule autonome. Dans le même temps, il entend ouvrir l’accès des données enregistrées par les véhicules modernes à de nombreux acteurs. Explications.
Lors d’une situation à risque, un véhicule autonome doit-il sacrifier le conducteur pour sauver la vie de plusieurs piétons ? L’épineuse question a redoublé d’intensité lorsqu’un tel véhicule Uber a provoqué un accident mortel en mars 2018 aux États-Unis.
L’enquête avait relevé que la conductrice avait manqué de vigilance, mais elle épinglait aussi Uber pour une surveillance inefficace des conducteurs, le piéton pour avoir traversé en dehors des passages cloutés, et les autorités publiques pour ne pas avoir assez jaugé ces véhicules autopilotés.
Une véritable distribution de mauvais points. Et autant de démonstrations que lorsqu’un tel accident se produit, la question des responsabilités n’est jamais une mince affaire. Dans un autre accident mortel impliquant cette fois une Tesla, deux conclusions différentes furent rendues par deux régulateurs compétents, la NHTSA et le NTSB.
En Allemagne, le sujet a été abordé sous un angle éthique par une commission désignée pour plancher sur la conduite autonome. Elle relevait en 2016 que « le sacrifice de personnes innocentes en faveur d'autres victimes potentielles est inadmissible, car les parties innocentes seraient alors réduites à de simples instruments ».
En 2018, une résolution du Parlement européen estimait inadaptées les règles actuelles en Europe. Dans ce texte, de simple portée politique, les eurodéputés plaidaient pour une clarification des responsabilités en cas d’accident provoqué par un véhicule complètement autonome, non sans exclure celle du fabricant au regard du « risque découlant de la mise en circulation d’un véhicule autonome en tant qu’élément de mise en danger objectif ».
En France, la réglementation sur les « véhicules DPTC » ou des véhicules à délégation partielle ou totale de conduite, a été définie par volets. Un arrêté de 2018 puis l’année suivante, un décret ont ouvert la route aux expérimentations en la matière. Emmanuel Macron a pour sa part promis un cadre de régulation à l’horizon 2022.
Le temps s’accélère. Le gouvernement vient tout juste de notifier à la Commission européenne une future ordonnance et un projet de décret d’application pour encadrer le point sensible de la responsabilité pénale.
Pour rappel, une telle notification est rendue obligatoire par le droit européen dès lors qu’un État membre souhaite réguler la « société de l’information ». Ces deux textes interviennent en particulier dans le sillage de la loi d’orientation des mobilités, publiée voilà un an, presque jour pour jour.
Son article 31 habilite en effet l’exécutif à prendre par ordonnance et dans les 24 mois, les mesures qui s’imposent, et plus particulièrement la définition du régime de responsabilité applicable. Que prévoient ces futurs textes non encore publiés au Journal officiel ?
Ventilation des responsabilités pénales
L’article 1er de l’ordonnance écarte par principe une disposition du Code de la route, celle qui prévoit aujourd’hui que « le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule ».
Ce premier alinéa de l’article L. 121-1, dit l’ordonnance, ne sera pas applicable au conducteur « pour les infractions résultant d’une manœuvre d’un véhicule dont les fonctions de conduite sont déléguées à un système de conduite automatisé, lorsque ce système exerce, au moment des faits, le contrôle dynamique du véhicule ».
Chaque mot pèse. En clair, si le véhicule est autonome, en ce sens qu’il a le contrôle dynamique à la place du conducteur, ce dernier n’est pas responsable pénalement.
Ce principe souffre néanmoins de trois exceptions, autant de cas où le conducteur retrouve ses responsabilités. Cela sera très logiquement le cas « dès l’instant où il exerce le contrôle dynamique du véhicule, le cas échéant suite à une reprise en main de celui-ci », mais aussi « en l’absence de reprise en main à l’issue de la période de transition » qui sera définie par voie réglementaire. Le projet de décret définit cette « période de transition » comme la « durée maximale de la demande de reprise en main, dont le conducteur est informé ».
Dernière hypothèse : quand le conducteur « ne respecte pas les sommations, injonctions ou indications données par les forces de l’ordre ou les règles de priorités de passage des véhicules d’intérêt général », comme les véhicules de secours.
La responsabilité du constructeur
Si le conducteur n’est pas par principe responsable, qui porte alors « le chapeau » ? Tout dépend du type d’infraction. Lors d’une atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité d’une personne avec un véhicule en conduite automatisée, c’est le constructeur, si du moins sa faute est établie.
Dans les cas moins graves, ceux sanctionnés par une simple contravention, c’est encore et toujours le constructeur qui est responsable pécuniairement cette fois même sans faute. Et quand la carte grise est établie au nom d'une personne morale, c’est toutefois elle qui assumera en principe cette responsabilité pécuniaire, sauf dans le cadre d’une requête en exonération accompagnée des données collectées par le véhicule.
On le voit, la ventilation des responsabilités dépendra avant tout du moment où le véhicule est entre les mains du conducteur ou bien en autonomie, à savoir le système d’information a le « contrôle dynamique du véhicule ». En cas de contentieux, comment démontrer ce point ?
Des données conservées un an, accessibles aux forces de l’ordre
Le choix fait par l’ordonnance est celui d’une conservation puis d’un accès aux données enregistrées par le véhicule. Le constructeur devra garantir une telle porte d’entrée pour les forces de l’ordre, mais également dans le cadre d’une requête en exonération, pour les titulaires de la carte grise lorsque l’infraction a semble-t-il était commise par une autre personne alors au volant.
Ces données devront être conservées « pendant une durée d’un an à compter de leur enregistrement ». Et c’est le projet de décret et un futur arrêté qui définiront les modalités d’application, en particulier leur périmètre. Des données pour le moins sensibles puisque, selon leur degré de précision, elles pourront enregistrer de nombreuses informations sur les déplacements d’un véhicule, soit la somme des « évènements » routiers intervenus les 365 derniers jours.
« D'un côté il y a la CNIL qui demande qu'on ne trace personne, mais de l'autre il y a la Défense qui demande que tout soit tracé » nous avait confié les équipes d’Orange, interrogées sur ses expérimentations en matière de véhicule autonome.
Devoir d’information aux consommateurs
Puisque le régime soulève des questions de responsabilité, l’ordonnance met aussi l’accent sur le devoir d’information des constructeurs. Par exemple, la décision d’activer un système de conduite automatisé sera toujours prise par le conducteur, mais il devra préalablement être informé par le système « que ce dernier est en capacité d’exercer le contrôle dynamique du véhicule, conformément à ses conditions d’utilisation ».
Dans le projet de décret d’application, lui aussi notifié à la Commission européenne, on découvre que lorsque le véhicule sera partiellement ou hautement automatisé, le conducteur aura toujours l’obligation de « se tenir constamment en état et en position de répondre à une demande de reprise en main ».
C’est encore le conducteur qui devra par exemple reprendre son véhicule en main pour « obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d'un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité », « respecter les indications données par les agents réglant la circulation », « faciliter le passage d’un véhicule d'intérêt général » ou « céder le passage » à un véhicule d'intérêt général prioritaire.
Le futur décret prévoit tout un régime d’agrément, accompagné de mesures de sécurité. Par exemple « tout système de transport routier automatisé [devra] être conçu pour éviter les accidents pouvant résulter de situations raisonnablement prévisibles dans son domaine d’emploi ».
En amont, dans le Code de la consommation, les professionnels découvriront qu’ils devront fournir au consommateur une épaisse information sur les conditions d’utilisation de ces systèmes de conduite implantés sur les véhicules.
D’autres dispositions sont prévues pour les systèmes implantés dans les transports automatisés, avec cette fois la mise en cause possible de la personne, située à l’extérieur du système, habilitée par exemple à activer, désactiver le système ou encore donner l’instruction d'effectuer une manœuvre. « Même en l'absence de tout signe d'ivresse manifeste », elle encourra une contravention de quatrième classe si elle est intervenue sous l'empire d'un état alcoolique.
Une deuxième ordonnance sur l'accès aux données de tous les véhicules
Notons enfin qu’un troisième texte, en sus de l’ordonnance et du décret, a été adressé à la Commission européenne. Il concerne la possibilité pour les officiers et agents de police judiciaire d’accéder aux données des véhicules, pas seulement autonomes, afin de déterminer les responsabilités. Cet accès se fera sur les enregistreurs d’évènements, sur une période de 6 ans.
La mesure est l’objet de nombreux travaux au Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale de Cergy-Pontoise. Comme déjà expliqués, vitesse, direction, freinage, etc. sont des informations précieuses pour confondre ou conforter des affirmations du type « je roulais à 50 km/h, j’ai immédiatement freiné lorsque j’ai vu la future victime traverser la route ».
Cet accès sera également ouvert aux assurances pour déterminer cette fois la surface d’indemnisation en cas de délégation de conduite. Dans une telle hypothèse, le gouvernement veut imposer aux constructeurs l’obligation d’assurer l’intégrité des données pendant dix ans à compter de la date de l’accident considéré.
Les gestionnaires d’infrastructures disposeront d’un accès similaire pour connaitre l’état du trafic, sachant que les données seront cette fois anonymisées.
Le texte prévoit aussi un système de notification des cyberattaques, en particulier une remontée d’information des constructeurs vers les autorités publiques afin de suivre l’état de la menace cyber.
- Télécharger le projet d’ordonnance sur la responsabilité des véhicules autonomes
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