Sécurité globale : il n'y a pas que l’article 24

Perverse PPL
Droit 13 min
Sécurité globale : il n'y a pas que l’article 24
Crédits : Assemblée natioanle

L’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale focalise les critiques. Manifestations, charges politiques, dénonciation des syndicats et des journalistes… Cette disposition n’est toutefois qu’une pierre à l’édifice. Et quand bien même serait-elle réécrite, elle va être doublée par un autre article issu du projet de loi Séparatisme.

Depuis sa révélation dans les colonnes de Next INpact à la Marche des Libertés organisées encore ce week-end, en passant par des débats houleux à l’Assemblée nationale… la proposition de loi sur la sécurité globale poursuit sa route en concentrant les attentions surtout sur son article 24.

Voté dans un texte adopté par les 220 députés LREM (10 contre, 20 abstentions), il est la scène d’un déchirement au sein même du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Même les ficelles de dernières minutes n’ont su jouer le rôle d’extincteur.

Ainsi, la commission alternative inventée par l’exécutif pour proposer une nouvelle réécriture de ce fameux article a été vécue comme un court-circuitage de la procédure législative par Richard Ferrand lui-même

Le passage à tabac de Michel Zecler, révélé par la vidéo de LoopSider, est venue apporter de l’eau au moulin des adversaires de l’article 24, pour expliquer combien était cruciale la visibilité des opérations de police.

Ce que prévoit l’article 24

Pour mémoire, l’article 24 vient introduire une nouvelle infraction dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, un texte qui apporte un cadre à l’ensemble des publications et propos des citoyens, pas seulement donc des journalistes.

Sa version a évolué avec le temps. La première, déposée par les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, était particulièrement vaste :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »

Au fil des débats en commission, il a été d’abord décidé de faire sortir le numéro d'identification individuel (dit RIO) de la liste des éléments d’identification. Et pour cause, expliquèrent les rapporteurs, sa « révélation n'est pas de nature à exposer les policiers et des gendarmes à des représailles comme vise à l'empêcher le présent article ». D’autant que théoriquement le port du RIO est obligatoire, sauf exception.

La deuxième version du texte après commission des lois :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. »

Ce n'est pas tout. Avec la fronde des journalistes, d’autres précisions ont été apportées sur l'initiative gouvernementale pour sauvegarder la liberté de la presse, avec au surplus l’exigence d’un but désormais « manifeste » :

« Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. »

Notons qu’à l’occasion de cette troisième mise à jour, l’amendement gouvernemental a étendu cette protection aux agents de police municipale.

La série est loin d'être terminée. Aujourd'hui, Christophe Castaner a annoncé que cet article serait totalement réécrit. « Il nous semble nécessaire de clarifier le dispositif juridique (...) Nous allons proposer une nouvelle écriture complète de l'article » a indiqué le président du groupe LREM à l'Assemblée. « Trop de questions subsistent alors même que jamais aucune réduction de la liberté de la presse et des images ne peut être tolérée. L'article 24 n'aurait nullement impacté la diffusion des images que nous avons vues ces derniers jours ».

Encore et toujours des fragilités, selon la CNCDH

En attendant, la v.3 de l'article 24, adoptée par les députés, souffre toujours de fragilités selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Dans son avis, elle a estimé en effet que les modifications apportées au texte « ne permettent pas d'écarter les craintes que fait peser cet article sur l’exercice des droits et libertés fondamentaux », contrairement aux affirmations du premier ministre. 

Et pour cause, le texte n’interdit pas de filmer, mais de diffuser le visage des policiers à des fins manifestement malveillantes. Un texte taillé contre le lynchage des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux, comme l’ont répété les corapporteurs. Rien de problématique à première vue… sauf que, relève la CNCDH, « il arrive déjà, en pratique, que les forces de l’ordre s’opposent, en pleine action, à ce qu’elles soient filmées ou photographiées alors même que cette interdiction est illégale ».

La crainte est donc que « cette disposition aurait pour première conséquence de fournir une base juridique possible à une telle obstruction policière ».

Des agents qui considèreraient qu’un enregistrement serait diffusé en streaming dans l’objectif « manifeste » de porter atteinte par exemple à leur intégrité psychique.

« Alors que des agissements policiers contestables sont de plus en plus souvent filmés et diffusés en direct, les forces de l’ordre pourraient, en simple phase d’investigation, en venir à fouiller et saisir des caméras en leur qualité d’instrument possible d’un délit dont la preuve reste encore à établir », poursuit l’avis. « De surcroît, l’élément moral ambigu de cette nouvelle infraction est flou et pourrait être, trop rapidement, reproché à des citoyens qui diffusent de telles images accompagnées de vives critiques à l’endroit des forces de l’ordre, critique qui relève pourtant de leur droit fondamental à la liberté d’expression en démocratie ».

« On ne peut pas poursuivre en droit pénal français des gens pour une intention, mais en réalité pour un acte ou pour un fait » avait ajouté dans le même sens… Éric Dupond-Moretti. Et le Garde des Sceaux de préciser que « cela fait partie des choses que j’ai transmises ». 

La proposition de loi ne se réduit pas à l’article 24

Dans le débat public, l’article 24 est devenu presque à lui seul la proposition de loi. Cette focalisation a le mérite d’illustrer les propos du sénateur Philippes Bas, figure emblématique à la Commission des lois, qui le considère écrit « avec les pieds ». Des députés ont souligné aussi que bons nombres d’infractions prévoient déjà de sanctionner les appels à la haine ou les atteintes aux données à caractère personnel, bref d'autres dispositions mobilisables pour sanctionner certains des messages à buts malveillants.

En attendant, au-delà, d'autres articles méritent malgré tout une attention identique.

Deux exemples. L’article 22 du même texte offre la possibilité aux services de faire décoller des flottes de drones et autres aéronefs, équipés de caméras pour :

  • prévenir les incidents au cours des interventions
  • faciliter le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves
  • assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public
  • faciliter la surveillance des littoraux, des eaux intérieures et des zones frontalières
  • réguler les flux de transport

Un changement d’ampleur pour ces aéronefs qui n’étaient jusqu’alors encadrés par aucune disposition et servaient surtout à mobiliser les forces aux points considérés comme chauds en particulier durant les manifestations.

La finalité relative aux infractions pénales concerne… toutes les infractions pénales et autorisera des traitements de données personnelles lorsque le visage ou autres éléments d’identifications seront captés depuis les airs. « Les drones ne représentent pas seulement une nouvelle technologie de surveillance, mais induisent un nouveau type de rapport entre police et population, caractérisé par la défiance et la distance » a fustigé la CNCDH, non sans deviner les premières esquisses d’une « société panoptique ».

« Couplées à des technologies d’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale par exemple, ces données pourront être croisées avec des fichiers de police (par exemple le fichier de Traitement d'antécédents judiciaires - TAJ) » prévient-elle, alors que tous les amendements visant à interdire ce couplage furent rejetés en commission comme en séance.

Deuxième exemple. L’article 25 de la proposition de loi autorise policiers et gendarmes à porter leur arme hors service lors de l’accès à un établissement recevant du public (salle de spectacle, stade de sport, grand centre commercial), alors que cette possibilité est aujourd’hui conditionnée à l’accord du gérant des lieux. C’est un décret qui en précisera les détails pratiques.

« Je fais partie de ceux qui craignent une banalisation du port d’arme – aujourd’hui au profit de la police nationale ; demain, au profit des policiers municipaux et des agents privés de sécurité ; après-demain à tout titulaire régulier d’un port d’arme » avait estimé la députée Modem Laurence Vichnievsky, le 5 novembre dernier. « Plus on a d’armes en circulation, plus on augmente le risque d’accidents. C’est assez classique » avait embrayé le député Paul Molac.

Des arguments repoussés par Jean-Michel Fauvergue, corapporteur LREM du texte : « prenons l’exemple du Bataclan : il y avait sur place au moins trois policiers, dont un couple de commissaires de police. L’un des commissaires, percuté par une balle de kalachnikov, est resté handicapé ; sa femme a été traumatisée ; je ne sais pas ce qu’il est advenu du troisième. S’ils avaient eu leurs armes, ils seraient intervenus, auraient pu mettre fin à l’agression, en jouant de l’effet de surprise, et changer le cours de cette soirée qui a fait près de 100 morts rien que dans la salle de spectacle ».

« Comme vous, évidemment, j’aurais voulu empêcher le meurtre de victimes, a rétorqué Laurence Vichnievsky. Mais on ne peut pas réécrire l’histoire et on ne sait pas ce qui se serait passé à supposer que les policiers présents sur place aient été armés, s’ils auraient pu éviter le massacre ou le limiter, ni dans quelles proportions. (…) Nous ne voulons naturellement pas que le Bataclan soit notre quotidien. Or c’est pour le quotidien que nous légiférons. Nous avons toujours dit que nous ne voulions pas faire des lois d’exception, répondant à un événement exceptionnel. Notre législation antiterroriste est déjà très dérogatoire et, heureusement, très protectrice ».

Tous les amendements de suppression furent rejetés et la proposition a été adoptée le 16 novembre par la majorité des députés.

Bye bye l’article 24 ? Bonjour l’article 25 du projet de loi Principes Républicains !

Nul ne sait pour l'heure quelle sera la rédaction plébiscitée par Christophe Castaner. En attendant, un autre article 25 sera bientôt sur les écrans de l’Assemblée nationale, une fois déposé un projet de loi, texte d’origine gouvernementale donc.

Il vient faire concurrence au fameux article 24 de la proposition de loi LREM, elle-même soutenue par l’exécutif. Ce projet de loi contre le séparatisme, devenu celui « confortant les principes républicains » vient mettre en scène une disposition proche :

« Le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelques moyens que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »

« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende »

En l’état, il s’intègrerait au Code pénal, non dans la loi de 1881. Conséquences mécaniques : les prescriptions passeraient alors de 3 mois (loi) à 6 ans (délits dans le code). De même, la comparution immédiate serait désormais possible.

Ce texte est soutenu par le ministère de la Justice, celui-là même qui nous expliquait impossible de sanctionner une intention.

Autre chose, il est beaucoup plus vaste, puisque l’acte matériel n’est plus la diffusion d’une image du visage d’un policier ou d’un gendarme, mais n’importe quelle information se rapportant à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne. Il faudra en outre que cette information permette d’identifier la personne ou même seulement de la localiser. L’ombre de l’attentat contre Samuel Paty n’est évidemment pas étrangère.

On retrouve une finalité : cette fois, il s'agira du but d'exposer la future victime ou les membres de sa famille à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens.

Le quantum des peines dépendra du statut : lorsque la victime est un citoyen « ordinaire », la sanction maximale sera de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Pour les personnes dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

L’article 24 de la PPL aiguisé par le Digital Service Act

Un autre effet inattendu de l’article 24 relatif à l’image des policiers risque de se produire à l’occasion du cadre européen relatif au Digital Service Act.

Un effet « sans doute bien supérieur à ce qui est aujourd’hui imaginé » rapporte l’ASIC, l’association qui défend les intérêts des acteurs du web communautaire et compte dans ses rangs Facebook, Google ou encore Twitter.

Giuseppe de Martino, son président, relève dans une tribune publiée par les Échos qu’ « en demandant aux plateformes de "limiter la viralité de contenus", de "supprimer dans un délai très court", voire "d’empêcher ces contenus de réapparaître", l’effet cumulé de cette disposition nationale aux contours très flous avec le cadre européen en préparation aura un impact sans précédent sur la liberté d’information ».

Un impact sans précédent ? « Les plateformes seront tenues de supprimer rapidement toute vidéo mettant en scène un policier, voire limiter sa viralité, et le tout sous le contrôle et une sanction des autorités. Aucun juge n’interviendra. Aucune décision ne sera prise permettant de dire le droit. Ces entreprises seront seules tenues, au risque d’être elles-mêmes responsables, de couper l’accès à cette information ».

« L’effet ricochet de l’application de la loi française conjugué au futur cadre européen fait frémir » réagit encore celui qui est fondateur de Loopsider, site qui a révélé la vidéo du tabassage de Michel Zecler. « Le temps perdu jusqu’à aujourd’hui sur cette disposition aurait sans doute pu être utile à d’autres discussions, comme par exemple renforcer les capacités permettant la poursuite effective et rapide des auteurs de propos haineux ».

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