Pour 388, contre 104. La proposition de loi sur la sécurité globale a été adoptée à une large majorité par l’Assemblée nationale. Next INpact revient sur ce texte et ses articles les plus importants, dans le cadre d’une série de questions/réponses.
La « PPL » sur la sécurité globale, portée par la majorité, a été adoptée à l’instant. Elle termine donc sa première lecture à l’Assemblée nationale.
Lors des explications de vote, Thomas Rudigoz (LREM) a salué le continuum de sécurité orchestré par ce texte. Chez les MoDem, Patrick Mignola a considéré que plusieurs progrès avaient enrichi les articles au fil des débats. Sur l’article 24 relatif aux images du visage des policiers, il a considéré que la cible était les harceleurs, les hargneux, mais pas les journalistes.
Désormais, affirme-t-il, le texte apporte les garanties suffisantes. Un texte qui vient « protéger ceux qui nous protègent », pour Dimitri Houbron (Agir ensemble). « Une proposition totalement équilibrée ». « Sur le fond, la proposition apporte énormément de points positifs pour les policiers et gendarmes », a commenté Christophe Naegelen, avant de relever que son groupe UDI et Indépendants votera majoritairement « pour ».
Les critiques ont été toutefois nombreuses. « Le cadre que vous proposez (…) n’est pas suffisamment circonscrit » a regretté Paul Molac (Libertés et Territoires). Le député a répété son souhait d’interdire la reconnaissance faciale sur les flux vidéo captés par les forces de l’ordre. Cependant, « de manière incompréhensible, vous avez rejeté notre amendement ». À la place, « vous nous demandez de voter une loi (…) qui portera atteinte à la vie privée des citoyens ». Et l’élu de signaler les nombreux problèmes de constitutionnalité de cette proposition.
« Alerte ! » s’est exclamé pour sa part Jean-Luc Mélenchon, agacé de voir s’empiler les textes sécuritaires, dont cette « PPL », nouvelle brique d’« un régime autoritaire dont le but est de contrôler tout le monde, partout ». Et celui de dénoncer la « cage électronique » dans lequel le gouvernement entend enfermer les citoyens. « Il n’y a pas de honte à reculer quand on se rend compte que la voie sur laquelle on s’est engagé nuit à la patrie ».
Stéphane Peu (Gauche Démocrate et Républicaine) a lui condamné le marketing autour des drones et des caméras. L’article 24 sur le visage des policiers : « voilà un article très efficace pour brider la liberté d’expression et la liberté de la presse ». Et celui-ci de réclamer « une police basée sur l’humain, moins sur l’algorithme et les technologies ». Une « pente fatale ».
Éric Diard (LR) a jugé que la version de l’article 24 ne permettra pas d’empêcher la censure du Conseil constitutionnel. Il aurait aussi préféré que l’infraction de diffuser le visage des policiers soit inscrite dans le Code pénal plutôt que dans la loi de 1881. Il a considéré par ailleurs que l’article sur les drones risquait d’être en contrariété avec le principe du respect de la vie privée. Néanmoins le groupe LR a voté pour ce texte.
Selon Hervé Saulignac (PS), le fameux article va générer de nombreux contentieux. « Vous punissez tous les Français dont vous malmenez les libertés ». Toujours d’après lui, l’image devient « un moyen de contrôle non un outil de transparence au service de la vérité et de la démocratie ».
Que retenir de ses principales dispositions ? Next INpact vous propose une série de questions et réponses.
L’article 24, qui a fait les gros titres, va-t-il vraiment interdire de filmer le visage des policiers ?
Le texte introduit une nouvelle sanction dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, un texte qui concerne la liberté d’expression et d’information non seulement des journalistes, mais également de tous les citoyens.
Le texte punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, dans le but manifeste de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique, l’image du visage d’un policier ou d’un gendarme, ou de n’importe quel autre élément d’identification. Par contre, l’interdiction ne concerne pas le RIO, le fameux numéro d’identification individuel censé être visible, et qui pourra toujours être diffusé.
Il faut distinguer la théorie et la pratique. En théorie, c’est la diffusion dans un but malveillant qui est punie, non la captation de l’image. Nuance. En pratique, la situation est beaucoup plus complexe.
Déjà une captation peut être concomitante à un stream. Surtout, les forces de l’ordre, y compris les policiers municipaux, suite à un amendement gouvernemental, seront aux premières loges pour déterminer si cet enregistrement/diffusion est fait dans un but manifestement malveillant.
Qu'est ce que le but malveillant ?
Ce critère de finalité est la pierre angulaire du texte : le « but malveillant » vient sonder l’intention de la personne qui diffuse. Elle permet donc aux policiers de jauger, avec un taux de prédiction proche d’une boule de cristal, une intention. Il n’y a finalement pas d’autre acte ou fait concret que la prise de vue, même si l’intention devra être manifeste, donc visible, bruyante.
La crainte des journalistes, mais également de toutes les personnes qui couvrent les manifestations, est que des mesures de restrictions, allant de la saisie du matériel à la garde à vue, s’abattent aléatoirement sur les personnes filmant ce qu’ils pensent être des violences policières.
Certes, un juge pourrait prononcer finalement des relaxes, mais qu’a posteriori, donc une fois fait le mal à la liberté d’information ou d’expression.
Pour convaincre l’Assemblée nationale au vote de ce texte, Gérald Darmanin a pris plusieurs exemples :
« En Île-de-France, une « militante anti-flic » – je mets naturellement l’expression entre guillemets – qui s’était mis en tête de filmer des policiers sur la voie publique, de les suivre et de relever la plaque d’immatriculation de leur véhicule, a posté leur image sur Facebook en ajoutant : "Si vous avez besoin d’infos sur un flic (nom, adresse etc.) venez en MP [message privé] j’ai un fichier." »
« J’invite ceux qui ne seraient toujours pas convaincus à consulter – avec modération – le site Copwatch, ou les nombreux autres, parfois déclinés par région ou par département, qui diffusent des images des forces de l’ordre. Comme chacun peut le constater sur son téléphone portable, on y publie non seulement les photos de policiers, mais aussi leur nom, leur prénom, leur âge, parfois leur adresse. Après quelques secondes de navigation sur le site Copwatch, vous vous apercevrez qu’il ne s’agit pas simplement d’une galerie de portraits artistiques. »
Il faut surtout préciser que le site Copwatch a déjà été bloqué en justice en 2011 et que le droit pénal est déjà bien garni contre ceux qui portent atteinte aux données personnelles d’un tiers. Il en va de même pour les menaces de mort, les injures, la diffamation et autres faits délictueux. Comme l’ont relevé plusieurs députés dans l’hémicycle, la législation permet donc déjà de sanctionner un grand nombre des faits dénoncés par le ministre.
Se posent du coup, non seulement les questions de la prévisibilité du texte, du respect du principe de légalité des délits et des peines (exigence d’une loi bien écrite pour restreindre l’arbitraire), mais aussi celle de la nécessité de cette nouvelle législation. Sans oublier les possibles atteintes portées à la liberté d’information et à la liberté de communication.
La Défenseure des droits, Claire Hédon, dans son avis rendu pas plus tard que mardi dernier, n’a pas dit autre chose : « l’infraction prévue par cette proposition de loi n’est pas nécessaire à la protection des policiers et gendarmes, porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’expression, et crée des obstacles au contrôle de leur action ».
Elle a ainsi considéré que cette future infraction « ferait peser une incertitude sur la licéité de toute publication d’images sur lesquelles des fonctionnaires de police ou gendarmes seraient identifiables, peu importe l’intention du diffuseur ».
Non sans ajouter que « plutôt que de favoriser la dissimulation de manquements de la part de policiers et de gendarmes, le Parlement devrait permettre le débat sur les agissements de quelques-uns et assurer qu’ils soient sanctionnés, sans quoi ils contribuent à jeter l’opprobre sur l’ensemble des forces de sécurité et dégradent la confiance nécessaire à leur action ».
En somme, un léger problème de méthode.
Le texte prévoit aussi un régime spécifique pour les drones. Qu’en est-il ?
Alors que sur ce texte révélé par Next INpact le 15 octobre dernier, les projecteurs se sont surtout portés sur l’article 24, d’autres dispositions présentent un risque particulier pour les droits et libertés.
Ainsi, l’article 22 sur les caméras aéroportées. Son cadre dépasse celui des seuls drones puisqu’il embrasse aussi bien ces appareils que les hélicoptères ou les avions ainsi « enrichis » d’yeux électroniques.
Cette disposition avait été appelée du pied par le Conseil d’État, peu satisfait que la Préfecture de Police puisse user de drones, et donc mettre en œuvre des traitements de données personnelles sans l’ombre d’un texte, contrairement à ce qu’impose la loi Informatique et Libertés.
L’occasion était trop belle pour l’Intérieur pour ne pas ouvrir les vannes. Le texte prévoit que ces appareils pourront, du ciel, effectuer des traitements de données à caractère personnel en poursuivant une longue liste de finalité.
Mais avant, il convient de préciser qu’ils ne seront pas entre les seules mains des policiers et gendarmes, mais de l’ensemble des services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale, ce qui est beaucoup plus large.
S’agissant des finalités, celles-ci seront pour les unes préventives, d’autres curatives.
Les drones, avions et hélicoptères pourront donc être utilisés dans des « missions de prévention des atteintes à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique » et dans des missions « de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ».
D’ailleurs s’agissant de ces missions, la liste intègre des faits aussi hétéroclites que la prévention d’actes de terrorisme » ou « le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ». Chaque mot compte. La « recherche » par drone permettra donc de survoler des zones et déterminer « pour voir » si les personnes filmées respectent ou non la loi et constater les faits.
Sur ce point, la Défenseure des droits a considéré « que cette technologie, particulièrement intrusive, est susceptible de porter atteinte au droit de manifester si elle est utilisée lors de rassemblements ». De même, le texte souffre de l’absence de garanties suffisantes « pour préserver la vie privée et pour s’assurer que son usage ne permettra pas l’emploi de techniques permettant la reconnaissance faciale notamment ».
Tous les amendements qui visaient en effet à exclure la possibilité de coupler ces flux à des systèmes de reconnaissance faciale ont été rejetés en commission comme en séance. La rapporteure a plusieurs fois soutenu que ce n’était pas le moment : « Le texte ne traite pas de la reconnaissance faciale dont l’utilisation n’est, pour l’heure, pas encadrée au plan législatif ».
Relevons que l'absence d'encadrement des drones n’avait pas empêché la Préfecture de police de Paris d’utiliser ces appareils durant le confinement. Témoignage que l’intervention du législateur sur la reconnaissance faciale était peut être bien opportune…
Notons également que le gouvernement a fait adopter un amendement pour encadrer et donc autoriser également l’usage des caméras embarquées. Alors que le député Philippe Latombe aurait aimé que ce régime soit plaqué sur celui des caméras sur aéronef, celles placées sur les voitures ou les bateaux bénéficient d’un régime à part.
Plusieurs finalités sont prévues :
- prévenir les incidents au cours des interventions
- faciliter le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves
- assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public
- faciliter la surveillance des littoraux, des eaux intérieures et des zones frontalières
- réguler les flux de transport.
Ces images pourront en outre être diffusées en temps réel au poste de commandement, même en l’absence de menace sur les biens ou les personnes.
Quid des caméras mobiles ?
La proposition de loi, portée par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ouvre une autre nouveauté : la possibilité pour les forces de l’ordre de déporter les images captées par les caméras mobiles à un centre de commandement, le tout en temps réel. Cette option sera ouverte dès lors que « la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée ».
En outre l’agent pourra consulter ces images « dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention ». Plusieurs élus avaient estimé que ce droit d’accès risque de démagnétiser la force probante des données captées. La seule garantie apportée est que les caméras seront « équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements lorsqu’ils sont consultés dans le cadre de l’intervention ».
Mieux encore, les autorités pourront se servir des enregistrements pour combattre les faits jugés « alternatifs » et diffusés en boucle sur les réseaux sociaux.
Comme de nombreux députés, la Défenseure des droits « considère que cette nouvelle finalité ne correspond pas à un objectif d’intérêt général, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».
Sa crainte cette fois ? Une atteinte directe « au respect de la vie privée des personnes visibles sur ces enregistrements ».
Précisons encore que les amendements qui tentaient d’interdire la reconnaissance faciale sur ces flux ont été repoussés sans ménagement, avec le même argument que pour les images des aéronefs.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Le texte est simplement adopté en première lecture par les députés. Cette adoption n’est pas une surprise. Issu des camps LREM, soutenu par le gouvernement du même bord, il était attendu qu’elle passe sans encombre ce vote dit solennel.
Cependant, nous n'en sommes encore qu’au début de la procédure parlementaire. Par le jeu de procédure législative, la proposition de loi part maintenant pour le Sénat où elle sera examinée en Commission des lois, puis en séance.
Durant ces deux étapes, sénateurs et gouvernement vont pouvoir adresser une nouvelle salve d’amendements. Après ce vote, les articles rédigés différemment par les sénateurs et les députés seront arbitrés en Commission mixte paritaire. Instance chargée de trouver une version de compromis.
Dans tous les cas, au bout du bout, ce sont les députés qui disposeront du dernier mot.
Ensuite seulement viendra l’intervention éventuelle du Conseil constitutionnel. Celle-ci est toutefois conditionnée à sa saisine préalable. Lors des questions à l'Assemblée nationale, le Premier ministre a indiqué qu'il le saisira.
Cette procédure n’empêchera pas les neuf Sages d’être appelés à juger les articles non encore auscultés, mais il faudra alors compter sur une question prioritaire de constitutionnalité, étape plus longue. Elle est en effet soumise au filtre du Conseil d’État et de la Cour de cassation, chargés l’un et l’autre d’évacuer les requêtes jugées non « sérieuses » notamment.