Autonomie numérique : objectifs et fortes ambitions de l’Europe d’ici à 2030

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Autonomie numérique : objectifs et fortes ambitions de l’Europe d’ici à 2030
Crédits : imaginima/iStock

Dans les 10 prochaines années, L’Europe « veut donner aux entreprises et aux citoyens les moyens d’agir dans un avenir numérique durable, centré sur l’humain et plus prospère ». La Commission européenne souhaite également parvenir à un certain niveau d’autonomie et présente plusieurs propositions en ce sens. Que faut-il en retenir ?

La Commission européenne vient de dévoiler son projet pour tracer « la voie européenne vers davantage d'autonomie numérique à l'horizon 2030 ». Pour rappel, elle avait déjà présenté une stratégie pour « façonner l'avenir numérique de l'Europe » il y a tout juste un an, mais c’était avant la crise sanitaire mondiale de la Covid-19 et les bouleversements causés dans nos vies.

Ce nouveau projet tient donc « aussi compte des énormes changements engendrés par la pandémie de coronavirus, qui a considérablement accéléré l'utilisation des outils numériques et a fait la preuve des possibilités qu'ils offrent tout en montrant combien notre société est vulnérable face aux nouvelles inégalités numériques », explique-t-elle dans une foire aux questions.

Il s’inscrit aussi dans la lignée d’une demande du Conseil européen qui souhaitait que le Vieux Continent parvienne « à une autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte », ainsi que dans la continuité du discours d’Ursula von der Leyen sur l‘état de l’Union en septembre dernier.

Une boussole numérique et des feux de circulation

La Commission explique que le but de cette opération est de présenter « une vision, des objectifs et des voies à suivre pour une transformation numérique réussie de l'Europe d'ici à 2030 »… un très vaste sujet. Ce projet s’articule avec une autre transition lancée il y a un moment déjà : celle vers une économie neutre pour le climat, circulaire et résiliente.

Dans les grandes lignes, pour atteindre cette « souveraineté sur le plan numérique », il faudra « mener des politiques numériques qui mettent les personnes et les entreprises en mesure de s'approprier un avenir numérique axé sur l'humain, durable et plus prospère. Il s'agit notamment de remédier aux vulnérabilités et aux dépendances, ainsi que d'accélérer les investissements », explique la Commission.

Elle détaille son plan qui prend la forme d’une « boussole numérique », avec donc quatre axes de développement. Des rapports annuels sont prévus pour suivre l’avancement du dossier, sous la forme de « feux de circulation » ou de « clignotants ». Bref, vous avez compris l’idée : l’Europe veut se frayer un chemin dans le numérique – notamment face aux géants américains et chinois – tout en évitant de faire fausse route.

Former les citoyens, disposer de 20 millions de spécialistes

Le premier point cardinal de la boussole est centré sur l’humain et veut « des citoyens disposant de compétences numériques et des professionnels du numérique hautement qualifiés ». D’ici à 2030, la Commission souhaite ainsi qu’au moins 80 % des adultes aient des « compétences numériques de base », sans entrer dans les détails. 

Une volonté qui n’est pas sans rappeler celle du CNRS, qui expliquait récemment dans son Journal que « la formation d’une culture scientifique partagée par le plus grand nombre figure parmi les grands enjeux de la démocratie ».

Certes la science et le numérique sont deux sujets différents (même s’ils sont intimement liés), mais les enjeux au niveau des humains se rejoignent, comme l’expliquait Hélène Langevin-Joliot, physicienne nucléaire et directrice de recherche émérite au CNRS :

« La science joue un rôle plus grand que jamais dans les sociétés modernes, alors que sa place est très réduite dans la culture des citoyens d’aujourd’hui, y compris celle des "élites" intellectuelles et politiques […] Je m’inquiète de la violence avec laquelle la science (les technologies plutôt) est mise en cause par certains, qui peuvent aussi à l’occasion basculer dans une foi aveugle en son pouvoir. Je dirai que le questionnement est général, pas la violence ».

La Commission européenne anticipe (ou espère ?) aussi que pas moins de 20 millions de spécialistes des Technologies de l'information et de la communication (TIC) seront présents dans l'Union européenne d’ici à 2030, « dont un plus grand nombre de femmes ». Dans le numérique comme en sciences (et dans d’autres domaines), les femmes sont pour le moment largement moins présentes que les hommes.

Le constat serait sans appel : « dans le monde, moins de 30 % des chercheurs sont des femmes, et ces femmes accèdent rarement aux postes décisionnaires », expliquait le CNRS à l’occasion de la Journée internationale des Femmes et Filles de science le mois dernier. Elle a été adoptée par l’ONU le 22 décembre 2015 et se déroule le 11 février pour rappel.

Des infrastructures solides, gigabit et 5G pour tous (ou presque)

Le second point mis en avant par la Commission concerne les infrastructures numériques, qui doivent être « sûres, performantes et durables », de belles promesses quand on sait que le risque zéro n’existe pas et que tout le monde peut être confronté à une attaque.

Elle cite en exemple le plan « société européenne du gigabit », qui prévoit donc que « tous les foyers européens devraient disposer d'une connectivité gigabit ». L’année dernière, 59 % des foyers pouvaient en profiter, mais sans précisions sur la répartition en fonction des technologies (FTTH, câble, 4G fixe, xDSL…).

Sur ce point, la France est en avance grâce au plan France Très Haut Débit (que nous avons détaillé dans notre second magazine) qui prévoit que 80 % des lignes soient en fibre optique d’ici 2022 et même 100 % en 2025, et donc potentiellement avec des débits bien supérieurs à 1 Gb/s. Le sénateur Patrick Chaize rappelait à juste titre qu’on sait évidemment « que le 100 % on ne l’atteindra jamais, mais on ne l’atteint avec aucun réseau […] il y aura toujours des exceptions ou on utilisera des technologies alternatives ».

La Commission européenne souhaite aussi que « toutes les zones peuplées » soient couvertes par la 5G, sans donner plus de précisions sur ce qu’elle entend par là. Tout juste apprend-on que 14 % ce ces « zones » en profitent actuellement.

Rappelons néanmoins que la 5G vient seulement de débuter son déploiement commercial dans de nombreux pays, il faudra encore attendre des années avant d’avoir une couverture plus large. En une dizaine d’années, la 4G s’est imposée un peu partout en France et dans le monde, il n’y a pas de raison que la situation soit différente avec la 5G.

Next Decade Europe numérique

Semi-conducteurs : 20 % de la production mondiale en Europe ?

Toujours dans l’optique d’avoir des « infrastructures numériques sûres », la Commission ajoute que « la production de semi-conducteurs durables et de pointe en Europe, notamment les processeurs, devrait doubler pour représenter au moins 20 % de la production mondiale en valeur », alors qu’elle n'en représenterait que 10  % en 2020.

L’institution ne précise par contre pas comment elle compte arriver à ce résultat. L’Europe ne compte que deux « gros » fondeurs dans ses rangs – Infineon et STMicroelectronics –, mais ils restent des petits du secteur face aux géants que sont Intel, TSMC, Samsung…

Edge computing et informatique quantique

La Commission souhaite que « 10 000 nœuds périphériques hautement sécurisés et neutres pour le climat (qui permettront le traitement des données à la périphérie du réseau) » soient déployés dans l’Union, en précisant qu’ils doivent être « répartis de manière à garantir une faible latence pour l'accès aux données ». Là encore, la déclaration est vague sur ce qu’on appelle communément l’edge computing.

Enfin, l’institution rappelle qu’elle « devrait disposer de son premier ordinateur quantique » durant cette décennie. La course est lancée depuis des années et la France est entrée en force dans la partie avec son Plan à 1,8 milliard de dollars. Il prévoit un « ordinateur hybride » dès 2023, puis un « ordinateur quantique universel », sans plus de détails sur le calendrier.

Lors de cette annonce en janvier dernier, Emmanuel Macron affirmait : « la France est considérée comme l'un des rares pays capables de relever ce défi […] grâce à l’excellence de notre recherche théorique et technologique […] elle pourrait devenir le premier État à disposer d’un prototype complet d’ordinateur quantique généraliste ».

Philippe Chomaz (directeur recherche fondamentale au CEA) expliquait que l’« équipe France » de ce plan Quantique devait pouvoir jouer son rôle « dans une équipe Europe, qui est dans une compétition internationale ». Il faudra voir si la Commission parviendra à fédérer les différents acteurs.

Notre dossier sur le Plan Quantique en France : 

Numérisation des PME et services publics, deux fois plus de licornes

Le troisième axe de la boussole est la transformation numérique des entreprises : « D'ici à 2030, trois entreprises sur quatre devraient utiliser des services d'informatique en nuage, le big data et l'intelligence artificielle ; plus de 90 % des PME devraient atteindre au moins un niveau basique d'intensité numérique ».

En 2019, elles n’étaient que 61 %, probablement avec une forte disparité entre les États mais cela n’est pas précisé. L’Europe ambitionne aussi rien de moins que doubler le nombre de ses licornes, c’est-à-dire des start-ups valorisées au moins un milliard de dollars. Leur nombre devrait ainsi passer à 250 durant cette décennie.

Le quatrième point est dans la continuité du second avec la numérisation des services publics : « D'ici à 2030, tous les services publics clés devraient être disponibles en ligne ; tous les citoyens auront accès à leurs dossiers médicaux électroniques ; et 80 % des citoyens devraient utiliser une solution d'identification électronique ».

Des projets plurinationaux facilités, la question du financement

Dans le cadre de cette volonté d’améliorer l’autonomie numérique de l’Europe, la Commission « facilitera le lancement rapide de projets plurinationaux combinant des investissements du budget de l'UE, des États membres et du secteur ». Elle souhaite ainsi que « les États membres s'engagent à consacrer au moins 20 % des financements prévus dans leurs plans pour la reprise et la résilience à la priorité numérique ».

Cela concerne par exemple la mise en place d’une infrastructure paneuropéenne interconnectée de traitement de données, la conception d'une nouvelle génération de processeurs à basse consommation, des administrations publiques connectées, etc.

Un exemple concret est mis en avant : « L’UE pourrait déployer un réseau de centres d’opérations de sécurité, alimentés par l’intelligence artificielle, afin d’anticiper et de détecter les cyberattaques aux niveaux nationaux et de l’Union européenne et d’y faire face ». La France vient pour rappel de lancer son propre plan Cyber, avec 1 milliard d’euros à la clé.

Quid de Gaia-X et d’ExaNoDe ?

On s’étonne par contre qu’aucune mention de Gaia-X ou d’ExaNoDe ne soit faite dans les communiqués. Le premier veut pour rappel devenir une « une infrastructure européenne de données », prenant la forme d’une « place de marché avec différents services et offres interopérables » et respectant quatre principes fondamentaux : « garantir la souveraineté des données, leur disponibilité, leur interopérabilité [et] leur portabilité ».

De son côté, le projet ExaNoDe (European Exascale Processor Memory Node Design) vise à « développer de nouvelles technologies nanoélectroniques et des solutions d’intégration disruptives (sic) pour concevoir le premier processeur de calcul exascale européen ».

Nous avons déjà longuement détaillé ces deux projets :

Une déclaration interinstitutionnelle fin 2021

Dans l’ensemble, cette boussole dresse « une structure de gouvernance solide avec les États membres », affirme la Commission. Cette dernière prévoit « un système de suivi prévoyant des rapports annuels sous la forme de "feux de circulation" ». Les objectifs de ce programme devront maintenant faire l'objet d'un accord avec le Parlement et le Conseil.

La Commission lancera dans le courant de cette année « un vaste processus de discussion et de consultation » avec les États membres, le Parlement européen, les autorités régionales, les partenaires économiques et sociaux et les entreprises, sans oublier les citoyens d’autant qu’ils sont directement concernés par un des pôles de la boussole.

Après cette concertation, elle proposera « un programme de politique numérique concrétisant la "boussole numérique" d’ici la fin de l’été » et espère arriver à une « déclaration interinstitutionnelle sur les principes numériques d’ici la fin de 2021 ». 

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